Ce sont les manifestations de masse qui ont mené à la condamnation de Chauvin et maintenant elles sont criminalisées
- Barbara Ransby -
Manifestation à Minneapolis le 19 avril 2021, le
jour avant que le jury rende son verdict au procès
de Derek Chauvin
Le 20 avril, l'ancien policier de Minneapolis
Derek Chauvin a été reconnu coupable de tous les
chefs d'accusation pour le lynchage public brutal
de George Floyd. Pour la famille Floyd, cette
condamnation offre un certain réconfort, les
tribunaux ayant décidé que la mort de Floyd ne
resterait pas impunie. Pour plusieurs d'entre
nous, cependant, cette « victoire » apparaît vaine
car nous savons que les prisons ne peuvent pas
résoudre nos problèmes, et les policiers non plus
[...].
Notre passé nous apprend qu'il n'y aurait pas eu
de règlement, même pas un règlement limité et
imparfait, n'eut été des manifestations massives
qui ont balayé le pays au lendemain du meurtre de
George Floyd.
Maintenant, au moment même où le système de
justice criminel se félicite d'avoir envoyé
Chauvin en prison, les manifestations mêmes qui
ont attiré l'attention de la nation sur cette
affaire sont criminalisées.
Cette semaine, après avoir fait l'affirmation
raciste que les représentants de Minneapolis
avaient laissé les manifestants « faire la pluie
et le beau temps » dans les rues, le gouverneur
Ron DeSantis a signé un projet de loi omnibus qui
cherche à toutes fins pratiques à criminaliser les
manifestations dans l'État de la Floride, ciblant
spécifiquement les manifestants marchant sous la
bannière de Black Lives Matter. C'est un signe
avant-coureur dangereux de ce qui pourrait arriver
ailleurs au pays. En effet, le New York Times
rapporte que « les législateurs du Parti
républicain de 34 États ont déposé 81 projets de
loi antimanifestations au cours de la session
législative de 2021 – plus de deux fois plus de
projets de loi qu'au cours des années précédentes
».
Ultimement, tandis que tous les yeux sont tournés
vers le Minnesota, le projet de loi 1 de la
Chambre des représentants de la Floride, appelé le
projet de loi « anti-émeute », et les autres
projets de loi semblables qui s'annoncent,
pourraient avoir un impact beaucoup plus important
que celui de la condamnation de Chauvin sur les
mouvements contre la violence raciale de l'État.
Je veux d'abord parler des limites et des
contradictions inhérentes au verdict de
Minneapolis. Chauvin a tué George Floyd en plein
jour devant des témoins et la scène a été
enregistrée. C'était un cas flagrant de violence
gratuite, et, heureusement, le jury a abondé en ce
sens. Mais qu'est-ce qu'on peut en retirer ? Que
le système de justice pénale aurait surmonté 400
ans de racisme systémique, enraciné, en tenant un
seul policier responsable pour une forme de
violence raciste qui est devenue chose courante ?
Cette conclusion est fausse. Non seulement une
telle conclusion est-elle erronée, ahistorique et
à courte vue, mais elle donne un faux sentiment de
progrès.
Laisser un policier, bien que raciste et violent,
être le bouc émissaire d'un ensemble systémique de
problèmes revient à nier la nature systémique de
ces problèmes. La mère de Daunte Wright a été
prophétique et éloquente lorsqu'elle a dit : « Si
la justice existait, elle nous rendrait notre fils
» et « il n'y aura jamais de justice pour nous ».
Elle a aussi dit qu'il peut et doit y avoir une
reddition de comptes pour le meurtre de son fils
aux mains d'un autre policier de Minnesota.
Cependant, elle a compris que la réclamation de la
justice exige beaucoup plus que cela.
Celà étant dit, il est important de retenir deux
choses. Les policiers ne devraient définitivement
pas jouir de dérogations pour des actes de
violence haineux, même lorsque ceux-ci sont
courants. Deuxièmement cependant, incarcérer un
policier ne ramènera pas nos enfants, voisins,
amis et êtres chers assassinés, et cela
n'empêchera pas la violence dans l'avenir.
