Quand le passé de l'État canadien raciste est aussi son présent
- Philip Fernandez -
Aujourd'hui, au Canada, plus de 52 % des enfants
placés en famille d'accueil sont autochtones. Le
taux de suicide parmi les jeunes autochtones est
trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Le
taux de suicide des enfants et des jeunes inuits
est 33 fois plus élevé que celui des enfants non
autochtones. Près de 50 % des enfants autochtones
vivent dans la pauvreté. En dépit de ces faits, le
gouvernement libéral de Justin Trudeau continue de
nier les droits issus de traités des enfants
autochtones et de leurs familles à des services de
base comme l'éducation, les soins de santé, le
logement et l'eau potable dans plus de 30
communautés.
Cindy Blackstock (à droite) à Ottawa
exigeant le même niveau de financement
pour les programmes sociaux destinés aux
enfants autochtones
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Cindy Blackstock, membre de la Première Nation
Gitxsan, directrice générale de la Société de
soutien à l'enfance et à la famille des Premières
Nations du Canada et professeure à l'Université
McGill, a dénoncé la désinformation que fait le
gouvernement Trudeau lorsqu'il affirme que les
crimes de l'État canadien contre les peuples
autochtones appartiennent au passé. Elle souligne
que le gouvernement libéral continue d'intenter
des procès contre les enfants autochtones, qu'il
continue de refuser aux enfants autochtones le
même niveau de financement des programmes sociaux
qu'aux autres enfants et qu'il refuse de se
conformer à la décision du Tribunal canadien des
droits de la personne de 2016 qui lui ordonne de
verser 40 000 $ d'indemnisation à chacun de 50 000
enfants autochtones pour sa négligence et son
refus de leur fournir des services. Elle souligne
que le refus de financer adéquatement les services
destinés aux enfants autochtones a directement
entraîné des niveaux plus élevés de séparation des
familles aujourd'hui que pendant la période des
pensionnats.
Cindy a écrit un article poignant intitulé «
Screaming into silence » (crier dans le silence)
publié le 30 juin par le magazine Maclean's.
Elle y démontre avec éloquence que les crimes
commis à l'encontre des enfants et des peuples
autochtones n'appartiennent pas au passé mais au
présent :
« Les survivants des pensionnats indiens savaient
où les enfants étaient enterrés, car certains
d'entre eux avaient creusé leurs tombes. Ils ont
présenté leurs vérités à la Commission de vérité
et de réconciliation et ont donné au pays un plan
national dans leurs 94 appels à l'action pour
mettre fin aux injustices dont a été victime cette
génération d'enfants des Premières Nations, Métis
et Inuits, et pour s'assurer que rien de tel ne se
reproduise. Certains d'entre nous les ont
entendus, mais ce qu'ils ont dit était trop
conflictuel pour la plupart, alors les gens ont
dit qu'il s'agissait d'‘histoires' et ont détourné
le regard. Les survivants ont dû avoir
l'impression de crier dans le silence.
« Les enfants enterrés
sont morts effrayés et seuls, loin de leur
famille, dans des 'écoles' qui ressemblaient
davantage à des camps de rééducation, dirigés par
le gouvernement canadien et les églises
chrétiennes des années 1830 à 1996. Beaucoup
auraient pu survivre si la volonté du public avait
forcé Ottawa à mettre en oeuvre les réformes
salvatrices proposées par le Dr Peter Henderson
Bryce, médecin hygiéniste en chef du ministère des
Affaires indiennes en 1907. Le Dr Bryce a
découvert que la tuberculose ravageait les enfants
mal nourris à un taux 20 fois supérieur à celui
des autres enfants, en raison de l'inégalité
dramatique du financement de la santé
des 'Indiens' et des mauvaises pratiques
sanitaires. Comme le titrait l'Evening Citizen
en 1907, il y avait 'une inattention absolue
aux besoins les plus élémentaires en matière de
santé' et les écoles étaient 'de véritables
foyers de maladie'. D'autres journaux ont écrit
que les enfants 'mouraient comme des
mouches', ce qui a fait dire à l'avocat Samuel
Hume Blake, en 1908, que 'dans la mesure où
le Canada ne parvient pas à éviter les causes
évitables de décès, il se rapproche
désagréablement de l'homicide involontaire'.
