Au parlement
Des projets de loi incohérents et des procédures en crise
- Anna Di Carlo -
Le Parlement a ajourné le mercredi 23 juin à la
suite d'une session remplie de lois incohérentes
et de procédures en crise. Il doit reprendre ses
travaux le 20 septembre, mais rien n'est sûr car
les spéculations abondent sur la possibilité que
le gouvernement Trudeau déclenche des élections
fédérales avant cette date. Malgré tout, une heure
avant l'ajournement du parlement pour la pause
estivale, les libéraux ont déposé un nouveau
projet de loi dit contre le discours haineux
accompagné de la menace d'une réglementation
accrue des médias sociaux à venir. Ce projet de
loi vise à permettre au gouvernement d'utiliser
ses pouvoirs de police pour restreindre la liberté
d'expression lorsqu'il s'agit du droit du peuple
de s'exprimer et de communiquer ses points de vue,
ses pensées et ses opinions sur des questions qui
préoccupent le corps politique, tout en donnant le
feu vert aux autorités à divers niveaux pour
diffamer et criminaliser les personnes qui
refusent de se soumettre à ce que les autorités
ont sommairement déclaré être les valeurs
canadiennes.
Tout au long de cette session parlementaire, le
gouvernement s'est livré à de nombreuses
manigances afin de faire pencher la balance en sa
faveur si des élections sont déclenchées. Cela
amène l'électorat à se demander sérieusement
comment il devrait réagir dans son intérêt, et non
dans celui du système de gouvernement de partis
cartellisés dont le principal objectif est de
priver le peuple du pouvoir.
Avec la récente défection organisée d'une députée
du Parti vert, les libéraux ont maintenant 155
députés sur un total de 338. Il leur manque 15
députés pour obtenir la majorité, ce qui veut dire
que les manoeuvres se multiplient pour recruter ce
qu'ils appellent des candidats vedettes et pour
s'assurer que les candidats des partis
d'opposition soient écartés de la compétition
électorale de diverses manières. Le gouvernement
libéral minoritaire a réussi à faire adopter ses
projets de loi principalement avec l'appui des 32
députés du Bloc Québécois et des 24 députés du
NPD.
En même temps, pour s'assurer que les libéraux
contrôlent le Sénat, Justin Trudeau a annoncé le
22 juin ses dernières nominations à la « Chambre
rouge », qui sont des postes très intéressants
accordés pour services rendus. Les personnes
nouvellement nommées sont Hassan Yussuff,
Bernadette Clement et James Quinn. Hassan Yussuff
était jusqu'à trois jours avant sa nomination
président du Congrès du travail du Canada et il
était très apprécié pour avoir appuyé les libéraux
lors des négociations de l'accord de libre-échange
qui attaque de multiples façons la classe ouvrière
aux États-Unis, au Canada et au Mexique.
Bernadette Clement est l'ancienne mairesse de
Cornwall, en Ontario, une ville frontalière
importante avec les États-Unis qui se trouve sur
des terres autochtones. James Quinn est
président-directeur général de l'Administration
portuaire de Saint John. Selon son site Web, «
Port Saint John, le plus grand port de l'Est
canadien en termes de volume, traite en moyenne
chaque année 28 millions de tonnes métriques de
marchandises diversifiées, dont du vrac solide et
liquide, des marchandises diverses et des
conteneurs » et offre « des liaisons
internationales vers plus de 500 ports dans le
monde, permettant ainsi d'accéder facilement aux
marchés intérieurs du centre du Canada au moyen
des réseaux ferroviaires et routiers » et «
facilite les échanges commerciaux et offre un
point d'accès maritime aux marchés mondiaux ».
La nomination de ces trois sénateurs porte à 55
le nombre total de sénateurs nommés par les
libéraux en deux mandats. Cela veut dire que les
nominations du Parti libéral sont désormais
majoritaires à la Chambre, même si les sénateurs
libéraux sont considérés comme indépendants. Douze
des 105 sièges du Sénat demeurent vacants.
Les projets de loi envoyés au Sénat avant que la
Chambre ne termine sa session comprennent le
projet de loi C-6 : Loi modifiant le Code
criminel (thérapie de conversion); le
projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur
la radiodiffusion; le projet de loi C-12 :
Loi concernant la transparence et la
responsabilité du Canada dans le cadre de ses
efforts pour atteindre la carboneutralité en
2050; et le projet de loi C-30 : Loi
portant exécution de certaines dispositions du
budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et
mettant en oeuvre d'autres mesures.
Les pressions sur le Sénat pour adopter ces
projets de loi ont provoqué un tollé parce qu'ils
ont été envoyés aux sénateurs à la dernière
minute. C'est notamment le cas du projet de loi
C-10, qui suscite une controverse quant à savoir
si les messages publiés par les particuliers sur
les médias sociaux seront désormais réglementés et
contrôlés par des algorithmes que le gouvernement
souhaite voir sur les plateformes de médias
sociaux, au nom de la promotion de la
découvrabilité du contenu canadien. L'opposition
au Sénat soutient que ce projet de loi constitue
une menace pour la liberté d'expression et
s'oppose également à la manière dont le projet de
loi a été adopté précipitamment à la chambre.
