Sur la situation à laquelle l'héroïque peuple haïtien fait face


Une équipe médicale cubaine en train d'aider la population de Corail en Haïti, le 24 août 2021, après le tremblement de terre

Le Marxiste-Léniniste : Tout d'abord Frantz, nos plus sincères condoléances au peuple haïtien pour les terribles pertes de vie, blessures et dévastations matérielles causées par le tremblement de terre du 14 août.

Frantz André : Merci beaucoup, de la part de nous tous.

LML : Comment évalues-tu la situation à laquelle le peuple haïtien fait face dans le contexte de cette tragédie et des récents développements dans la situation politique du pays ?

FA : L'assassinat récent de Jovenel Moïse avait déjà été un tremblement de terre politiquement pour les Haïtiens. Il y a eu ce qu'on pourrait appeler des répliques sismiques, avec le fait qu'on avait un premier ministre qui s'autoproclamait pratiquement président dans ses fonctions bien que théoriquement, le jour de l'assassinat de Jovenel Moise, il n'était plus premier ministre. On avait déjà un gouvernement dysfonctionnel. On avait déjà les problèmes d'insécurité qui étaient loin de s'améliorer.

L'assassinat de Jovenel Moïse a aussi été un tremblement de terre au niveau social, On s'est retrouvé avec une population encore une fois prise en otage quand elle a vu que la personne qui aurait du être la mieux protégée dans le pays, le président, a été assassinée de cette manière. Cela n'a fait qu'amplifier ce tremblement de terre politique et les répliques sismiques. La perception de l'insécurité est devenue plus grande, la dysfonctionnalité étatique est devenue plus grande. Et avec toutes les attentes et les promesses qui ont été faites de trouver rapidement qui étaient les commanditaires de cet assassinat, le message a été lancé encore une fois à la population que rien n'a changé en Haïti et qu'on reste dans le même système de corruption et d'insécurité. Et ceci malgré qu'il y a eu une coalition de différents groupes de l'opposition et de la société civile où ils ont formé un consensus qu'il ne devrait pas y avoir d'élections dans de telles circonstances et qu'il fallait une période pour préparer des élections qui seraient honnêtes, démocratiques et légitimes.

Et voilà que s'est produit le tremblement de terre du 14 août.

Selon nous, c'est une raison de plus qu'il ne devrait pas y avoir d'élections en ce moment. Le fait que le Core Group a insisté pour la tenue d'élections maintenant, qui ont été décrétées pour le mois de novembre, démontre sa mauvaise volonté. Cela démontre son insensibilité à la condition humaine en Haïti.

Ce qui s'est produit le 14 août s'est produit au plus mauvais moment. On sait qu' Haïti s'asseoit sur différentes failles sismiques qui bougent régulièrement. Ce n'est pas la première fois qu'il y a des tremblements de terre. Il y en a eu plusieurs. Port-au-Prince a été détruit deux fois avant l'indépendance On savait qu'on pourrait éventuellement revivre le tremblement de terre de 2010 mais jamais dans de telles conditions, dans les conditions du chaos total qui existe avec les gangs qui sont actives dans le pays.

Comment peut-on imaginer que ce pays continue de vivre des catastrophes naturelles, et plus encore les catastrophes imposées par l'impérialisme et le néocolonialisme, alimentées par une situation d'insécurité qui nous oblige à considérer la possibilité qu'on va avoir encore une occupation américaine ou onusiennne. D'ailleurs, quelques jours après le tremblement de terre, 7 000 marines américains ont été dépêchés sur le territoire.

La douleur est très grande. J'ai moi-même des parents à Jérémie. Les villes connues les plus touchées sont Jérémie et Les Cayes et j'ai des parents dans cette région qui s'est effondrée. On dénombre plus de 2000 morts et plus de 12 000 blessés dans une situation où les hôpitaux, dans beaucoup de cas, ne peuvent pas les recevoir. Ils n'ont pas suffisamment de personnel de soins, médecins et autres. On amène les gens dans les hôpitaux mais cela ne veut pas dire qu'ils seront soignés. Heureusement que sur le territoire nous avons des médecins cubains qui sont présents et offrent des services bénévoles à la population.

Dans cette situation, la question qui se pose c'est est-ce que nous allons répéter les mêmes erreurs que nous avons faites en 2010, où, à la suite du séisme, on s'est retrouvé avec des millions sinon des milliards de dollars qui ont été donnés pour la reconstruction qui malheureusement ont été dilapidés, principalement par des ONG (Organisations non gouvernementales), dont la Croix-Rouge. Haïti était devenu la capitale du monde où toutes les ONG imaginables venaient s'installer pour aller chercher les millions de dollars pour la reconstruction. Notre souhait est que cela ne va pas se répéter.

La Croix-Rouge est maintenant l'organisme que le gouvernement canadien et un comité de crise formé à Montréal favorisent comme le premier intervenant en urgence, de concert avec Médecins du monde et Médecins sans frontières.