Ce qui est requis
est un changement systémique fondamental. Nous
devons écouter ceux qui demandent d'abandonner les
formes d'interventions policières telles que nous
les connaissons et de rendre les prisons
obsolètes. Ce devrait être notre but, comme l'a
courageusement souligné la congressiste Rashida
Tlaib. Nous devrions retirer les ressources du
maintien de l'ordre et les investir dans les
services communautaires et de santé mentale, dans
les emplois et les projets qui préviennent la
violence, qui désamorcent les situations violentes
et qui sauvent des vies.
La nouvelle loi antimanifestation de la Floride
dresse un immense obstacle à ce genre de
changement systémique en attaquant les mouvements
qui ont été les principaux catalyseurs de
changement. Le projet de loi criminalise les
manifestations qui bloquent la circulation et
déclare qu'endommager les monuments est un crime.
Il sanctionne les gouvernements locaux qui
refusent d'être intransigeants dans la répression
des manifestations, stipulant que des accusations
seront portées contre les représentants locaux
pour tout dommage occasionné lors d'une
manifestation. Il stipule qu'une peine obligatoire
de six mois sera imposée à un manifestant qui
commet un assaut contre un policier. Évidemment,
dans de nombreux cas, lorsque des manifestants
sont battus, le fait de se défendre contre les
coups est souvent qualifié d'« assaut ».
Le projet de loi est aussi truffé de termes comme
« intimidation de foule », qui est vaguement
définie comme étant trois personnes ou plus qui
cherchent à forcer un tiers à accepter leur point
de vue. Il est difficile d'imaginer comment une
telle loi peut être équitablement mise en oeuvre.
Par exemple, une vive discussion politique sur un
coin de rue pourrait faire l'objet d'une
arrestation. Si ce n'est pas de la censure, alors
je ne sais pas ce que c'est.
Un autre aspect particulièrement inquiétant du
projet de loi est qu'il empêche les gens
incarcérés d'être libérés sous caution jusqu'à
leur première comparution, ce qui rend obligatoire
la détention de manifestants avant qu'ils ne
soient déclarés coupables d'une infraction
criminelle. Cela nous rappelle les politiques de
détention sans inculpation typiques des dictatures
partout dans le monde et des régimes comme
l'ancien système d'apartheid en Afrique du Sud.
Comme d'autres l'ont souligné, plusieurs de ces
mesures contenues dans le projet de loi existent
déjà dans le code criminel et seraient par
conséquent superflues, mais elles visent à
intimider et dissuader les activistes.
Il est important de faire le lien entre le projet
de loi de la Floride et le contexte asymétrique du
procès de Derek Chauvin. S'il se déroule un procès
dans le comté de Hennepin, au Minnesota, pour le
meurtre haineux de George Floyd en plein jour,
c'est uniquement parce qu'il y a eu des
manifestations bruyantes et persistantes dans les
rues du pays. S'il n'y avait pas eu ces
manifestations, il en serait ressorti
vraisemblablement un rapport de « mort
accidentelle », et par conséquent, aucune enquête
et aucun procès.
En fait, comme l'indique le communiqué de presse
initial publié par la police, celle-ci a voulu
cacher la vérité avant la publication des vidéos.
Ainsi, le projet de loi de la Floride interdit un
mécanisme important permettant d'obtenir un
minimum de justice, c'est-à-dire, le droit des
citoyens et des résidents de manifester.
Le défi posé aux mouvements sociaux est donc de
faire preuve de courage et d'imagination lorsque
nous disons la vérité au pouvoir, peu importe les
mesures de censure que ces autorités tentent
d'imposer en Floride et ailleurs. Comme l'a
déclaré la dirigeante de Black Visions Collective
de Minneapolis Kandace Montgomery : « La lutte
pour la justice est loin d'être terminée. »
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 6 - 9 mai 2021
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