Le fait que le projet de
loi C-10 soit parvenu au Sénat sans que quiconque
à la Chambre ou au Sénat ait pu se prononcer de
manière définitive sur son contenu ou sa portée
montre à quel point les délibérations
parlementaires sont tombées bas. Julie Dabrusin,
secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine
canadien, affirme que le projet de loi C-10 «
exempte expressément les contenus téléchargés par
les utilisateurs », alors que d'autres personnes,
dont l'expert en droit de la radiodiffusion
Michael Geist, insistent sur le contraire. Dans le
même ordre d'idées, la sénatrice Pamela Wallin a
insisté au Sénat sur le fait que « les messages
Facebook, les messages YouTube et tout cela sont
susceptibles d'être soumis à la découvrabilité par
les grandes entreprises technologiques », ce à
quoi le sénateur Dennis Dawson a répondu que ce
n'était pas le cas : « Croyez-moi : cela ne
s'applique pas aux particuliers. Cela s'applique
aux organisations. La liberté de parole et
d'expression des gens ne sera pas altérée par ce
projet de loi. »
Ce qui ressort clairement de ce projet de loi
complexe, c'est qu'il s'agit d'une loi qui élargit
considérablement les pouvoirs réglementaires du
Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes et du Cabinet, avec
de nombreuses dispositions qui s'en remettent
simplement aux directives qui seront émises par le
Cabinet quant à la façon dont le Conseil exercera
ses pouvoirs réglementaires. Il s'agit d'une
concentration excessive des pouvoirs décisionnels.
Un autre nom de pouvoirs décisionnels excessifs
est pouvoirs de police.
En fin de compte, bien que le Sénat soit dominé
par les libéraux, les sénateurs ont refusé
d'accélérer l'adoption du projet de loi modifiant
la Loi sur la radiodiffusion et du
projet de loi sur la thérapie de conversion,
choisissant plutôt de les renvoyer en comité.
L'irrationalité triomphe
Une autre question qui montre l'étendue de
l'irrationalité qui prévaut concerne la manière
dont une élection doit être conduite si déclenchée
pendant une pandémie.
En octobre 2020, le
directeur général des élections, Stéphane
Perrault, a demandé que des modifications soient
apportées à la Loi électorale du Canada afin
de répondre aux inquiétudes en matière de santé et
de sécurité si une élection était déclenchée
pendant la pandémie. Le projet de loi C-19, Loi
modifiant la Loi électorale du Canada (réponse à
la COVID-19), a été déposé en décembre
2020. Le Comité permanent de la procédure et des
affaires de la Chambre (PROC) a déposé son rapport
et ses amendements finaux au projet de loi C-19
deux jours avant le congé d'été prévu, mais il n'a
pas été retenu comme projet de loi prioritaire par
les libéraux.
La façon dont la Chambre des communes a traité ce
projet de loi montre non seulement un mépris total
pour la santé et la sécurité des électeurs et des
travailleurs électoraux, mais aussi la facilité
avec laquelle une main contredit ce que fait
l'autre. En mai 2021, les députés de la Chambre
des communes ont adopté à l'unanimité une motion
déclarant qu'aucune élection ne devrait être
déclenchée avant la fin de la pandémie. À
l'unanimité, cela veut dire que cela incluait les
libéraux. Certains députés ont même déclaré que la
motion était excellente parce qu'elle donnerait
plus de temps au PROC pour étudier le projet de
loi C-19 – le projet de loi même qui établit les
conditions d'une élection pendant une pandémie.
Le projet de loi C-19 montre également un mépris
pour Élections Canada, puisqu'il remplace les
conseils d'experts de l'organisme par des
préférences de parti largement inexpliquées. S'il
avait été adopté, le projet de loi C-19 aurait
prolongé la durée du scrutin d'une seule journée
de 12 heures, le lundi, à trois journées de 12
heures, le samedi, le dimanche et le lundi. Cela
aurait été fait même si Élections Canada a demandé
des journées de huit heures le samedi et le
dimanche pour faire face aux difficultés
d'embaucher 250 000 travailleurs électoraux pour
des journées de 12 heures pendant une pandémie, la
plupart étant des personnes âgées. Élections
Canada a également dit que le vote en fin de
semaine de deux jours aiderait à sécuriser les
lieux de vote, ce qui faciliterait la
distanciation physique. Même après que le
directeur général d'Élections Canada ait témoigné
devant le PROC une deuxième fois pour réitérer ses
raisons, les membres du PROC ont maintenu leurs
propres préférences.
Élections Canada n'a eu d'autre choix que
d'annoncer qu'il sera prêt à mener des élections
en toute sécurité, en utilisant les pouvoirs
d'adaptation existants du directeur général des
élections pour régler les problèmes qui
surviennent en matière de santé et de sécurité des
électeurs et du personnel électoral.
Coïncidence, juste après l'ajournement du
parlement, les restrictions sur les rassemblements
publics ont commencé à être levées et des
directives compliquées ont été publiées sur ce qui
est sécuritaire et ce qui ne l'est pas. Cela a
alimenté les spéculations qu'une élection pourrait
être déclenchée parce que les conditions de
pandémie n'existeraient plus.
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 8 - 4 juillet 2021
Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2021/Articles/L510081.HTM
Site Web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
|