Mexique, glyphosate et Bayer-Monsanto
Le Mexique est l'ancienne patrie du maïs.
Pendant des milliers d'années, ce sont les Mayas
et d'autres méso-américains qui ont développé le
maïs (également connu sous le nom de maíz) en
une culture, utilisant ses nombreuses variétés
comme aliment de base pour nourrir leurs
civilisations[1].
C'est cet aliment sacré qui est aujourd'hui
menacé par les multinationales chimiques et le
gouvernement des États-Unis qui exigent que le
Mexique garde ses portes ouvertes au désherbant
glyphosate et au maïs génétiquement modifié.
En décembre 2020, répondant aux agriculteurs,
aux peuples autochtones et à d'autres, le
président du Mexique, Andres Obrador, a publié
un décret éliminant progressivement le
glyphosate d'ici 2024. Le décret indique que «
ces dernières années, différentes enquêtes
scientifiques ont averti que ledit produit
chimique avait des effets nocifs sur la santé, à
la fois chez l'homme et chez certaines espèces
animales, et a été identifié comme un
cancérogène probable chez l'homme par le Centre
international de recherche sur le cancer. »
À cet égard, le
Mexique n'est pas le seul à être préoccupé. Aux
États-Unis et au Canada, des milliers de
poursuites et de protestations ont été lancées
contre Bayer-Monsanto (la multinationale géante
qui fabrique du glyphosate) au motif que le
produit chimique causait le cancer et d'autres
maladies. Par exemple, un jardinier d'une école
californienne qui utilisait du glyphosate dans
ses fonctions s'est récemment vu octroyer 289
millions $ de dommages-intérêts par un jury
après avoir contracté un cas terminal de
lymphome non hodgkinien. Bayer-Monsanto a même
été contraint d'annoncer qu'il versera 10,9
milliards $ dans un fonds pour régler des
dizaines de milliers d'affaires judiciaires.
Le glyphosate est un produit chimique qui «
inhibe la photosynthèse (le processus de
fabrication de nouveaux tissus) chez les
plantes, ce qui en fait un désherbant très
efficace » [2].
Les plantes qui ne résistent pas à ses effets se
dessèchent et meurent. Dans le monde, environ
820 millions de kilogrammes sont utilisés chaque
année, dont une grande partie en Amérique du
Nord. Le désherbant a été développé pour la
première fois par Monsanto en 1974 et
commercialisé sous le nom de « Roundup ». Mais
la production a vraiment décollé après que la
société a introduit les cultures « Roundup Ready
» en 1996.
Ces cultures, dont le maïs, le soja et le
canola, ont été génétiquement modifiées pour
tolérer le glyphosate. Ainsi, les champs
pourraient être arrosés avec le produit
chimique, tuant les mauvaises herbes, mais
permettant aux cultures commerciales de
survivre. En outre, il est également utilisé
pour pulvériser des terrains de golf, des
terrains de jeux scolaires et d'autres sites,
ainsi que des terres forestières à l'intérieur
de la Colombie-Britannique afin de tuer les
espèces d'arbres à feuilles larges et de
promouvoir les « arbres payants » que sont
l'épinette et le pin[3].
Aujourd'hui, une grande partie des cultures de
céréales et de légumineuses au Canada et aux
États-Unis dépend d'une manière ou d'une autre
de la pulvérisation de glyphosate. Les
États-Unis exportent chaque année environ 3
milliards de dollars de maïs génétiquement
modifié tolérant au glyphosate vers le Mexique,
ce qui rend le Mexique dépendant d'un pays
étranger pour une grande partie de sa nourriture
de base. Ce maïs est fortement subventionné par
le gouvernement américain, ce qui rend la
concurrence difficile pour les agriculteurs
mexicains.
En
raison de son utilisation généralisée, le
produit chimique s'infiltre dans presque tous
les aspects de la vie, que ce soit la
nourriture, le sol, l'eau ou l'air. Par exemple,
en 2015-2016, des résidus de glyphosate ont été
détectés dans 36,6 % des produits céréaliers,
47,4 % des haricots, pois et lentilles et 11 %
des produits du soja. Un peu plus de 31 % des
aliments pour bébés à base de céréales
contiennent ce produit chimique. Il a également
été trouvé dans la bière et d'autres produits.
Le problème est aggravé au Mexique parce que les
gens y mangent en moyenne une livre de maïs par
jour, dont une grande partie est importée.
Un problème supplémentaire pour le Mexique est
que ce maïs génétiquement modifié importé des
États-Unis menace les diverses espèces indigènes
de maïs développées au fil des siècles par les
agriculteurs mexicains. Pour cette raison et
d'autres, le décret présidentiel mexicain
bloquera également l'importation de maïs
génétiquement modifié d'ici 2024.
Selon le président Lopez Obrador, l'objectif du
décret est de mettre « le pouvoir politique
d'abord et avant tout au service de l'intérêt
public » et du « bien-être général de la
population », et « non des intérêts privés ». Il
s'agit d'être « conforme aux traditions
agricoles du Mexique »[4] et
d'atteindre l'autosuffisance et la souveraineté
alimentaire.
En réponse, les administrations américaines
successives ont fait pression sur le
gouvernement mexicain pour qu'il révoque le
décret. Divers documents divulgués ont révélé
comment de hauts responsables du gouvernement
américain ont travaillé en étroite collaboration
avec Bayer-Monsanto pour forcer le Mexique à
reculer[5].
Cela est arrivé au gouvernement thaïlandais qui,
selon certains observateurs, a annulé
l'interdiction du glyphosate après la pression
de responsables américains et de Bayer-Monsanto[6]. Cependant,
jusqu'à présent, le Mexique n'a pas changé sa
position malgré les menaces que les dispositions
de l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM)
pourraient être utilisées contre lui ainsi que
d'autres moyens. Dix-sept poursuites devant les
tribunaux ont été déposées contre le décret pour
l'interdire mais aucune n'a réussi jusqu'à date.
C'est en effet l'une des grandes ironies du
modèle actuel de mondialisation dominée par les
entreprises que le pays même qui a créé le maïs
cultivé pour les peuples du monde se voit
maintenant enfoncer une version frelatée et
toxique dans la gorge.
Notes
1.
Fussell, Betty, « The Story of Corn »,
University of New Mexico Press, 1992
2. Environmental Defence, «
What's in your lunch. How glyphosate finds
its way into your children's food »
3. Stop the Spray BC
4. Pesticide Action Network,
« Mexico ousts glyphosate and GM corn »
5. Stancil, Kenny, « Emails
reveal US officials joined with agrochemical
giant Bayer to stop Mexico's glyphosate ban.
» Common Dreams, 16 février 2021
6. Tanakasempipat, Patpicha,
« Bayer campaign against glyphosate ban
revealed. » Bangkok Post, 18
septembre 2020
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 7 - 6 juin 2021
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