Lettre de solidarité avec le peuple haïtien dans sa lutte pour la démocratie, la justice et les réparations


Les manifestations se poursuivent en Haïti, le 1er avril 2021. (C. Sylvain)

Au secrétaire général des Nations unies, António Guterres

Au secrétaire général de l'OÉA, Luis Almagro

Aux gouvernements des pays membres de l'ONU et de l'OÉA

Au peuple d'Haïti et à ses organisations

Haïti est une fois de plus au coeur d'une crise très profonde. Actuellement, un élément central de cette crise est la lutte contre la dictature imposée par l'ancien président Jovenel Moïse. Depuis l'année dernière, après avoir décrété la cessation des activités du Parlement, celui-ci gouverne par décret, violant ainsi de manière permanente la constitution du pays. Ainsi, par exemple, il refuse de quitter le pouvoir alors que son mandat a expiré le 7 février 2021, prétendant qu'il prend fin le 7 février de l'année prochaine, sans aucune base juridique. Il le fait malgré les multiples prises de position contre lui des principales instances juridiques du pays, telles que le CSPJ (Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire), la Fédération qui regroupe les Barreaux haïtiens, ainsi que les Fédérations religieuses et de nombreuses institutions représentatives de la société. À cette époque, en outre, il y a eu une grève des fonctionnaires de la Justice qui a laissé le pays sans aucun organe judiciaire en fonctionnement.

En même temps, cette crise institutionnelle s'inscrit dans le cadre d'une insécurité qui touche pratiquement tous les secteurs de la société haïtienne. Une insécurité qui s'exprime par la répression sauvage des mobilisations populaires par la PNH (Police Nationale d'Haïti) à la botte de l'Exécutif, par des attaques contre les journalistes, par différents massacres dans les quartiers populaires, par des assassinats et des arrestations arbitraires d'opposants, par l'arrestation d'un juge de la Cour de cassation sous le prétexte qu'il fomentait un prétendu complot contre la sécurité de l'État et pour l'assassiner, par la révocation illégale et arbitraire de trois juges de cette Cour, par la création de centaines de groupes armés qui sèment la terreur sur tout le territoire national et qui répondent au pouvoir, transformant l'enlèvement de personnes en une industrie très prospère pour ces criminels.

Les 13 années d'occupation militaire par les troupes des Nations unies par le biais de la MINUSTAH, ainsi que les opérations de prolongation d'une situation de tutelle par le biais de la MINUJUSTH (Mission des Nations unies pour l'appui à la Justice en Haïti) et du BINUH (Bureau intégré des Nations Unies en Haïti) ont aggravé la crise haïtienne, en soutenant les secteurs rétrogrades, anti-démocratiques et mafieux. En outre, ils ont commis des crimes graves contre la population haïtienne et ses droits fondamentaux (comme l'introduction du choléra) pour lesquels il faut établir des processus de justice et de réparation exemplaires. Le peuple haïtien a payé très cher l'intervention de la MINUSTAH : 30 000 MORTS du choléra transporté par les soldats, des milliers de femmes violées, qui ont maintenant des enfants orphelins de pères en vie mais retournés dans leurs pays d'origine. Rien n'a changé de manière positive en 13 ans, plus d'inégalité sociale, plus de pauvreté, plus de difficultés pour le peuple et l'absence de démocratie.

Les conditions de vie des secteurs populaires se sont considérablement détériorées à la suite de plus de 30 années de politiques néolibérales imposées par les institutions financières internationales (IFI), par une grave crise du taux de change, par le gel du salaire minimum et par un taux d'inflation de plus de 20 % au cours des trois dernières années.

Malgré cette situation dramatique, le peuple haïtien reste ferme et se mobilise constamment pour empêcher la consolidation de cette dictature en exigeant le départ immédiat de l'ancien président Jovenel Moïse. Récemment, les 14 et 28 février, des centaines de milliers de citoyens ont clairement exprimé dans la rue leur rejet de la dictature et leur ferme engagement à respecter la Constitution.

Compte tenu de l'importance de cette lutte et du fait que ce régime dictatorial bénéficie toujours du soutien de gouvernements impérialistes tels que les États-Unis, le Canada, la France et d'organisations internationales telles que l'ONU, l'OEA, l'Union européenne et le FMI, nous appelons à écouter le peuple haïtien qui exige la fin de la dictature ainsi que le respect de sa souveraineté et de son autodétermination et l'établissement d'un régime de transition politique contrôlé par les acteurs haïtiens qui disposerait d'un espace suffisant pour lancer un processus de véritable reconstruction nationale.

Nous demandons à l'ONU et à l'OÉA – qui n'a certainement ni le droit ni le droit moral de s'ingérer dans les élections et autres affaires internes des pays membres – et aux gouvernements de tous les pays, en particulier ceux qui se sont offerts pour « occuper » Haïti pendant 13 ans, par le biais de la MINUSTAH, de cesser de se comporter comme si Haïti était leur colonie. Assez d'ingérence ! Leur devoir est autre : assurer la justice et la réparation de tous les crimes qu'ils ont commis contre ce peuple et ce pays, notamment l'introduction du choléra, les viols et les abus sexuels, l'impunité de leur manipulation électorale et l'utilisation de la « coopération » à leurs propres fins.

Seul le peuple haïtien peut décider de son avenir, mais dans ce parcours, il peut compter sur notre solidarité et notre volonté de le soutenir par toutes les actions à notre portée. Nous soutenons le peuple et les mouvements d'Haïti afin qu'ils puissent élire un gouvernement populaire de transition et une Constituante de manière démocratique.

Pour un Haïti libre et souverain !

Pour télécharger la déclaration ainsi que ses signataires, cliquer ici.

(viacampesina.org, 29 mars 2021)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 5 - 4 avril 2021

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