Dès les premiers jours du séisme, des pays se sont portés à la rescousse d'Haïti, notamment Cuba, le Venezuela et la République dominicaine. Ils ont envoyé des produits de base, des tentes, des sacs de couchage et d'autres produits. On n'a pas réellement vu que le gouvernement haïtien, l'État haïtien, a un plan de gestion de crise qui est clair. On n'a pas ressenti que l'État gérait la distribution des produits. Il doit y avoir une répartition égale et directe aux Haïtiens, C'est un problème de la déficience de l'État. Il faut centraliser cette gestion de crise tant au niveau de la réception des aides qui nous sont envoyées, que ce soit monétaires ou des produits, qu'au niveau de la distribution. Ce que j'entends de la part de gens sur le terrain, c'est exactement cela, Ils ne ressentent pas qu'il y a une coordination, un plan de gestion de la crise par l'État haïtien.


Le Venezuela envoie de l'aide en Haïti, le 15 août 2021, à la suite du tremblement de terre.

C'est une conséquence directe de ce qui s'est passé depuis le 7 juillet, quand Jovenel Moïse a été assassiné, mais ce problème existait bien avant cela. Je dirais qu'au moins depuis 2010, suite au séisme, que l'État haïtien n'a jamais réellement mis en place un système ou un programme d'après-séisme afin que cette situation ne se répète pas. Rien n'a été fait par le gouvernement de Michel Martelly qui aurait dû apprendre de la situation et mettre en place une institution de gestion de séisme. On l'a vécu en 2010 avec le séisme, on l'a vécu aussi en 2016 avec l'ouragan Matthew qui avait détruit le grand sud encore une fois. Là encore l'État a été complètement dysfonctionnel.

LML : Quel travail fait Solidarité Québec-Haïti dans l'organisation de l'aide au peuple haïtien ?

FA : Solidarité-Québec, et d'autres groupes de la diaspora, nous sommes en train de travailler avec des groupes qui sont sur le terrain en Haïti, qui ont déjà démontré qu'ils sont organisés et qui sont efficaces et intègres, qui ont déjà bâti des hôpitaux, des écoles, des systèmes d'irrigation, qui font de la permaculture. Ce sont des groupes organisés de la société civile que nous aimerions privilégier en ce qui concerne les aides qui viennent de la diaspora.

Ici, à Montréal, il y a aussi entre 26 et 40 différentes associations régionales qui représentent différentes localités dont Les Cayes et Jérémie. Dans certains cas cela fait plus de 40 ans qu'elles organisent des collectes de fonds elles-mêmes, qu'elles vont directement sur le terrain.

Elles apportent des ressources là-bas et s'assurent que les ressources sont utilisées dans un but local.

En 2016, en réponse à l'ouragan Matthew, ces associations se sont regroupées sous le nom de GISROMH, Groupe inter-régional de soutien en réponse aux organisations municipales d'Haïti. Le niveau d'activité de chaque association dans le groupe a été très différent, le groupe a été assez actif de 2016 à 2019, et après cela n'a pas eu de continuité. Chaque association a continué d'organiser des activités individuelles. Nous voulons redémarrer les activités de GISROMH en tant que groupe, le redémarrer parce que les besoins qu'on avait identifiés en 2016 restent toujours aussi valables pour acheminer l'aide sur le terrain. On parle dans ce cas-ci du moyen et long terme.

Dans le court terme, nous soutenons l'initiative du comité de crise qui a été formé à Montréal, Je suis prêt à donner crédit aux deux organismes, Médecins du monde et Médecins sans frontières, mais nous n'avons pas confiance en ce qui concerne la Croix-Rouge sur la base de ce qu'elle a fait en 2010.

D'autre part, je demande au Canada, qui se déclare ami des Haïtiens et ami d'Haïti de mettre en place un programme de réunification familiale, comme il y en a eu un de 2004 jusqu'à 2014. Le programme avait été mis en place à la suite de l'enlèvement du président Jean-Bertrand Aristide, qui avait causé beaucoup de violence, et on avait permis à des gens qui avaient de la famille ici de venir les rejoindre. Aujourd'hui, dans le contexte des demandeurs d'asile qui ont été approuvés, qui sont considérés des personnes protégées ou à être protégées, la grande majorité ont de la famille qu'ils veulent faire venir ici et dont les noms sont inscrits dans leur dossier. Cela veut dire que lorsqu'ils obtiendront leur résidence permanente ils vont pouvoir les faire venir ici. On demande qu'au lieu de passer par cette bureaucratie très lourde, le gouvernement accélère la réunification familiale, ce qu'ils ont fait en 2004, en 2010 et jusqu'en 2014.

Nous allons aussi continuer à réclamer que le Canada se retire du Core Group. Le Canada fait partie du problème. Le Canada pendant des années a soutenu des gouvernements fantoches. Le Core Group a choisi les présidents qui n'ont pas produit de résultats pour le peuple haïtien, et qui font en sorte que ce qui arrive en Haïti continue à se perpétuer. Il faut que le Canada se retire du Core Group et que le Core Group laisse les Haïtiens régler eux-mêmes les problèmes haïtiens.

LML : Tu veux nous dire quelque chose en conclusion ?

FA : Je tiens à remercier les Québécois et les Canadiens qui sont sensibles à ce qui s'est produit en Haïti. Nous avons des valeurs de solidarité bien ancrées dans l'ADN des Québécois et des Canadiens. C'est le niveau politique malheureusement qui n'est pas à la hauteur de ces valeurs-là.

Je remercie le peuple québécois et canadien et je l'appelle à demander au gouvernement de respecter nos valeurs, qu'il est censé représenter, en accélérant la réunion familiale et en se retirant du Core Group.

(Photos : Workers' World, C. Melendez)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 10 - 6 septembre 2021

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