Projet de loi 57 au Manitoba,
Loi sur la protection des infrastructures
essentielles
Préparatifs pour une criminalisation généralisée de ceux qui luttent pour leurs droits
- Barbara Biley -
Manifestation contre le projet de loi 57 devant
l'Assemblée législative
du Manitoba le 23 mars 2021
Le 15 mars, le
gouvernement du Manitoba a annoncé qu'il «
présente un nouveau projet de loi pour prévenir la
pression sur les infrastructures tout en
respectant la liberté de réunion et d'expression
». L'expression « présente un nouveau projet de
loi pour » masque le fait que le projet de 57, Loi
sur la protection des infrastructures
essentielles, a passé l'étape de la
première lecture à la législature du Manitoba le
20 novembre et n'a été rendu public que quatre
mois et demi plus tard. Dix-huit autres projets de
loi qui ont été adoptés en première lecture en
novembre dernier n'ont été publiés que plusieurs
mois plus tard. Au niveau fédéral, les projets de
loi sont habituellement imprimés quelques heures
après avoir passé l'étape de la première lecture.
Cela démontre à quel point les exécutifs
gouvernementaux néolibéraux ont détruit les
parlements et les législatures en tant qu'endroits
de débats des lois et d'autres questions qui
touchent le peuple. Le débat sur le projet de loi
57 a maintenant été reporté à l'automne parce que
le NPD a utilisé une règle de procédure de la
législature manitobaine qui permet à l'opposition
officielle de reporter le débat sur un certain
nombre de projets de lois à la prochaine session.
Le projet de loi 57 prépare le terrain pour une
criminalisation généralisée de ceux qui luttent
pour leurs droits. Le projet de loi prévoit que le
propriétaire ou l'exploitant de ce qui est
considéré une infrastructure essentielle peut
présenter une requête au tribunal en vue d'obtenir
une ordonnance établissant une zone de protection
s'il estime qu'une personne entrave la
construction ou l'exploitation de
l'infrastructure. Une fois que le tribunal émet
l'ordonnance, les individus ou les entreprises qui
l'enfreignent sont passibles d'amendes et les
individus sont aussi passibles de peines
d'emprisonnement.
Selon la définition qu'on retrouve au projet de
loi, une « infrastructure essentielle » peut être
à peu près n'importe quoi, notamment les pipelines
et les chemins de fer, les hôpitaux, les foyers de
soins personnels, et « les installations
nécessaires à la prestation des services
gouvernementaux au public ou au fonctionnement
efficace de la Législature ». Le projet de loi
indique que « les infrastructures dont
l'utilisation ou la présence contribue de manière
significative à la santé, à la sécurité ou au
bien-être économique des Manitobains sont des
infrastructures essentielles ».
Des travailleurs de la santé de l'Alberta
débrayent pour défendre leurs droits et dressent
un piquet de grève devant l'hôpital Royal
Alexandria à Edmonton le 26 octobre 2020.
Le ministre de la Justice Cameron Frisen a
justifié le projet de loi le 15 mars en disant :
« Nous devons aussi nous assurer que les
Manitobains ont toujours accès à des biens et
services de qualité et qu'ils peuvent poursuivre
leurs activités sans contraintes. » Cependant, le
projet de loi ne protège pas les services qui sont
fournis ou devraient être fournis par
l'infrastructure. Ce n'est pas l'objectif du
projet de loi. Les gens pourront continuer de
mourir dans les hôpitaux parce que les
travailleurs n'ont pas les conditions requises
pour prendre soin d'eux, les législatures peuvent
passer des lois et des règlements qui mettent en
danger la santé et la sécurité des travailleurs et
du peuple et les travailleurs du rail peuvent
mourir au travail parce que les conditions ne sont
pas sécuritaires. L'objectif du projet de loi est
d'intensifier l'offensive antisociale contre le
peuple et de rendre la résistance du peuple
illégale.
