Le Canada se joint aux allégations de cyberattaques et aux préparatifs de guerre des États-Unis
- Pauline Easton -
Le 19 juillet, le Canada s'est joint à
l'administration Biden dans le cadre d'une «
coalition » visant à accuser publiquement le
gouvernement chinois de cyberactivités
malveillantes et de comportement irresponsable
d'un État, dans un langage frôlant une déclaration
de cyberguerre. Selon l'annonce commune, les
États-Unis ont découvert un large éventail de
cyberattaques contre Microsoft menées par des
pirates informatiques qui, selon eux, ont toujours
travaillé pour le ministère chinois de la Sécurité
d'État (MSS).
Selon le communiqué, la
Chine est responsable de l'attaque contre le
logiciel de messagerie électronique de Microsoft –
une attaque qui a infecté des dizaines de
milliers d'entreprises, d'administrations et
d'écoles rien qu'aux États-Unis. Les pays qui se
sont joints à la coalition américaine comprennent,
outre le Canada, l'Union européenne (UE),
l'Australie, la Grande-Bretagne, le Japon, la
Nouvelle-Zélande et les autres pays membres de
l'OTAN, l'alliance militaire dirigée par les
États-Unis.
Dans le cadre de ces allégations, le département
de la Justice des États-Unis a annoncé des
poursuites au criminel à l'encontre de ce qu'il
prétend être les quatre pirates informatiques à
l'origine de l'attaque, pour avoir ciblé des
entités et des gouvernements étrangers dans des
secteurs cruciaux, tels que la défense,
l'éducation, la santé, les secteurs maritime et
aérien, et pour avoir commis des vols
informatiques de propriété intellectuelle à des
fins lucratives.
Ces accusations s'inscrivent dans le cadre de
l'attention portée à la cybersécurité par les
gouvernements qui font partie de la coalition des
impérialistes américains et des tentatives de
l'administration Biden de définir ce que constitue
une cyberguerre. Parler de secteurs cruciaux de
l'économie et de la vie collective dans ce
contexte, comme l'aviation et les réseaux
électriques, revient à les considérer comme
faisant partie de la sécurité nationale pour
pouvoir justifier les accusations de cyberguerre.
Pour sa part, le Canada fait de la cybersécurité
un enjeu majeur dans la conduite de la prochaine
élection fédérale. Il s'aligne sur
l'administration Biden qui s'efforce également
d'établir des règles relatives à ce qui constitue
des crimes et des sanctions, tout en mettant
publiquement en place des moyens pour étayer les
affirmations des États-Unis visant à identifier si
une cyberattaque a été menée par la Chine, la
Russie ou un autre pays qu'ils accusent de telles
choses. Dans ce contexte, l'Agence de sécurité
nationale américaine (NSA), le Federal Bureau of
Investigation (FBI) et la nouvelle Agence de
cybersécurité et de sécurité des infrastructures
(CISA), créée en 2018 avec un budget de plus de 3
milliards de dollars, ont publié un « Avis de
cybersécurité commun » (Joint Cyber Security
Advisory). L'alerte comporte ce que les États-Unis
appellent plus de 50 « tactiques, techniques et
procédures » utilisées par les pirates
informatiques associés à la Chine.
Cette année, la CISA a déjà reçu une augmentation
de financement de 650 millions de dollars, qui
s'ajoute à ce qui devrait être 2,3 milliards de
dollars. La CISA a également le pouvoir « de
rechercher de manière proactive » des menaces sur
les réseaux fédéraux civils et d'assigner les
fournisseurs d'accès à l'Internet du secteur
privé, lorsque l'agence « détecte des
vulnérabilités critiques dans l'infrastructure
nationale », la tâche de fournir des informations
sur les cybermenaces auxquelles ils sont
confrontés. La CISA sert également de liaison
fédérale de premier plan sur les questions de
cybercriminalité pour les propriétaires du secteur
privé de ce qui est désigné par le gouvernement
comme une infrastructure nationale critique.
Un problème important est que la cyberguerre et
la cybersécurité ne sont pas définies par le
gouvernement, pas plus que ce qui constitue le
terrorisme n'a été défini. On sait également que
les accusations de terrorisme à l'intérieur du
pays ont principalement visé ceux qui s'opposent
aux guerres d'agression, ou qui défendent
l'environnement et s'opposent aux morts aux mains
de la police suivant des motifs racistes ou aux
incarcérations à la frontière sud des États-Unis.
