Les forêts québécoises sont plus que des arbres à abattre
- Pierre Soublière -
Aujourd'hui, les élites dirigeantes continuent
leur poursuite insouciante et socialement
irresponsable du profit maximum et promeuvent
leurs manoeuvres pour payer les riches, tout en
prétendant se préoccuper de l'avenir de la Terre
Mère. Il y a quelque chose de clownesque, de
profane et de sordide à la fois que de prendre
de telles questions à la légère. À titre
d'exemple, il y a l'industrie forestière au
Québec, qui considère que les forêts québécoises
ne sont que des « arbres à abattre », les
travailleurs, des coûts, et les peuples
autochtones, des obstacles à leur pillage.
Aujourd'hui, l'industrie forestière est
toujours bien vivante sous une forme ou une
autre dans 157 municipalités du Québec. Dans
l'Outaouais, par exemple, une région bâtie sur
l'industrie du bois, elle représente toujours 50
% de la production manufacturière. Le problème
n'est pas la coupe de bois comme telle, mais
plutôt l'accès que les compagnies ont eu à
travers l'histoire à nos forêts et leur
indifférence et leur dissimulation des dommages
réels causés aux écosystèmes naturels et
sociaux.
Ce n'est pas que l'alarme n'a
jamais été sonnée. En 1999, le documentaire L'erreur
boréale, produit par l'artiste québécois
et porte-parole d'Action boréale Richard
Desjardins, est sorti, exprimant de vives
inquiétudes face aux dangers des coupes à blanc
et à la destruction aveugle de nos forêts. Le
film a eu un impact momentané dans le sens que,
entre autres, le gouvernement québécois de cette
époque a mis sur pied la Commission Coulombe qui
devait se pencher sur la question. Plus de vingt
ans plus tard, Action boréale affirme que la
situation est critique et que le gouvernement
québécois perçoit toujours nos forêts comme les
« cours à bois » des compagnies forestières.
Récemment, 67 scientifiques québécois, dans une
lettre ouverte, ont dénoncé la vision «
industrielle » du ministère des Forêts, de la
Faune et des Parcs et ont appelé à la création
d'un « observatoire national » indépendant du
gouvernement dans le but d'avoir une meilleure
évaluation de l'état de nos forêts publiques.
La situation est telle que les compagnies
forestières parlent éloquemment des mesures
prises pour contrer les émissions de carbone et
pour « réduire leur empreinte environnementale
», mais, du même souffle, exigent des
gouvernements « d'augmenter la possibilité
forestière », ce qui veut dire offrir plus de
latitude pour couper plus d'arbres à des coûts
réduits. Maintenant, avec le prix élevé du bois
d'oeuvre, le seul « vert » qui les intéresse est
celui de l'argent. À cet égard, le gouvernement
– toujours à la disposition de l'industrie
forestière – a présenté son Plan stratégique
2019-2023 par lequel il a annoncé une récolte
accrue des forêts québécoises au cours des
prochaines décennies, tout en prétendant que son
plan contribuera à « la lutte contre le
changement climatique » et le « développement
économique ». Il a aussi annoncé dans son récent
budget d'importantes compressions affectant le
ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
Pour ce qui est de l'industrie forestière
elle-même, elle passe d'une crise à l'autre,
d'une fermeture à l'autre. Dans l'Outaouais,
l'usine Fortress à Thurso est fermée depuis plus
d'un an et demi, l'une des nombreuses usines à
avoir fermé ses portes au Québec. L'industrie
forestière a toujours en grande partie été
dominée par des intérêts privés étrangers –
surtout américains – et aujourd'hui elle est
encore plus concentrée dans les mains de
compagnies de « gestionnaires d'actifs » pour
qui le secteur forestier existe uniquement pour
enrichir leurs actionnaires sans assumer de
responsabilité envers les communautés,
l'environnement ou les travailleurs.
Parlez-en aux travailleurs de White Birch à
Stadacona. Il y a quelques années, lorsque la
compagnie a eu recours à la Loi sur les
arrangements avec les créanciers des
compagnies, l'usine a été achetée par une
de ces compagnies de gestionnaires d'actifs,
Black Diamond, qui a procédé à une «
restructuration » qui, en plus d'imposer de
nombreuses mises à pied et des reculs dans les
conditions de travail, a coupé de façon
draconienne dans les régimes de retraite
auxquels les travailleurs avaient contribué
toute leur vie. En dépit des nombreux obstacles
et de l'indifférence du gouvernement, ces
retraités continuent de lutter à la défense de
leur dignité et de réclamer ce qui leur revient
de droit.
Pour ce qui est de Fortress, sa fermeture a eu
des répercussions sur plusieurs autres usines et
scieries de la région. Nous devons prendre du
recul et voir le problème de façon globale,
comme une entité organique dans laquelle les
humains sont interreliés et où la principale
préoccupation des travailleurs et des
communautés est d'agir de façon responsable
envers la société et la nature. Par exemple,
certaines municipalités et organisations
recommandent de prendre en compte la valeur
médicinale et alimentaire des forêts. La
pression qui s'exerce est d'imposer une vision à
l'effet que le problème en est simplement un
d'approvisionnement en matière ligneuse. Cette
pression était évidente dans le rapport d'une «
cellule d'intervention » mise sur pied pour
étudier la crise de l'industrie forestière dans
l'Outaouais et les Laurentides. Les propositions
mises de l'avant visent avant tout à « améliorer
les activités d'approvisionnement dans les
régions » et à « tirer avantage du potentiel de
création de la valeur offerte par le secteur
forestier dans ces régions ». Aussi la cellule
demande que le gouvernement du Québec « fasse
tout ce qui est nécessaire pour débloquer les
négociations avec la communauté algonquine de
Lac-Barrière ».
Une ligne de démarcation est en train d'être
tracée. D'une part, il y a les intérêts privés
et les gouvernements qui veulent maintenir le
pouvoir de prises de décisions afin de continuer
d'agir unilatéralement aux dépens de
l'environnement naturel et social. De l'autre,
il y a les travailleurs, les peuples autochtones
et le peuple québécois, en particulier les
jeunes, qui ont exprimé de maintes façons leur
opposition à la destruction de leurs écosystèmes
naturels et sociaux. Ils prennent en compte les
véritables dommages causés à la Terre Mère, y
compris le tissu social lui-même, et veulent
faire partie des prises de décisions sur ces
questions qui peuvent avoir des répercussions
permanentes sur leur environnement immédiat et
sur l'avenir même de l'humanité.
(Photo : Chantier politique)
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 7 - 6 juin 2021
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