Le projet « ELYSIS » qualifié de «modernisation progressive»

La lettre écrite par l'Association de l'aluminium du Canada au gouvernement du Québec en février, avec sa recommandation pour la modernisation du secteur de l'aluminium, dévoile les arguments intéressés de l'association. Dans sa lettre, l'AAC dit que l'industrie de l'aluminium est bien placée pour profiter de la tendance actuelle à la décarbonisation et à l'automatisation. Elle souhaite que le gouvernement du Québec accompagne le secteur dans le renforcement de sa position concurrentielle mondiale en consolidant son contrôle de la chaîne d'approvisionnement nord-américaine par le biais de son « Projet ELYSIS » qualifié de « modernisation progressive ». Elle propose de produire un matériau traçable à faible émission de carbone en mettant l'accent sur la réduction du prix de production grâce à l'automatisation numérique 4.0 pour éliminer les travailleurs et accomplir ce qu'elle appelle les meilleures pratiques environnementales. Pour atteindre son objectif de dominer « l'Amérique du Nord », vaincre ses concurrents mondiaux et réduire la main-d'oeuvre, l'AAC dit qu'elle doit recevoir des fonds gouvernementaux sous forme de subventions, d'allégements fiscaux et de changements de réglementation. (Toutes les citations sont tirées de la lettre.)[1].

La classe ouvrière n'a pas son mot à dire sur les stratagèmes
pour payer les riches

L'AAC déplore le fait que les usines du cartel sont vieilles et ont besoin d'un renouvellement pour être numérisées afin de répondre aux besoins d'un marché réorganisé selon de faibles émissions de carbone et faire face à la concurrence mondiale. Tout cela coûte cher et l'industrie pense qu'elle a le droit de recevoir des fonds publics pour financer la transformation même si les profits seront privés. Les propriétaires privés ne veulent pas être accablés par le coût et les risques d'une direction qu'ils ont eux-mêmes mise en place. Ils n'acceptent pas non plus de responsabilité sociale pour les travailleurs licenciés à cause de l'automatisation et abandonnés à leur sort avec leurs familles.

Les travailleurs de l'aluminerie de Rio Tinto à Alma dénoncent le gouvernement du Québec qui subventionne l'électricité de la compagnie pendant le lockout en 2012.

Le cartel de l'aluminium veut que toutes les formes existantes ou ce qu'il appelle les formes « traditionnelles » de payer les riches restent en place, comme les subventions et l'électricité à rabais. En outre, il souhaite que les gouvernements « regardent au-delà » avec des formules rehaussées comprenant des réglementations favorables et des avantages fiscaux. Le cartel demande des fonds publics pour aider directement à l'automatisation par le biais de la robotisation et de nouvelles technologies entraînant une efficacité énergétique, moins de travailleurs et des émissions plus faibles de carbone. Il dit que si le cartel est obligé d'utiliser sa propre richesse sociale ou de l'emprunter sur les marchés privés, le retour sur l'investissement par rapport au prix de production qui en résulterait ne serait pas assez élevé pour satisfaire ses investisseurs et propriétaires majoritaires. Pour augmenter le retour sur l'investissement et le taux de profit, divers facteurs sont nécessaires, que l'AAC décrit comme suit.

L'AAC souhaite que ses membres du cartel puissent rapidement amortir en déduction fiscale tout investissement dans la modernisation 4.0. Elle qualifie cette demande, dans le jargon impérialiste, d'une accélération de l'amortissement de la dépense en capital. Elle la présente tant au gouvernement du Québec qu'au gouvernement fédéral. L'AAC réclame que les alumineries soient immédiatement admissibles aux crédits d'impôt à l'investissement qui ne sont actuellement disponibles que pour les entreprises manufacturières. Ces formes de crédits d'impôt comprennent le montant investi pour l'achat d'équipement de production et son installation.

La modernisation ne doit pas se faire aux dépens
des travailleurs et de la société

L'AAC veut que le gouvernement mette en place des stratagèmes non spécifiés pour payer les riches pour ses entreprises membres, les trois principaux producteurs d'aluminium au Québec et au Canada : Alcoa, Aluminerie Alouette et Rio Tinto. Ces stratagèmes paieraient pour toutes les améliorations technologiques et les composants dont les entreprises pourraient avoir besoin dans leurs programmes de modernisation 4.0 « dans les domaines de l'automatisation, de la robotisation et de l'IA, et accélérer les projets 'prêts à démarrer' ».

L'AAC souhaite que le gouvernement assume tous les risques pouvant être liés à l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les alumineries. Elle demande aux gouvernements d'établir des crédits d'impôt pour tout paiement pour les services-conseils et de formation nécessaires à l'adaptation de ces technologies au raffinage et d'étendre ces crédits pour stimuler la valorisation de la « scrap secondaire » provenant de la refonte d'aluminium par raffinage. Des crédits d'impôt plus importants devraient également être mis à sa disposition, dit-elle, pour favoriser l'électrification des équipements et des procédés utilisés dans le raffinage, car il s'agit évidemment d'« un avantage environnemental ». À noter que l'hydroélectricité à rabais et abondante pour les alumineries, fournie à des tarifs dits industriels, est un attrait majeur pour les monopoles mondiaux de l'aluminium à produire au Québec et en Colombie-Britannique.