Beaucoup s'attendent à ce que les accusations de
cyberattaques portées par le gouvernement
américain suivent la même voie et que le Canada
fasse de même.
Une préoccupation majeure est la méthode utilisée
par le président américain et son administration
pour lancer des accusations et déclarer des crimes
et des sanctions sans fournir de faits ni de
preuves. Le gouvernement du Canada utilise la même
méthode. Tout tourne autour de ce que les cercles
dirigeants disent être l'apparence, ce à quoi les
attaques « ressemblent », ce que la Chine «
pourrait faire ». On dit que les pirates ont « des
antécédents de travailler pour la Chine », mais
les faits concernant ces antécédents ne sont pas
donnés. Il n'est pas dit non plus s'il existe des
preuves que ces pirates travaillent toujours pour
la Chine. Tout cela est dit secret et ne peut donc
être divulgué.
Comme le montre l'« Avis de cybersécurité commun
», la méthode consiste également à fournir ce que
les États-Unis font valoir comme des « tactiques,
techniques et procédures » qui ressemblent à, ou
ont l'apparence de, celles utilisées par la Russie
ou la Chine. Ces éléments sont ensuite utilisés
pour affirmer que les attaques sont le fait de la
Russie ou de la Chine. Il n'y a pas de preuve
directe. La base permettant d'identifier les «
tactiques » particulières comme appartenant à la
Chine reste également secrète. Les affirmations et
l'utilisation publique de la liste servent à créer
une norme selon laquelle chaque fois que ces mêmes
« tactiques, techniques et procédures »
apparaissent, elles peuvent être attribuées à la
Russie ou à la Chine.
Un problème auquel le gouvernement américain et
ceux qui pratiquent la politique de l'apaisement
envers lui sont confrontés est qu'il est
pratiquement impossible d'attribuer des
cyberattaques spécifiques à des gouvernements ou
des individus particuliers, surtout au niveau
international. En effet, il est possible de faire
croire que les attaques sont menées par ces pays,
ou qu'elles proviennent de certains endroits, en
utilisant les mêmes « tactiques » que celles
citées, alors que ce n'est pas le cas.
L'attribution ne peut être faite – un fait déjà
établi par divers cas qui réfutent les
affirmations des États-Unis.
Les États-Unis affirment tout simplement que les
attaques peuvent être attribuées à la Chine ou à
la Russie. Dans le but de mobiliser leur
bureaucratie militaire et pour alimenter l'opinion
publique, les États-Unis affirment que la Chine ou
la Russie mènent ces attaques et qu'elles doivent
être punies. Quelles que soient les prétentions
des États-Unis à propos des « tactiques,
techniques et procédures » utilisées par la Chine,
la Russie, l'Iran ou d'autres, elles doivent être
considérées comme valables. De cette façon, les
médias, les experts, les politiciens et les
universitaires sont entraînés dans un débat sur
l'implication de la Russie ou de la Chine, tandis
que la liste de tactiques présentées et la méthode
utilisée sont établies comme « la norme ».
L'ensemble du processus est également un moyen de
générer la peur et des antagonismes envers la
Chine et la Russie afin de préparer la guerre. Le
Pentagone déclare régulièrement que la Chine et la
Russie sont des « adversaires stratégiques » qui
pourraient cibler les « infrastructures
stratégiques nationales ». Le Canada encourage
également ces menaces de cyberguerre, décidées par
les États-Unis pour jeter les bases d'une
justification pour aller en guerre.
La crainte liée à la cybersécurité démontre que
la puissance militaire ne permet pas d'obtenir un
avantage politique
Un problème auquel les cercles dirigeants
américains sont constamment confrontés est que,
même avec leur supériorité militaire et nucléaire,
ils ne parviennent pas à obtenir un avantage
politique. Les États-Unis dépensent plus pour leur
armée que les huit pays réunis qui les suivent,
dont la Russie et la Chine. La Chine dispose, par
exemple, de quatre porte-avions, les États-Unis de
beaucoup plus, de beaucoup plus d'armes nucléaires
et de moyens de déclencher également une réponse
armée. De même, les prétendus « dividendes de la
paix » et les avantages politiques qui étaient
censés apparaître avec la chute de l'Union
soviétique ne se sont pas matérialisés.