Cette
loi peut être invoquée si une « entrave » à une
infrastructure essentielle est proclamée, qu'elle
provienne des travailleurs, par exemple, ou des
jeunes et des autochtones qui réclament justice à
proximité d'une infrastructure ou sur une terre
sur laquelle l'infrastructure est située. Le
projet de loi fait abstraction des causes qui sont
à l'origine des actions. Il est un autre mécanisme
pour imposer le diktat des intérêts privés étroits
qui possèdent et exploitent l'infrastructure ou
des exécutifs gouvernementaux qui les exploitent
au nom des intérêts privés étroits, sous prétexte
de protéger l'infrastructure qui contribue de
manière significative au bien-être des
Manitobains.
Le fait que le projet de loi déclare que le lieu
où l'infrastructure est située fait partie de
l'infrastructure montre bien que le projet de loi
vise particulièrement les autochtones qui, avec
leurs alliés, défendent leurs terres et leurs
droits ancestraux et issus de traités. Il est
évident que le projet de loi est motivé par une
détermination à éliminer les protestations, comme
les protestations à l'échelle du pays, y compris
les barrages ferroviaires, en appui aux défenseurs
de la terre de la Première Nation Wet'suwet'en qui
ont bloqué la construction d'un pipeline gazier
sur ses terres en Colombie-Britannique, affirmant
son droit de dire Non !
Le projet de loi nie les droits ancestraux et
issus de traités des défenseurs autochtones de la
terre, alors qu'il enchâsse le « droit » des
intérêts privés mondiaux d'agir comme ils le
veulent, sans le consentement du peuple et en
violation de leurs droits. Le gouvernement Kenney
a adopté une loi semblable en 2020. C'est ce qui
s'appelle la politisation des intérêts privés et
la criminalisation des intérêts publics.
Le fait que ce projet de loi étend le concept
d'infrastructure essentielle aux établissements de
santé et au gouvernement montre que le but est de
criminaliser la lutte du peuple pour ses droits
dans tous les aspects de la vie. Cela ne doit pas
passer !
Tout ce projet de loi est une attaque intolérable
contre le droit du peuple d'exprimer sa conscience
et de déterminer la direction des affaires
économiques et politiques afin qu'elles servent
ses besoins et intérêts et non ceux des riches.
Cela démontre l'incapacité du gouvernement du
Manitoba d'apporter des arguments convaincants
pour son programme de payer les riches et son
offensive antisociale. Son recours à la répression
et à la criminalisation démontre bien son
impuissance.
Les Manitobains ont une fière histoire de lutte
pour les droits et aucun Manitobain qui se
respecte ne vas se soumettre à de telles choses.
Le gouvernement montre à quel point il est faible.
Les Manitobains considèrent que prendre la parole
contre ce que fait le gouvernement est un devoir,
comme le font déjà les organisations qui
représentent les intérêts des fermiers, des
autochtones et des professeurs d'université.
La Fédération des associations des professeurs
universitaires du Manitoba
La Fédération des associations des professeurs
universitaires du Manitoba écrit dans un
communiqué de mars que le projet de loi 57 a été
plagié d'un lobby du monde des affaires appelé
American Legislative Exchange Council (Conseil
d'échange législatif américain) ou ALEC. Elle
soutient que « ce groupe travaille derrière des
portes closes pour fournir des projets de loi tout
faits aux législateurs républicains pour
promouvoir leur ordre du jour d'affaires de droite
: rendre les gouvernements aussi petits que
possible et les taxes aussi basses que possible,
présenter des lois antisyndicales de droit au
travail, des lois de suppression d'électeurs et
même des lois dites de défense de son territoire
de la NRA pro-armes à feu. [...]
« Le projet de loi 57, Loi sur la protection
des infrastructures essentielles, prend sa
source dans les lois 1123 et 2128 de la Chambre de
l'Oklahoma. Ces lois visaient à réprimer les
manifestations de masse des communautés
autochtones dans le cadre de la protestation de la
nation de Standing Rock contre le pipeline dans le
Dakota du Nord. Le gouvernement Pallister a
présenté ce projet de loi comme étant le sien,
sans en attribuer la source véritable : le modèle
ALEC fabriqué à partir de la loi de l'Oklahoma.
