Une commission internationale d'experts juridiques recommande une enquête sur les États-Unis pour crimes contre l'humanité

Le 27 avril, la Commission d'enquête internationale sur la violence policière et le racisme systémique aux États-Unis a tenu une conférence de presse où elle a présenté le rapport final de 188 pages sur ses enquêtes sur les États-Unis pour violations des droits humains de ses citoyens et résidents d'ascendance africaine, dans lequel elle conclut que ces crimes méritent une poursuite en vertu du droit international.

La Commission internationale d'enquête a été organisée par la Conférence nationale des avocats noirs, l'Association internationale des juristes démocrates et l'Association nationale des avocats. La commission comprend 12 experts juridiques de 11 pays, Antigua-et-Barbuda, la Barbade, Costa Rica, la France, l'Inde, la Jamaïque, le Japon, le Nigeria, le Pakistan, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et quatre rapporteurs des États-Unis.

Le résumé du rapport de la commission mentionne que son objectif est d' « examiner si la violence raciste systématique et généralisée de la police contre les gens d'ascendance africaine aux États-Unis d'Amérique une série continue de violations graves et attestées de façon fiable des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les commissaires trouvent un modèle et une pratique de violence policière raciste aux États-Unis dans le contexte d'une histoire d'oppression remontant à l'extermination des peuples des Premières Nations, l'esclavage des Africains, la militarisation de la société américaine, et la perpétuation continue du racisme structurel. »

La commission a tenu des audiences publiques du 18 janvier au 6 février 2021. Le résumé du rapport explique que « tous les cas choisis pour les audiences impliquaient la mort violente et la mutilation brutales et injustifiées d'individus d'ascendance africaine aux États-Unis, incluant : (1) la mort violente d'individus non armés qui ne posaient aucune menace de mort ou de dommage corporel sérieux; (2) la mort violente d'individus fuyant la police qui ne posaient aucune menace sérieuse de mort ou de dommage corporal sérieux aux policiers qu'ils fuyaient ou à d'autres personnes; (3) le recours, ou la menace de recours à l'intimidation physique ou psychologique pour arracher des concessions et (4), la mutilation d'individus fuyant la police et/ou qui ne posaient aucune menace sérieuse de décès ou de dommage corporal sérieux à d'autres personnes ». Des 44 personnes noires dont le cas a été examiné lors des audiences, toutes sauf une ont été tuées par la police.

Dans le « Sommaire des conclusions et des recommandations » qu'on trouve dans le résumé, les commissaires affirment qu'ils « ont constaté des violations au droit à la vie, à la sécurité, de ne pas être soumis à la torture, de ne pas subir de discrimination, à la santé mentale, à l'accès à la réparation pour violations, à un procès équitable et à la présomption d'innocence et au droit d'être traité avec humanité et respect. Les commissaires constatent des violations du devoir de l'État de fournir des soins médicaux aux personnes détenues, de garantir des enquêtes sur des exécutions sommaires qui sont indépendantes, compétentes, complètes et effectives, et de poursuivre les auteurs afin d'assurer qu'ils rendent des comptes. Les commissaires constatent que les lois et les pratiques policières en vigueur aux États-Unis ne sont pas conformes aux normes internationales concernant l'usage de la force, qui requièrent une base juridique, un objectif légitime, une nécessité, des précautions, la proportionnalité, la protection de la vie, l'absence de discrimination et la responsabilité. »

Les commissaires soulignent que « le recours disproportionné à la force par la police a mené à la mort de 43 personnes noires dans les cas examinés » par le recours à des moyens d'immobilisation, des armes à feu et des Tasers, et qu'ils « constatent aussi un modèle de force illégale et excessive employé contre les personnes d'ascendance africaine au moyen de l'étranglement et de l'asphyxie par la compression, en s'agenouillant ou en se tenant debout sur la victime, en menottant la victime face contre terre et en appliquant une pression sur la tête et le cou de la victime ».

Les commissaires ont également mis en lumière que « le recours à la force contre des personnes non armées d'ascendance africaine lors contrôle routiers et d'enquête est mu par des stéréotypes et des préjugés raciaux, ce qui mène régulièrement les agences du maintien de l'ordre aux États-Unis à cibler les personnes d'ascendance africaine pour des interrogatoires, des arrestations et des détentions qui reposent sur des associations racistes entre le fait d'être noir et la criminalité ». Ils ont aussi noté un modèle d' « interpellation sur la rue, souvent appelés 'interpellation et fouille', [...] une forme d'activité policière de 'maintien de l'ordre ' qui non seulement produit des taux disparates d'arrestations mais mène souvent à l'utilisation d'une force létale par la police. [...] Le harcèlement continu de personnes noires par l'interpellation  et la fouille rappelle la pratique socialement acceptée à l'époque des patrouilles d'esclaves, lorsque toute personne blanche avait le droit de contrôler les mouvements et les activités des noirs. » Ils ont aussi mis en lumière comment la police commet ses méfaits en toute impunité et en collusion avec d'autres composantes du système judiciaire, ce qui aggrave la violation des droits.