Aujourd'hui, les États-Unis, comme les démocraties
libérales d'Europe, ont des institutions de
gouvernance dysfonctionnelles, des conditions de
guerre civile entre les factions rivales des
cercles dirigeants et font face à un
mécontentement généralisé et un manque de
légitimité au sein du peuple. Au Canada, les
institutions démocratiques libérales sont
également dysfonctionnelles. L'intégration de
l'économie canadienne dans la machine de guerre
des États-Unis et de l'État canadien dans les
plans impérialistes de domination mondiale des
États-Unis signifie que le scénario de la guerre
civile américaine se répand dans l'arène politique
du pays. Pour faire face à cette situation, on
affirme que le problème des élections, par
exemple, est dû à l'ingérence étrangère de la
Russie, de la Chine ou de l'Iran, plutôt qu'à
l'échec et à la nature raciste et non
représentative de l'ordre constitutionnel en
place, qu'ils veulent que tout le monde respecte.
En outre, tout comme les
États-Unis l'ont fait avec les armes nucléaires,
ils tentent d'imposer leurs règles quant à ce qui
est et n'est pas la cyberguerre, quelles sont les
sanctions et qui a l'autorité de les imposer. En
ce qui a trait aux armes nucléaires, les
États-Unis ont mis en place la notion du secret,
selon laquelle les informations relatives à la
fabrication d'armes nucléaires étaient un secret
d'État et toute personne divulguant de telles
informations était coupable d'espionnage. Ils ont
ensuite appliqué cette notion avec l'inculpation
et l'exécution des Rosenberg, par exemple, en
invoquant l'espionnage.
Des efforts similaires sont déployés concernant
la cyberguerre et la cybersécurité afin d'établir
l'autorité des États-Unis pour agir, imposer des
punitions et justifier la guerre impérialiste.
Ceux qui se rangent du côté de la Russie ou la
Chine peuvent être étiquetés d'agents d'une
puissance étrangère ou coupables de trahison.
Alors que les États-Unis parlent ouvertement de
s'immiscer dans l'Internet cubain, ils font à
nouveau la promotion de leur anticommunisme pour
cibler les nombreuses forces qui appuient Cuba. De
plus, avec les menaces continues de Joe Biden, le
souvenir d'une confrontation nucléaire potentielle
entre la Russie et les États-Unis, comme ce fut le
cas lors de la crise des missiles des années 1960,
a refait surface. De même, soutenir le peuple de
Palestine, exiger la résolution pacifique des
conflits ou s'opposer aux provocations auxquelles
se livrent les États-Unis et l'OTAN dans la région
indo-pacifique sont considérés comme des prises de
position d'inspiration étrangère ou au service d'«
États adversaires ».
Discours de Biden à la NSA sur les cybermenaces
et la cyberguerre
Le 28 juillet, Joe Biden a prononcé un discours
lors d'une réunion des membres des 18 agences de
renseignement des États-Unis à McLean, en
Virginie, au « National Counterterrorism Centre at
Liberty Crossing Intelligence Campus ». Il a
déclaré qu'une cyberattaque provoquerait très
probablement une guerre majeure et a identifié la
Chine et la Russie comme les auteurs probables de
cette attaque. À propos des prochaines élections
de mi-mandat aux États-Unis, il a accusé la Russie
d'ingérence. Il a décrié « la désinformation
rampante qui rend de plus en plus difficile
l'accès des gens à l'information, l'évaluation des
faits, la prise de décision ». Déclarant que « les
États-Unis sont innocents de tout méfait, nous
sommes le paradigme de la démocratie et des droits
humains », il a protesté : « Regardez ce que la
Russie fait déjà à propos des élections de 2022 et
de la désinformation. C'est une violation
flagrante de notre souveraineté. »
Joe Biden a dit à son auditoire : « Vous savez,
nous avons vu comment les cybermenaces, y compris
les attaques par ransomware, sont de plus en plus
capables de causer des dommages et des
perturbations dans le monde réel. Je ne peux pas
le garantir et vous êtes aussi bien informés que
moi, mais je pense qu'il est plus probable que
nous aboutissions – enfin, si nous aboutissons
dans une guerre, une véritable guerre armée avec
une grande puissance, ce sera à la suite d'une
violation cybernétique de grande conséquence. Et
les capacités augmentent de façon exponentielle. »
Il a décrit les agences de renseignement
américaines comme « les yeux et les oreilles du
monde entier », affirmant qu'elles sont « en
première ligne de notre défense nationale et, dans
de nombreux cas, pour le monde, à travers nous ».
