Les amendements au serment de citoyenneté ne contiennent ni vérité ni réconciliation
- Steve Rutchinski -
Le Parlement est en train de modifier le serment
de citoyenneté exigé des citoyens naturalisés. Le
projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur
la citoyenneté (appel à l'action numéro 94 de la
Commission de vérité et de réconciliation du
Canada), est en troisième lecture. C'est un
titre trompeur puisque ce projet de loi ne fait
rien pour réparer les torts historiques causés aux
peuples autochtones, comme le veut la Commission
de vérité et de réconciliation. Il prend comme
point de départ un serment d'allégeance à la reine
d'Angleterre qui est anachronique, quand on sait
que la majorité des Canadiens considèrent que « la
monarchie est dépassée et n'a plus sa place au
XXIe siècle ». C'est ce que démontrent notamment
les récents sondages réalisés par Angus Reid,
Abacus Data, Research Co et d'autres (qu'on dit
applicables à toutes les régions du pays et tous
les groupes d'âge), dans lesquels moins de 25 %
des répondants avaient une allégeance au maintien
de la monarchie.
Il est antidémocratique et contraire à la
volonté de la majorité d'obliger les citoyens
naturalisés à prêter allégeance à un monarque
étranger que n'appuient pas ceux qui acquièrent la
citoyenneté par la naissance. Loin d'obliger les
Canadiens naturalisés à prêter allégeance à la
reine d'Angleterre, il est grand temps de régler
la question de savoir qui choisit et comment est
choisi le chef d'État du Canada.
La monarchie est une institution qui n'est pas
seulement médiévale, elle est aussi pourrie et
corrompue jusqu'à la moelle. C'est un fardeau que
les soi-disant sujets de la reine doivent
porter – tous, mais surtout les peuples de
l'Écosse et du Pays de Galles et ceux qui vivent
dans le soi-disant duché de Cornouailles et
d'autres duchés qui sont forcés de remplir les
coffres royaux. Les modifications apportées au
serment de citoyenneté demandent maintenant non
seulement l'allégeance à la reine d'Angleterre,
appelée reine du Canada, mais aussi à la
Constitution, qui est un texte de loi déjà
anachronique et discriminatoire.
Il s'agit d'un pas
en arrière. En soulevant la question de la
Constitution, qui n'a même jamais été signée par
le Québec, les amendements proposés dans le projet
de loi C-8 provoquent de nouvelles divisions dans
la société. Le fait d'exiger des nouveaux citoyens
qu'ils s'engagent à respecter les droits issus de
traités, mais pas les droits nationaux du Québec,
crée des problèmes et montre que le gouvernement
n'est sincère ni sur l'un ni sur l'autre. Il est
méprisable de créer ainsi l'illusion que le
gouvernement n'est pas raciste parce qu'il dit que
les citoyens doivent s'engager à respecter les
droits issus de traités quand on sait que le
respect des droits issus de traités est une
responsabilité du gouvernement et non des citoyens
comme tels, qui sont actuellement sans pouvoir sur
ces questions de toute façon.
Aucun citoyen ou résident du Canada ne devrait se
voir demander de prêter allégeance à quelque
valeur que ce soit, car c'est une violation de son
droit de conscience. Il devrait suffire de
satisfaire aux exigences objectives de la
citoyenneté et de s'engager à respecter les droits
et les devoirs exigés de tous de la même manière.
Le Canada ne précise nulle part les droits et
devoirs communs à tous les citoyens, qu'ils soient
nés au pays ou naturalisés. Les personnes nées au
Canada n'ont pas à prêter un serment d'allégeance
à qui ou à quoi que ce soit, il est donc
inapproprié d'exiger que les résidents permanents
à qui l'on accorde la citoyenneté soient forcés de
le faire.
Les libéraux de Justin Trudeau ont préparé ce
projet de loi pour donner l'impression de donner
suite à la recommandation 94 de la Commission de
vérité et de réconciliation, qui préconise de
modifier le serment de citoyenneté pour que les
nouveaux citoyens « jurent d'observer fidèlement
les lois du Canada, y compris les traités avec les
peuples autochtones ». Cette recommandation n'est
pas correctement formulée dans le sens où il est
du devoir des gouvernements de faire respecter les
traités, qui sont des documents portant sur les
relations de nation à nation, et non du devoir des
citoyens individuels. La réalité est que ce sont
les citoyens qui exigent présentement des comptes
aux gouvernements pour violation des traités.
Le gouvernement libéral, par l'intermédiaire de
son ministre de l'Immigration, propose plutôt de
modifier le serment de citoyenneté comme suit : «
Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa
Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada,
à ses héritiers et successeurs et je jure
d'observer fidèlement les lois du Canada, y
compris la Constitution, qui reconnaît et confirme
les droits – ancestraux ou issus de traités – des
Premières Nations, des Inuits et des Métis, et de
remplir loyalement mes obligations de citoyen
canadien. »
Une
définition moderne de la citoyenneté reconnaît que
tous les membres du corps politique sont égaux,
avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Tout
citoyen, voire tout résident, est tenu de se
conformer à la loi, ce qui inclut la Constitution,
alors que gagne-t-on à obliger un citoyen
naturalisé à prêter un tel serment ? Un demandeur
qui a satisfait aux exigences d'acquisition de la
citoyenneté par naturalisation devrait simplement
s'engager à respecter les droits et les devoirs
attendus de tout citoyen, ni plus ni moins.
Il est tout à fait malhonnête de la part des
libéraux de Justin Trudeau d'insérer dans le
serment de citoyenneté l'allégeance à « la
Constitution, qui reconnaît et confirme les droits
– ancestraux ou issus de traités – des Premières
Nations, des Inuits et des Métis ». Par cette
manoeuvre sournoise, qui mentionne les traités
conclus avec les peuples autochtones, mais pas
leurs droits ancestraux inhérents, il laisse
entendre que ces droits sont définis ailleurs dans
la loi canadienne, alors qu'en vertu de la
Constitution ces droits sont interprétés par un
pouvoir supérieur, au-dessus des peuples
autochtones. C'est le langage des colonisateurs.
Il n'y a aucune vérité ou réconciliation dans le
nouveau serment que les partis du cartel vont
faire passer. Le Bloc n'est pas d'accord avec
l'inclusion de la Constitution que le Québec n'a
pas signée. Les députées bloquistes Sylvie Bérubé
et Marie-Hélène Gaudreau l'ont dit lors du débat
sur le projet de loi C-8 le 24 février. Elles ont
également souligné que la Constitution ne définit
pas la fédération canadienne comme une « libre
association de nations égales » et ne reconnaît
pas les droits inhérents des peuples autochtones.
Malgré les déclarations des libéraux selon
lesquelles le projet de loi C-8 donne suite à
l'une des recommandations de la Commission de
vérité et de réconciliation, les révisions
apportées au serment vont à l'encontre de
l'esprit, des principes et de l'objectif des
recommandations de la Commission. Le fait que le
gouvernement présente et adopte un projet de loi
qui oblige les citoyens naturalisés à prêter
serment d'allégeance à l'interprétation coloniale
canadienne de ces relations est un acte
méprisable.
Le seul serment qui pourrait être demandé aux
nouveaux citoyens est le suivant : Je m'engage à
respecter les droits et les devoirs de la
citoyenneté.
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 5 - 4 avril 2021
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