« Le Canada a refusé d'appliquer les réformes de
Bryce et l'a évincé de la fonction publique en
1922 pour avoir refusé de se taire. La même année,
Bryce entre dans les locaux du libraire d'Ottawa
James Hope & Sons avec son pamphlet intitulé The
Story of a National Crime (récit d'un crime
national). D'autres manchettes ont suivi, mais
l'histoire s'est éteinte, tout comme les enfants.
Bryce est mort en 1932 et il a été effacé de
l'histoire du Canada. Sa famille dit que son plus
grand chagrin était que 'le travail n'a pas été
fait'. Il devait avoir l'impression de crier lui
aussi dans le silence.
« Les parents des Premières Nations, des Métis et
des Inuits ont souvent pris la parole mais ont été
ignorés, et beaucoup ont été arrêtés pour avoir
refusé d'envoyer leurs enfants dans ces pièges
mortels. Pendant que les parents étaient en
prison, le gouvernement prenait les enfants. Au
fil des décennies, des gens de tous les horizons
ont régulièrement signalé au gouvernement fédéral
des cas d'abus, de négligence et de décès
d'enfants dans les pensionnats. Le Canada a
simplement attendu que la tempête médiatique passe
et a poursuivi ses activités comme si de rien
n'était. »
C'est précisément ce que
le Canada espère voir se produire aujourd'hui
également. S'exprimer et briser le silence est la
clé pour s'assurer que l'on mette un terme au
refus des gouvernements d'accomplir leur devoir et
de s'en tirer à bon compte. Cindy poursuit :
« Je suis née en 1964 dans le nord de la
Colombie-Britannique. J'aurais pu être dans l'une
de ces écoles, mais j'ai été épargnée. Je me
souviens d'avoir été la seule enfant 'indienne' de
ma classe et de m'être demandée où étaient les
autres enfants indiens. Les habitants de la ville
avaient une réponse à cette question : les Indiens
étaient trop bêtes pour apprendre, étaient des
ivrognes et grandiraient pour devenir des assistés
sociaux.
« J'ai commencé à entendre la vérité sur les
pensionnats indiens des décennies plus tard.
D'abord faiblement, puis avec de plus en plus de
force lorsque les survivants ont raconté leurs
vérités, avec beaucoup de douleur, afin de
s'assurer que cela n'arriverait jamais à leurs
petits-enfants. Tout avait un sens : pourquoi tant
de gens engourdissaient la douleur par l'alcool et
la drogue, pourquoi d'autres disparaissaient et
mouraient dans un silence public assourdissant. Le
projet colonial du gouvernement a été rendu
possible en nourrissant délibérément la population
d'un régime constant de distractions, de
désinformation et de stéréotypes.
« Le premier ministre parle des horreurs et des
injustices au passé, probablement pour éviter de
rendre compte des graves préjudices que le
gouvernement continue d'infliger à la génération
actuelle d'enfants des Premières Nations, Métis et
Inuits.
« Le Canada a utilisé la Loi sur les Indiens
pour pousser les enfants dans les
pensionnats, et elle est toujours en vigueur. Le
pays dit que je suis une 'Indienne inscrite'. J'ai
une carte qui le dit, mais elle a expiré il y a
des décennies et je n'ai pas l'intention de la
renouveler. Je ne veux pas faire partie du jeu
raciste du Canada.
« Pourtant, je suis un joueur dans ce jeu
colonial méchant, et vous aussi. La Loi sur
les Indiens est toujours en vigueur malgré
une commission royale qui a établi un plan de 20
ans pour s'en débarrasser en 1996, et les
inégalités dans la fonction publique que Bryce a
signalées il y a plus d'un siècle.