[...] »
L'Union nationale des fermiers au Manitoba
défend les droits démocratiques essentiels
L'Union nationale des fermiers (NFU) au Manitoba
a publié une déclaration le 9 mars qui s'oppose au
projet de loi 57, Loi sur la protection des
infrastructures essentielles, « en raison
de sa substance et du processus ». On y lit
notamment :
« Le projet de loi 57 a été présenté après que le
gouvernement de l'Alberta a adopté sa Loi sur
la défense des infrastructures essentielles
en 2020 et tout laisse prévoir que ce projet de
loi va suivre son exemple sur le contenu. La loi
de l'Alberta donne au gouvernement le pouvoir
d'imposer des amendes punitives et d'emprisonner
des manifestants pour intrusion ou entrave aux
grandes entreprises. La loi albertaine permet au
gouvernement d'étendre ce qu'il appelle une «
infrastructure essentielle » simplement en
adoptant une ordonnance ministérielle. La loi
albertaine protège les intérêts des grandes
entreprises qui sont riches et puissantes et vise
à intimider ou à punir les citoyens et les
communautés qui ont peu de moyens à part les
protestations pacifiques pour attirer l'attention
sur leurs enjeux et demander à être écoutés.
« Il existe de nombreux exemples dans l'histoire
du Manitoba où le genre des protestations que le
projet de loi 57 cherche à éviter a mené à des
avances importantes. Depuis les Métis sous Louis
Riel en 1870 jusqu'à la grève générale de Winnipeg
en 1919, jusqu'aux manifestations de Black Lives
Matter en 2020, le Manitoba a été façonné par des
citoyens défendant leurs droits. Le projet de loi
57 forcerait au silence les voix démocratiques et
ferait en sorte que l'avenir du Manitoba soit
défini plutôt par les intérêts des entreprises.
« La NFU oeuvre à la protection des terres et des
eaux qui soutiennent la qualité de vie canadienne
et est solidaire de ceux qui sont engagés dans ce
travail. Les succès historiques de la NFU dans la
promotion des intérêts des fermiers reposent sur
le droit à la manifestation pacifique. Ce projet
de loi va porter atteinte à notre droit d'agir
dans ce sens. La protestation non violente
pacifique a été un moyen important pour que les
fermiers aient de l'influence au Canada, et c'est
le droit des fermiers d'être en mesure d'exprimer
leurs opinions de cette manière. Nous droits
démocratiques sont essentiels à notre relation
avec les gouvernements. Le mépris de ce
gouvernement pour la transparence sur le projet de
loi 57 est décourageant et inacceptable dans une
démocratie. Pour toutes ces raisons, la NFU
demande au gouvernement du Manitoba de retirer le
projet de loi 57. »
Les organisations autochtones du Manitoba
prennent la parole
Les organisations autochtones du Manitoba se sont
prononcées contre le projet de loi 57. Parlant aux
médias locaux le 16 mars, le jour suivant la
présentation du projet de loi, le grand chef de
l'Organisation des chefs du sud a dit : « Nous
devons le contester de toutes les façons. Les
gouvernements provincial et fédéral ont faussé la
donne à l'encontre des autochtones depuis très
longtemps. »
Parlant des pénalités prévues par le projet de
loi, il a dit : « C'est une tactique
d'intimidation. » Il a dit que le projet de loi
est « une stratégie, évidemment, pour faire taire
les voix et les opinions des membres des Premières
Nations qui sont exclues depuis très longtemps de
la stratégie et des investissements en
infrastructure en ce qui a trait à notre
partenariat sur une base de gouvernement à
gouvernement... »
Lors d'un rassemblement de masse à la législature
le 23 mars, Lisa Currier, coordonnatrice de Idle
No More du nord du Manitoba et une des
organisatrices du rassemblement, a dit : « Le
projet de loi 57 va forcer nos voix au silence et
nous donner une petite place dans le coin pour
protester, loin du lieu où se joue le coeur de
l'enjeu. » Elle a dit que le projet de loi viole
les droits des autochtones, y compris ceux qui
sont reconnus par la Constitution en ce qui
concerne le titre autochtone à la terre. « La
section 2.3 du projet de loi 57 déclare que tout
territoire sur lequel est située une
infrastructure essentielle fait partie de
l'infrastructure et cela, selon moi, revient à une
déclaration de propriété du territoire. »
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 6 - 9 mai 2021
Lien de l'article:
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