L'AAC veut des crédits d'impôt pour le montant versé aux travailleurs de la construction sur tous les projets de modernisation d'aluminerie. Elle veut aussi des subventions ou des crédits d'impôt pour le temps de travail nécessaire pour former les travailleurs aux nouveaux équipements et aux améliorations technologiques. Dans toutes ces réclamations, elle ne mentionne aucunement le sort réservé aux travailleurs licenciés par l'automatisation. Ce silence signifie que les propriétaires de l'industrie ne veulent assumer aucune responsabilité sociale pour le bien-être et l'avenir des travailleurs et de leurs familles, car cela réduirait le rendement sur les investissements.

La fraude du marketing environnemental

L'AAC joue sans honte la carte environnementale lorsqu'elle dit que tous les stratagèmes corrompus de payer les riches qu'elle exige autour de la modernisation 4.0 sont bons pour l'environnement, sans parler des intérêts privés mondiaux qui possèdent et contrôlent le secteur. C'est frauduleux de répéter sans cesse qu'il y a des intérêts communs entre les intérêts privés étroits qui profitent des ressources qui appartiennent à la nation québécoise et les travailleurs comme si les travailleurs ne pouvaient pas se passer des propriétaires privés. Ce qui est frauduleux, c'est que les gouvernements prétendent représenter l'intérêt national alors qu'en fait ils représentent des intérêts privés étroits qui ne sont même pas québécois !

Comme si le secteur de la production d'aluminium au Québec et en Colombie-Britannique était détenu et contrôlé par des Canadiens et des Québécois, l'AAC affirme qu'elle est constamment sur la défensive face à des concurrents mondiaux et que par conséquent les gouvernements québécois et canadien doivent payer pour renforcer ces entreprises privées en payant leur modernisation. En fait, la plus grande partie de la nouvelle valeur que les travailleurs ont produite au cours des décennies de production d'aluminium a quitté le pays, expropriée comme profit par les oligarques mondiaux. Cette fuite de la valeur ajoutée inclut l'expropriation des profits de la nouvelle valeur produite par les travailleurs d'Hydro-Québec et de BC Hydro, que le cartel de l'aluminium saisit sous forme de tarifs d'électricité inférieurs au prix de production.

L'AAC est très enthousiaste quant aux possibilités de profiter des dépenses publiques postpandémiques des gouvernements québécois et canadien en matière d'infrastructure. Elle écrit que « les pratiques d'approvisionnement des marchés publics devraient tirer parti de chaque dollar vers une économie plus durable, permettant comme jamais auparavant l'utilisation et la mise en oeuvre de solutions innovantes faisant appel à des matériaux à faible empreinte carbone tels que l'aluminium. Cela contribuera à atteindre les objectifs nationaux de réduction des émissions de CO2. » C'est peut-être le cas, mais qui devrait payer ? Qui devrait décider de la direction de l'économie ?

Promouvoir la corruption généralisée représentée par le vol des ressources publiques par des intérêts privés puissants et privilégiés, qui jouent la carte verte, comme étant en quelque sorte acceptable et au service du bien commun est inacceptable ! L'AAC déclare que les stratagèmes gouvernementaux de payer les riches pour innover dans le secteur sont « essentiels au leadership de l'industrie dans le futur et à sa contribution à la réduction des GES ». Elle dit que ces paiements corrompus à des intérêts privés mondiaux génèrent de la « richesse nationale » à partir de « R-D et les exportations potentielles de technologies » et que pour cette raison ils « doivent être soutenus ». Les groupes de réflexion et les médias impérialistes répètent sans arrêt et sans discussion que payer les riches crée de la richesse nationale pour tous, sert le bien commun et mène à l'édification nationale. Lorsqu'ils répondent, les travailleurs et leurs organisations doivent commencer par rejeter cette fraude.

Les travailleurs ne sont pas superflus!

L'AAC déclare ouvertement que ce « passage à l'industrie 4.0 » se traduira par des pertes d'emplois dans le secteur. Elle exprime son inquiétude non pas pour la classe ouvrière, mais plutôt pour un changement de réglementation qui rendrait acceptable et légale l'absence de préoccupation pour les travailleurs licenciés et le fait que les riches deviennent plus riches et plus puissants. Elle dit que les inévitables licenciements « signifient également que les politiques de soutien financier ne peuvent plus être ancrées sur une base d'emploi par dollar, et doivent plutôt être fondées sur la création de richesse. Elles doivent comprendre la richesse générée en amont de l'automatisation, des robots et de l'IA : c'est le nouveau paradigme. » En d'autres termes, les stratagèmes pour payer les riches basés sur la tromperie de la création d'emplois ne sont plus réalisables et doivent désormais être basés sur la tromperie de « la création de richesse ». L'AAC laisse délibérément dans le flou qui va s'emparer de cette richesse qui est créée, mais les oligarques mondiaux contrôlent et possèdent les moyens de production et, selon les règles impérialistes de propriété, ont légalement droit à tout nouveau profit et à un rendement sur investissement qui est concurrentiel au niveau international pour attirer les investissements.