En se basant sur leurs enquêtes, « les commissaires constatent un cas prima facie de crimes contre l'humanité qui méritent une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) Les crimes en vertu du Statut de Rome incluent : meurtre, privation grave de liberté physique, torture, persécution des personnes d'ascendance africaine, et d'autres actes inhumains qui se sont produits dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre la population civile de noirs aux États-Unis. »

La commission appelle le haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU à « appuyer ce qui suit dans son rapport mandaté par le Conseil des droits de l'homme dans sa résolution 43/1 :

« a. la Constitution par le CDHNU d'une commission d'enquête indépendante chargée de mener une enquête complète sur les incidents de violence policière contre les personnes d'ascendance africaine aux États-Unis et de déterminer, en particulier, si le niveau de violence constitue une violation flagrante des droits humains et si des crimes en vertu du droit criminel international ont été et continuent d'être commis;

b. afin d'établir un processus continu pour surveiller la violence policière raciste systémique aux États-Unis, la nomination par le CDHNU d'un expert indépendant sur la violence policière raciste systémique aux États-Unis;

c. appelle à la démilitarisation de l'application de la loi à l'échelle des États-Unis et

d. appelle à la fin de l'impunité et à la responsabilité des officiers de police qui ont recours à la violence raciste et à une force injustifiée devant des comités civils indépendants de surveillance et dans les procédures criminelles et civiles du système de justice des États-Unis. »

De plus, « les commissaires appellent le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale, lorsqu'il reçoit le rapport de la commission d'enquête, à initier une enquête sur les crimes contre l'humanité (Article 7), conformément à ses pouvoirs en vertu du Statut de Rome, à l'article 15 ».

Compte tenu du fait que les États-Unis ont jusqu'à maintenant refusé de ratifier le Statut de Rome pour adhérer à la CPI, afin d'éviter de devoir rendre des comptes de leurs crimes au pays et à l'étranger et de protéger leurs forces armées contre les poursuites, « les commissaires demandent à la branche exécutive du gouvernement des États-Unis de :

a. accepter la compétence de la CPI en relation avec les États-Unis en vertu de l'article 12 en ce qui concerne tout crime et tous les crimes contre l'humanité tels que définis dans le Statut de Rome;

b. signer le Statut de Rome de la CPI et soumettre leur signature au Sénat des États-Unis pour consentement à la ratification;

c. retirer la formulation de non-application directe dans la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et/ou adopter une loi de mise en oeuvre de ce traité, dont les clauses de l'Article 20, qui interdit la propagande pour la guerre et le discours qui promeut la haine de groupes raciaux ou religieux et incite à la discrimination ou à la violence contre les personnes de groupes raciaux ou religieux;

d. appliquer entièrement la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que les États-Unis ont ratifiées;

e. ratifier tous les autres traités internationaux de droits de l'homme, de même que les traités régionaux;

f. appuyer une loi visant à désinvestir les ressources fédérales de l'incarcération et de l'activité policière et mettre fin aux dommages causés par le système juridique criminel qui ont criminalisé de façon disproportionnée les communautés noires et brunes, les personnes LGBTQIA, les autochtones et les personnes handicapées, et à plutôt utiliser des initiatives de financement et investir dans des approches non punitives et non carcérales de la sécurité des communautés;

g. créer un système effectif et robuste de lutte au racisme institutionnalisé au sein de toutes les agences responsables de l'application des lois, qui est surveillé par un organisme élu indépendamment, en consultation avec les organisations de la société civile vouées aux principes des libertés civiles et de la non-discrimination;


h. éliminer l'impunité personnelle qui protège les officiers de police individuels des poursuites civiles intentées par les membres du public, et imposer un devoir clair aux officiers de police de désamorcer toutes les rencontres avant d'avoir recours à la force, et

i. développer des politiques et de l'appui à une législation visant à démilitariser l'activité policière à l'échelle des États-Unis et revoir entièrement les politiques actuelles et les pratiques de formation y compris, mais sans y être limités : (i) l'interdiction de l'utilisation de la force sauf en conformité avec le UN Guidance on Less Lethal Weapons in Law Enforcement ( Orientations de l'ONU sur les armes moins létales dans l'application de la loi) lors d'une arrestation, une détention et une assemblée, sur la base de la précaution, de la nécessité et de la proportionnalité; (ii) interdiction de la strangulation et d'autres tactiques de soumission qui empêchent la respiration et la circulation du sang; (iii) l'interdiction de l'utilisation excessive des Tasers; (iv) l'interdiction des mandats sans préavis et (vi) l'interdiction de l'utilisation de la force sauf en conformité avec les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois [...] »

Dans leurs deux dernières recommandations, les commissaires soulignent que le gouvernement des États-Unis doit fournir des réparations pour son rôle dans les crimes historiques liés à l'asservissement des peuples africains :

« Les commissaires recommandent que les branches exécutive et législative des États-Unis reconnaissent que la traite transatlantique des Africains, l'esclavage, la colonisation et le colonialisme étaient des crimes contre l'humanité et sont parmi les sources et les manifestations principales de racisme, de discrimination raciale, d'afrophobie, de xénophobie et d'intolérance qui leur est liée. Les injustices du passé et les crimes contre les personnes d'ascendance africaine aux États-Unis doivent être traités en vertu de la justice réparatrice.

« Les commissaires recommandent aussi que le Congrès des États-Unis établisse une commission pour examiner la mise en esclavage et la discrimination raciale dans les colonies et aux États-Unis de 1619 jusqu'à aujourd'hui et recommander les meures de redressement appropriées. Les commissaires demandent aux États-Unis de considérer de mettre en oeuvre de façon sérieuse les éléments analogues contenus dans le Plan d'action en dix points sur les réparations de la Communauté caribéenne qui comprend des excuses officielles, des initiatives en matière de santé, des possibilités d'éducation, un programme de connaissance de l'Afrique, une réhabilitation psychologique, un transfert de technologie, un soutien financier et une annulation de la dette. »

Pour lire le texte intégral du rapport cliquer ici.

Les vidéos et les transcriptions des audiences en direct sur les 44 cas sont disponibles sur le site Web de la Commission :inquirycommission.org.


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 6 - 9 mai 2021

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