« Cent ans après le rapport de Bryce, la Société
de soutien à l'enfance et à la famille des
Premières Nations et l'Assemblée des Premières
Nations ont intenté une action en justice contre
le gouvernement fédéral pour atteinte aux droits
humains. Le Canada a combattu l'affaire bec et
ongles, en s'appuyant sur des détails techniques
juridiques dépourvus de toute considération
sérieuse sur la façon dont les inégalités
affectaient les enfants autochtones séparés de
leur famille et placés en famille d'accueil à des
taux plus élevés que dans les pensionnats,
subissant des dommages irrémédiables et, dans
certains cas, la mort. En 2016, le Tribunal des
droits de la personne a ordonné au Canada de
cesser immédiatement son comportement
discriminatoire. Le gouvernement a salué la
décision, puis ne s'y est pas conformé. Le
tribunal a été contraint d'émettre 19 autres
ordonnances et a établi un lien entre la
non-conformité continue du Canada et les
placements inutiles en famille d'accueil de
nombreux enfants et le décès de trois d'entre eux.
« J'avais l'habitude de savoir combien coûtaient
les cercueils d'enfants parce que je devais si
souvent recueillir des fonds pour eux.
Shannen Koostachin était une leader parmi les
jeunes autochtones qui se battaient pour des
écoles sûres. Les jeunes ci-dessus portent leurs
revendications sur la Colline du Parlement.
« Le Canada n'a pas tué les enfants
directement – il les a placés dans des
situations où leur mort était beaucoup plus
probable. Des enfants comme Jordan River Anderson,
qui est mort à l'hôpital en 2005 à l'âge de cinq
ans, sans avoir passé un seul jour dans un foyer
familial, parce que le Canada et le Manitoba se
disputaient le paiement de ses soins à domicile en
raison de son appartenance aux Premières Nations.
Ou comme Shannen Koostachin, 15 ans, une leader
crie inspirante dans le domaine de l'éducation qui
s'est battue toute sa vie pour des 'écoles en
sécurité' pour les élèves des Premières Nations
avant de mourir dans un accident de voiture en
2010, à des centaines de kilomètres de sa famille
parce qu'il n'y avait pas d'école secondaire dans
sa communauté. Puis il y a eu les sept jeunes des
Premières Nations retrouvés dans une rivière à
Thunder Bay, en Ontario, après y avoir fréquenté
une école secondaire parce qu'Ottawa était trop
gratte-sous pour en construire une près de leur
communauté. Tous les enfants ne sont pas morts,
bien sûr, mais d'autres n'ont jamais vu de l'eau
propre sortir d'un robinet ou ont grandi dans des
foyers d'accueil à un taux 14 fois plus élevé que
les autres enfants en raison du traumatisme
multigénérationnel des pensionnats et des services
publics fédéraux inéquitables.
« À la mi-juin, des
ministres fédéraux qui ont porté des chemises et
des rubans orange ont tenu des conférences de
presse sur l'autorisation des noms des Premières
Nations sur les passeports canadiens et, plus
concrètement, sur la transposition de la
Déclaration des Nations unies sur les droits des
peuples autochtones dans le droit canadien. Je
n'ai pas pu assister à ces conférences parce que
j'étais à la Cour fédérale en train de regarder
les avocats du Canada tenter d'annuler deux
ordonnances de tribunaux l'obligeant à dédommager
les enfants des Premières Nations qu'il avait
soumis à la discrimination (et ce sont toujours
des enfants) et à éviter de payer les services
publics pour les enfants autochtones vivant hors
réserve et sans statut au titre de la Loi sur
les Indiens. J'ai également assisté à une
conférence de presse avec des survivants du
pensionnat de Sainte-Anne, dans le nord-est de
l'Ontario, qui souhaitaient que le gouvernement
fédéral abandonne sa bataille juridique contre
eux. Cette école disposait d'une chaise électrique
artisanale pour punir les élèves. »
Cindy conclut en écrivant : « Je crois que ces
215 et 751 petits esprits enterrés sur les
terrains des pensionnats de Kamloops et de
Marieval sont venus pour s'assurer que le travail
soit fait. Nous devons continuer à parler aux élus
de la Commission de vérité et de réconciliation,
même si nous pensons qu'ils n'écoutent pas, car en
fin de compte, ils nous entendront tous dans
l'isoloir. »
L'appel lancé au gouvernement Trudeau pour qu'il
mette fin aux crimes du gouvernement canadien
contre les peuples autochtones aujourd'hui est une
demande juste. Les Canadiens doivent l'exprimer
haut et fort et le gouvernement doit être tenu
responsable de ses crimes du présent.
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 8 - 4 juillet 2021
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