L'AAC déclare que « le soutien financier d'Investissement Québec dans le projet ELYSIS est fondamental et permet d'ancrer au Québec le développement et la commercialisation future d'une technologie de rupture. Cette capacité d'intervention financière doit être maintenue et mise à contribution pour accélérer l'innovation industrielle au Québec. »

L'AAC ne s'inquiète pas du fait que les cartels mondiaux privés comme Apple ont tout à gagner du financement public de la modernisation 4.0 grâce à la vente de ses produits et à son expertise privée qualifiée de « propriété intellectuelle ». L'AAC ne cesse de répéter que les fonds publics allant à des intérêts privés servent le bien commun, tel l'argent du gouvernement pour « le Projet ELYSIS ». Et d'ailleurs, comme le dit l'AAC, le projet entraînera la production d'aluminium à partir d'anodes inertes sans aucune libération de gaz à effet de serre (GES). Elle parle plus discrètement du fait que la nouvelle technique de production entraînera certainement des pertes d'emplois. De plus, le nouveau type d'anodes, qui durent beaucoup plus longtemps que les anodes actuelles, ne sera pas produit au Québec comme l'est l'anode actuelle, du moins selon ce qu'on croit. Le fait que les GES seront réduits et que le recyclage de l'aluminium augmentera devient une couverture pour masquer tous les problèmes, y compris les attaques contre les droits et les moyens de subsistance des travailleurs et la corruption consistant à payer les riches pour consolider leur richesse sociale, leur pouvoir et leurs privilèges de classe.

Encore plus d'intégration dans l'économie de guerre des États-Unis

L'AAC salue l'accord de libre-échange conclu récemment entre le Canada, les États-Unis et le Mexique et le financement par le gouvernement canadien de l'intégration « plus forte » de l'industrie de l'aluminium à l'économie (de guerre) des États-Unis. L'aluminium est crucial pour l'armée des États-Unis, son matériel et ses préparatifs de guerre, et l'industrie automobile dominée par les États-Unis et d'autres industries manufacturières.

Pour assurer cette intégration à l'économie de guerre et la sécurité intérieure des États-Unis, l'AAC veut la « mise en oeuvre de la technologie de traçabilité dans les alumineries du Canada, avec le soutien financier du gouvernement canadien ». La traçabilité « contribuera à assurer (que) ce lien » avec l'économie des États-Unis demeure sécurisé et ainsi les dirigeants des États-Unis seront convaincus que l'aluminium ne provient pas de concurrents mondiaux, en particulier la Chine et la Russie contre lesquels ils génèrent de la haine en prévision d'une guerre. À cet égard, l'AAC salue que « le financement par le biais de Développement économique Canada exigeait une technologie de traçage des points d'entrée pour permettre la traçabilité complète des métaux de la chaîne de valeur en aval. Le gouvernement du Québec devrait assurer l'accès par les PME de transformation à la technologie de point d'entrée appropriée par un soutien financier à travers les programmes existants tel le manufacturier 4.0. »

Cela signifie que toutes les activités d'extraction, de raffinage et de traitement au Québec et au Canada seront soumises à des « autorisations de sécurité » de l'impérialisme américain pour prouver la loyauté et la volonté de s'engager dans des préparatifs de guerre contre la Chine, la Russie et tous les autres que les États-Unis déclarent être un ennemi. De cette façon, le secteur de l'aluminium et toutes ses parties sont assurés de leur intégration et leur pénétration du marché américain.

La classe ouvrière du Québec et du Canada doit examiner comment les gouvernement permettent que les attaques contre ses droits et revendications, comme celles proposées par l'AAC, soient commises sans résistance ou obstacle. Les travailleurs et leurs organisations devront répondre aux demandes que font les oligarques mondiaux dans le contexte du besoin de modernisation. L'automatisation 4.0 telle que décrite par l'AAC, avec les stratagèmes pour payer les riches, la destruction nationale, l'absence d'attention au bien-être, aux droits et aux revendications des travailleurs et les appels bellicistes à être concurrentiels doivent être confrontés avant qu'il ne soit trop tard et que tout le pays soit entraîné dans une guerre. Il faut une nouvelle direction qui défend les droits des travailleurs et l'édification nationale dans le but de créer une économie indépendante et autosuffisante centrée sur l'humain qui arrête de payer les riches, augmente les investissements dans les programmes sociaux, fait du commerce avec tous les peuples dans un esprit d'avantage mutuel et de développement et de paix. Un point de départ dans cette direction est de rejeter les propositions avancées dans la lettre de l'AAC et exiger que le gouvernement écoute les travailleurs.

Note

1.Voir le texte de la lettre de l'AAC

(Photos: LML, S. Duchenes)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 7 - 6 juin 2021

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