De micro-organismes et de glyphosate
- Peter Ewart -
Chaque année, une grande partie de l'Amérique du
Nord et du monde est inondée par l'herbicide
glyphosate (la substance essentielle dans le
Roundup). Est-ce qu'un tel épandage est
sécuritaire ? Ou vivons-nous dans une immense
éprouvette ?
Depuis 1974, aux États-Unis, 1,8 million de
tonnes ont été épandues sur les cultures, les
forêts, les accotements de routes, les voies
navigables, les terrains de golf et les terrains
d'écoles. À l'échelle mondiale, 9,4 millions de
tonnes ont été épandues[1].
En Colombie-Britannique, l'herbicide a été
pulvérisé sur des centaines de milliers d'hectares
de forêts, alors que les études indiquent que le
résidu peut demeurer dans certaines plantes
forestières jusqu'à 12 ans[2].
Depuis les années 1990, lorsque le glyphosate a
été jumelé avec les cultures ayant été
génétiquement modifiées pour y résister, comme le
maïs et les fèves de soya génétiquement modifiés,
son utilisation a été multipliée par 15. Cela a
fait en sorte que le résidu de glyphosate a été
décelé dans 85 % des 10 000 aliments mis à l'essai
aux États-Unis, y compris le maïs, le miel, les
céréales du déjeuner, les aliments pour bébés, les
craquelins, les biscuits, les champignons, les
raisins et les haricots verts[3].
Ce produit chimique a initialement été fabriqué
en tant que chélateur minéral pour nettoyer les
chaudrons et les tuyaux, mais en 1974 la société
Monsanto s'est mise à le promouvoir comme
herbicide à large spectre pouvant tuer abondamment
la végétation considérée comme des mauvaises
herbes, et qui prétendument n'était pas nocif pour
les autres formes de vie, y compris les humains et
les animaux[4].
Le glyphosate agit en bloquant l'action d'un
important enzyme au niveau cellulaire dans « la
voie du shikimate » qui n'est présente que dans
les plantes[5][6]. Cet enzyme est
responsable de la synthétisation de trois acides
aminés essentiels à la fabrication de protéines.
Sans cet enzyme, la plante meurt affamée.
Cependant, les vertébrés tels les humains n'ont
pas cette voie de shikimate et, conséquemment, le
raisonnement de Monsanto est que, selon les études
« indépendantes », le glyphosate n'a aucun impact
négatif sur la santé humaine ou animale[7]. (À noter qu'il
a été prouvé que certaines de ces soi-disant
études ont été fabriquées par Monsanto elle-même.)
Quoi qu'il en soit, la conclusion de Monsanto est
remise en cause par de nombreuses autres études
menées par les communautés scientifiques,
médicales et environnementales. L'une des raisons
importantes mises de l'avant est que Monsanto omet
un composant essentiel. Il s'agit des mille
milliards de micro-organismes qui font partie du
microbiome humain et animal, actifs entre autres
dans les intestins et les autres organes du corps.
Contrairement aux humains et aux animaux, la
plupart de ces micro-organismes ont une voie de
shikimate et pourraient, par conséquent, être
vulnérables au glyphosate[8].
Ces micro-organismes – bactéries, champignons,
virus et archées – jouent un rôle essentiel dans
la digestion des aliments dans le système digestif
des humains et des animaux, sans parler du réglage
du système immunitaire et d'autres fonctions
vitales. Sans ces milles milliards de
micro-organismes en nous, dont plusieurs ont une
relation symbiotique avec notre corps, nous
tomberions malades ou décéderions. Notre
connaissance est encore limitée au sujet de
l'interaction complexe entre les micro-organismes
et notre corps, mais nous savons par contre que la
dysfonction du microbiome intestinal est associée
à une panoplie de maladies, y compris certains
cancers, les maladies cardiovasculaires, le
diabète, la maladie de Crohn, les allergies, les
maladies inflammatoires des intestins et d'autres[9].
En ce moment, plus de 96 000 contentieux sont
devant les tribunaux aux États-Unis, plaidés par
des gens qui ont été exposés au glyphosate et qui
ont eu des cancers comme le lymphome non
hodgkinien et le myélome multiple, ainsi que
d'autres maladies[10].
De récentes études ont aussi démontré que le
glyphosate peut avoir un « impact perturbateur »
sur les micro-organismes qui vivent à l'intérieur
des insectes, y compris les abeilles[11], les
moustiques[12]
et les scarabées[13],
ainsi que sur les micro-organismes et champignons
qui sont essentiels à la santé même du sol.
