Le «pari» de Justin Trudeau
- Pauline Easton -
La prédiction des stratèges du Parti libéral de Justin Trudeau qu'il
pourrait obtenir un gouvernement majoritaire avec des élections en
septembre, et l'arrogance et l'opportunisme crasse de déclencher cette
élection en pleine pandémie, amènent beaucoup de Canadiens à
s'interroger sur le
narcissisme et le manque de jugement des libéraux.
La réalité est que les pouvoirs de prédiction de la classe dirigeante
sont nuls et ce depuis un certain temps. Les sondages sont le plus
souvent erronés et beaucoup de gens se demandent pourquoi. Les sondages
sont si souvent erronés que dans cette élection les sondeurs ont pris
l'habitude
d'ajouter l'absurde avertissement : « ... si nos sondages sont exacts ».
Un
avertissement est une réserve qu'on se donne, comme dans : « Il y a un
certain nombre de mises en garde à faire sur la validité des résultats
de l'évaluation ». En d'autres termes, ne nous tenez pas rigueur de ce
que nous disons.
La raison pour laquelle les prédictions échappent à la classe
dirigeante, y compris à ses services de renseignement, est que les
règles et les normes qui déterminaient le fonctionnement d'un système de
gouvernement bipartite ne sont plus là. L'équilibre au sein du
parlement est révolu depuis
1993. On ne peut plus prétendre que les Canadiens sont représentés soit
par le parti au pouvoir, soit par le parti de l'opposition, et qu'en
élisant l'un ou l'autre, les électeurs peuvent tenir ces partis
responsables.
Lorsque les libéraux et les conservateurs, appuyés par d'autres
partis, ont engagé le Canada dans le « libre-échange » dans le but de
faire des monopoles canadiens les « numéros uns » sur le marché mondial,
la destruction nationale et l'offensive antisociale sont devenues la
norme. L'économie
néolibérale du Canada est maintenant telle que les travailleurs ne
savent même plus qui est propriétaire des entreprises pour lesquelles
ils travaillent, où les décisions sont prises ou qui tire les ficelles
et donne le ton.
L'équilibre parlementaire a disparu à la suite de l'élection fédérale
de 1993, lorsque le Parti conservateur, bien qu'ayant reçu beaucoup de
votes, n'a remporté que deux sièges et que le Bloc québécois est devenu
l'opposition officielle. Après cela, le Parti réformiste a fait un coup
d'État et a
pris le contrôle du Parti conservateur, l'engageant dans une nouvelle
voie virulemment antinationale et antisociale, intégrée à la machine de
guerre des États-Unis et aux rivalités au sud de la frontière. Au même
moment, les luttes de factions au sein du Parti libéral se sont
intensifiées, et les
libéraux ont cherché désespérément à s'accrocher au pouvoir. Depuis le
scandale des commandites, où les libéraux ont été surpris à remettre des
sacs d'argent pour contourner les règles de dépenses électorales, les
scandales se succèdent, impliquant l'argent, la corruption et les
stratagèmes pour
payer les riches. La politisation des intérêts privés a pris le dessus –
il s'agit de confier les fonctions de base de l'État et la prise de
décisions à des intérêts privés étroits comme Deloitte et Touche, KPMG,
UBS, SNC-Lavalin et bien d'autres.
Lorsque les Forces armées canadiennes en Afghanistan ont commencé à
remettre leurs prisonniers de guerre directement aux États-Unis pour
qu'ils soient envoyés dans des sites clandestins et torturés sans même
que le premier ministre du Canada en soit informé, il est devenu évident
que le ministère
canadien de la Défense nationale était désormais sous le commandement
des forces spéciales américaines. Lorsque Jean Chrétien était premier
ministre, il a donné cette fameuse définition de la souveraineté selon
laquelle la capitulation est un geste de souveraineté « si c'est nous
qui décidons » de
capituler. Et même cette définition ne tient plus. La capitulation est
maintenant une chose allant de soi.
Tout cela signifiait la perte de la prévisibilité fondée sur les
règles qui régissaient le fonctionnement des institutions démocratiques.
On ne peut plus compter sur les ministres pour assumer la
responsabilité des méfaits commis dans leurs ministères ou sous leur
responsabilité en démissionnant.
On ne peut plus être assuré que le premier ministre se pliera aux
recommandations d'une commission parlementaire, par exemple sur la
réforme électorale. Les règles relatives aux conflits d'intérêts ne
signifient plus qu'il n'y a pas de corruption parmi les élus et la haute
fonction publique.
Dès que des intérêts privés s'emparent du contrôle du processus
décisionnel et du gouvernement, la quête de contrôle signifie que tout
est permis tant qu'on peut s'en tirer. Les personnes et les choses
deviennent jetables.
Justin Trudeau a fait le « pari » de déclencher une élection générale
parce qu'il veut mettre les intérêts privés étroits de l'industrie de
l'écoblanchiment aux commandes du trésor public. Ces derniers veulent
utiliser les fonds publics pour financer les projets d'infrastructure
qui les servent
et moderniser les industries stratégiques liées à la production, aux
communications et au transport et à l'extraction des ressources liées
d'une manière ou d'une autre aux plans de guerre impérialiste des
États-Unis.
Ces intérêts privés étroits sont regroupés en oligopoles – des
entreprises géantes qui forment des cartels et des coalitions pour
influencer les prises de décisions à tous les niveaux et qui doivent
battre le fer quand il est chaud. Ils n'ont que faire des êtres humains,
des nations, de
l'édification nationale ou de l'environnement social et naturel. C'est
une rivalité à outrance pour le contrôle des nouvelles technologies et
de l'espace.
Il ne peut y avoir aucune prévisibilité dans ces conditions, car tout
est mené par des intérêts privés étroits et leurs serviteurs au
gouvernement. Ce sont eux qui dictent les règles et ils les violent
comme bon leur semble.
Seules
les forces du peuple ont intérêt à faire naître de nouvelles formes qui
leur donnent un pouvoir de décider. Ce n'est qu'alors que la
prévisibilité pourra redevenir une caractéristique de la vie, un outil
dont nous avons besoin pour créer une stabilité et une sécurité pour
nous-mêmes et nos
familles. Participer à la prise des décisions qui affectent notre vie
est un droit humain, car ce n'est qu'ainsi que nous pouvons exercer un
contrôle : en faisant le suivi des décisions prises et en apportant les
mesures correctives lorsque nécessaires, comme lorsque des problèmes
surviennent dans
leur mise en oeuvre ou lorsque les décisions prises s'avèrent erronées.
Selon les analystes, Justin Trudeau a tout simplement perdu son «
pari » de tenir cette élection en temps de pandémie, mais comme il a
tout de même conservé le pouvoir, alors tout n'est pas si mal. C'est
loin d'être le fond de l'histoire. L'incapacité à prévoir les résultats
est l'une des
caractéristiques de la crise de ce que l'on appelle les institutions
démocratiques, ce qui montre la nécessité d'un renouveau démocratique
qui donne du pouvoir au peuple.
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 11 - 10 octobre 2021
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