Lorsqu'il s'agit de la Russie, Joe Biden parle
comme un véritable voyou. Il adopte un ton
intimiste pour ensuite laisser entendre qu'il est
dans le secret des dieux : « M. Poutine a un vrai
problème, il est assis au sommet d'une économie
qui a des armes nucléaires et des puits de pétrole
et rien d'autre. Rien d'autre. Leur économie est,
quoi, la huitième plus petite du monde maintenant,
ou plus grande du monde ? Il sait qu'il a de vrais
problèmes, ce qui le rend encore plus dangereux, à
mon avis. »
De même lorsqu'il a parlé de la Chine. « Regardez
la Chine. J'ai passé plus de temps que quiconque
avec Xi Jinping en tant que dirigeant mondial.
[...] Il est tout à fait sérieux dans sa volonté
de devenir la force militaire la plus puissante du
monde, ainsi que la plus grande — la plus
importante économie du monde d'ici le milieu des
années 2040. C'est réel. »
Le président américain semble croire que le fait
d'accuser la Russie et la Chine de ce que les
États-Unis eux-mêmes sont en train de faire est la
preuve que la Russie et la Chine, et non les
États-Unis, représentent le plus grand danger pour
la paix mondiale aujourd'hui.
Plus tard dans son discours, le président
américain a laissé entendre qu'il était nécessaire
de travailler avec la Russie et la Chine pour
traiter les « problèmes existentiels » auxquels le
monde entier est confronté, ce qui révèle une fois
de plus comment le monde est mis sur un pied de
guerre. Il a déclaré : « En même temps, nous
devons travailler en coopération avec des nations
comme la Chine et la Russie qui sont nos
concurrents — et peut-être des concurrents mortels
à l'avenir — dans le contexte de la lutte contre
les menaces existentielles, par exemple le
changement climatique. Il y a certaines choses qui
sont dans notre intérêt mutuel. Mais nous ne
pouvons pas nous laisser bercer par l'idée que
c'est suffisant et que nous n'avons pas vraiment
besoin de garder un oeil sur l'objectif ultime de
l'autre équipe. Mais il y a des choses pour
lesquelles nous devrions coopérer. »
Joe Biden nous rappelle qu'une telle coopération
ne doit jamais nous faire perdre de vue la quête
de domination et de contrôle des États-Unis. « Un
réchauffement spectaculaire de l'Arctique ouvre la
voie à la concurrence pour des ressources qui
étaient autrefois difficiles d'accès. [...] J'ai
eu comme une révélation en discurant avec M.
Poutine de ce qu'il pense être la propriété de la
Russie dans l'Arctique. La Chine regarde cela de
très près également. C'est ce que je veux dire à
propos du monde qui change. Qu'est-ce que cela va
faire à notre doctrine stratégique dans les 2, 5,
10, 12 prochaines années, quand vous pouvez
contourner l'Arctique sans brise-glace ? »
Tout cela montre qu'un des principaux objectifs
est d'empêcher les peuples d'examiner calmement
les questions de guerre et de paix de leur propre
point de vue, qui est à leur avantage et qui fait
appel directement au facteur humain. Il s'agit de
détourner et de diviser les luttes antiguerre et
les efforts pour mettre en place des gouvernements
antiguerre en attirant les peuples dans le piège
de regarder les choses du point de vue des riches.
Il faut notamment rejeter leurs prétentions et
leurs attributions en matière de cyberguerre et
plutôt poursuivre des relations d'amitié et de
respect mutuel entre les peuples du monde.
Lors des prochaines élections au Canada, pour
éviter les pièges que les dirigeants tendent au
corps politique, il faut poursuivre tous les
efforts pour défendre les droits de toutes et
tous, appeler à un gouvernement antiguerre,
s'opposer à l'intégration du Canada dans
l'économie de guerre des États-Unis et travailler
à faire du Canada une zone de paix. Ce programme
demeure la clé pour s'assurer que le Canada
devienne une force de paix, et non une force de
guerre comme c'est le cas actuellement.
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 9 - 1er août 2021
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