L'impact sur les abeilles domestiques est
particulièrement inquiétant puisque le glyphosate
peut réduire de façon dramatique « l'abondance
d'espèces bactériennes bénéfiques qui contribuent
au système immunitaire et à la résistance aux
pathogènes »[14].
Sans oublier que les abeilles jouent un rôle
économique des plus essentiels à la pollinisation
des cultures et la fabrication du miel et d'autres
produits.
Herb Martin de Stop the Spray BC[15]
(Arrêtez l'épandage, Colombie-Britannique), qui
est basé dans le centre intérieur de la
Colombie-Britannique, croit que l'épandage de
glyphosate peut aussi avoir des impacts négatifs
sur les systèmes digestifs des orignaux, alors
qu'on rapporte que des orignaux sont morts de faim
quoique leurs estomacs étaient encore remplis de
brindilles non digérées. À date, il n'y a pas
d'études scientifiques sur le sujet. Pour Martin,
en grande partie, le problème est là : le
glyphosate est largement épandu sur nos terres et
nos voies maritimes et, pourtant, malgré de
vaillants efforts de la part d'une poignée de
scientifiques, il reste énormément de recherche à
faire sur les impacts sur les humains, les animaux
et l'environnement. Il souligne que Monsanto
prétend depuis des décennies que le glyphosate ne
reste pas dans l'environnement au-delà de 30 jours
après son épandage. Il a été démontré que cette
prétention est complètement fausse, mais le
glyphosate continue d'être largement utilisé,
alors que les humains, les animaux et les insectes
sont réduits, en fin de compte, au rôle de sujets
de laboratoire.
Le problème du glyphosate met en lumière le
problème des forces productives hors de contrôle
en Amérique du Nord et dans le monde. Les
développements en sciences et en technologie
peuvent être et sont d'un grand bienfait pour
l'humanité. Mais s'ils sont détournés par des
intérêts étroits et le profit privé aux dépens de
l'intérêt public, les problèmes et même les
désastres surgissent. Par exemple, un produit
chimique comme le glyphosate n'est pas
nécessairement mauvais en soi. En ce sens, il est
comme tous les autres produits chimiques puissants
et toxiques qu'on découvre. Ces produits chimiques
doivent être évalués pour voir s'ils peuvent jouer
un rôle positif ou négatif en termes de la santé
humaine et de l'environnement, plutôt que de
n'être qu'un simple chiffre dans le bilan
comptable d'entreprises multinationales comme
Monsanto qui ont recours à des études douteuses
pour promouvoir leurs produits.
En ce moment, cet herbicide est hors de contrôle
dans plusieurs régions du monde. Il doit être
contrôlé, ce qui comprend l'interdire
intégralement (par exemple, en interdisant
immédiatement tout épandage sur les forêts et
terres) ou en cessant progressivement son épandage
sur les cultures et autres, et en adoptant des
méthodes plus sécuritaires pour éliminer les
mauvaises herbes. Il faut aussi plus d'études
compréhensives, indépendantes et compétentes avant
que de tels produits chimiques ne soient répandus
dans la nature et sur le public.
Notes
1. « Glyphosate fact
sheet : Cancer and other health concerns »,
USRTK, 1er octobre 2020
2. N. Botten, L.J. Wood,
et J.R. Werner. « Glyphosate remains in forest
plant tissues for a decade or more », Forest
Ecology and Management, 26 avril 2021
3. « Glyphosate fact
sheet », USRTK
4. Don Huber, «
Disrupting the integrity of Nature - Pesticides
and genetic engineering », Pesticides and
you, volume 37, numéro 2, été 2017
5. Université de Turku,
« Glyphosate may affect human gut microbiota »,
Science Daily, 20 novembre 2020
6. Pesticide Action
Network Europe, « Alternative methods in weed
management to the use of glyphosate and other
herbicides », 2017
7. Carey Gillam, Whitewash
: The story of a weed killer, cancer, and the
corruption of science, Island Press,
Washington, 2017
8. Université deTurku, «
Glyphosate may affect human gut microbiota »
9. « Daily News Blog »,
Beyond Pesticides, 30 avril 2021
10. « Glyphosate fact
sheet », USRTK
11. Motta et Morana, «
Impact of glyphosate on the honey bee gut
microbiota », NIH, National Library of Medicine,
2020
12. « Ingredient in
common weed killer impairs insect immune
systems, study suggest », John Hopkins
University Bloomberg School of Public Health, 13
mai 2021
13. Philip Kieffer, «
The main ingredient in RoundUp doesn't just kill
plants. It harms beetles, too », Popular
Science, 13 mai 2021
14. Erick V.S. Motta
and Nancy Morana, « Impact of glyphosate »
15. Stop the
Spray BC
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 8 - 4 juillet 2021
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