Des crimes commis au nom du bien
commun
- Michael Chant -
Le déroulement de l'« Enquête sur les activités
clandestines de la police » (UCPI), présidée par
le juge à la retraite Sir John Mitting, qui se
déroule en ce moment en Grande-Bretagne, confirme
les crimes nombreux qui ont été perpétrés par la
police secrète de Grande-Bretagne contre les
militants sociaux et politiques et pour lesquels
la police n'a jamais eu à rendre de comptes.
L'enquête a pour mandat d'examiner les crimes
commis depuis la guerre du Vietnam. Comme les
activités de la police secrète sont, par
définition, considérées comme étant légitimes afin
de préserver l'état de droit et l'empire,
l'enquête Mitting se tient sous l'égide du
matériel de pensée de l'empire britannique selon
lequel tout a été fait pour le bien commun et, «
tout bien considéré », tout a été « une bonne
chose ».
L'enquête Mitting a commencé à entendre des
témoins le 2 novembre 2020, mais elle a été en
fait lancée en 2014 par la secrétaire d'État à
l'Intérieur de l'époque, Theresa May. Elle a lancé
l'enquête après qu'il a été révélé que la police
avait surveillé de manière secrète la campagne
pour la justice au sujet du meurtre à motivation
raciste du jeune noir Stephen Lawrence en 1993.
L'objectif de l'opération secrète était de
discréditer la campagne et d'exonérer le Service
de la police métropolitaine (MPS), la police de
Londres, de toute responsabilité de « racisme
institutionnel ».
Les révélations qui ont été mises en lumière en
2013 ont démontré que quatre policiers infiltrés
avaient été chargés de fournir du « renseignement
» sur les campagnes pour la justice en lien avec
le décès de Stephen Lawrence. La fourniture de «
renseignement » consistait à amasser de la « boue
» et de la « désinformation » qui pourraient être
utilisées pour discréditer les membres de la
famille Lawrence et ses sympathisants.
Globalement, l'enquête doit examiner le
déploiement d'environ 150 agents infiltrés qui ont
espionné et infiltré plus de 1000 groupes
politiques pendant environ quarante ans. La preuve
remonte à la période de 1968, lorsque l'Escouade
spéciale pour les manifestations (SDS) a été créée
pour infiltrer et saper le mouvement contre la
guerre du Vietnam.
Visiblement, la création de l'enquête publique a
ouvert la voie à des révélations sur l'« entière
étendue » de l'activité policière clandestine.
Elle ne couvre pas, cependant, les actions des «
policiers espions » menées à l'extérieur de
l'Angleterre et du Pays de Galles bien que ces
policiers aient été actifs dans près de 20 pays
lorsqu'ils ont été déployés. En particulier, les
activités perfides de l'État britannique en
Irlande ne font pas partie du mandat de l'enquête,
sans parler de l'Inde, de la Grèce, du Kenya et
d'autres parties de l'empire britannique et du
reste du monde.
Aucune date n'a été fixée pour la fin de
l'enquête, mais on s'attend à ce qu'elle se
termine vers 2026. Deux unités d'activités
policières clandestines – le SDS et le National
Public Order Intelligence Unit (NPOIU) – occupent
une place prépondérante dans l'enquête dont le
travail ne se limite pas à ces unités, lit-on sur
le site Web de l'UCPI.
Entre 2014 et 2020, malgré les demandes de la
famille Lawrence et des militants de la campagne
pour la justice, le voile sur l'étendue de la
responsabilité des plus hauts échelons du pouvoir
en Grande-Bretagne a été une source continuelle de
frustration. Voici ce qu'a dit l'avocat de la
famille Lawrence lors de sa déclaration liminaire
en novembre de l'année dernière :
« Il faut examiner dans quelle mesure Sir Paul
Condon [le commissaire de la police métropolitaine
à l'époque] était au courant et/ou a autorisé les
activités d'espionnage. En fait, l'enquête ne doit
pas s'arrêter au niveau du commissaire parce que
l'activité policière était, jusqu'à récemment, la
responsabilité du Secrétaire d'État à l'Intérieur,
ce qui peut expliquer pourquoi, peu après que
l'enquête a été annoncée, un ancien secrétaire
d'État à l'intérieur ait rencontré la baronne
Lawrence et nié toute connaissance et toute
implication dans cette affaire. »
Effectivement, les procédures ont débuté par un
déni général que « le personnel du SDS n'a pas
infiltré ou ciblé les campagnes pour la justice (y
compris celle des Lawrence) ».
Les activités des « policiers espions » n'en sont
pas moins indéniables. Tout l'effort de l'enquête
Mitting a donc été de garder secrètes le plus
d'informations possibles. Malgré sa désignation
d'« enquête publique », la diffusion en direct des
procédures a été limitée sous prétexte que cela
posait un « risque à la sécurité ». Alors que les
procédures sont en cours, il devient de plus en
plus clair que l'enquête risque d'aller à
l'encontre de ses propres objectifs, soit de «
découvrir la vérité sur l'activité policière
clandestine en Angleterre et au Pays de Galles
depuis 1968 et de faire des recommandations pour
l'avenir ». Cet objectif provient du mandat
originel de l'enquête, lorsque Theresa May a dit
que l'enquête doit examiner « les défaillances
historiques » et que « toute allégation que la
police a fait un mauvais usage de son pouvoir
[activité policière clandestine] doit être prise
au sérieux ».
En d'autres termes, et cela n'est pas surprenant,
l'enquête Mitting se limite à tracer la ligne
entre une utilisation légitime et une utilisation
abusive des pouvoirs de la police au lieu de lever
le voile sur la vérité concernant la façon dont
ces pouvoirs de police sont et ont été
fondamentaux dans les tentatives de l'État de
désorienter et d'écraser les mouvements
populaires. Leur utilisation même est synonyme
d'abus, ce que l'enquête cherche à dissimuler. En
outre, l'enquête vise à faire en sorte que les
personnes qui autorisent l'utilisation clandestine
de ces pouvoirs de police soient encore moins
obligées de rendre des comptes.
Comme l'a souligné l'avocat de la famille
Lawrence, ce qui se passe ressemble plutôt à une
enquête secrète dans laquelle un agent après
l’autre se cache derrière un pseudonyme et un
écran.
L'étendue de l'activité des espions est déjà de
notoriété publique. L'avocat du tribunal, David
Barr, l'a noté en énumérant ce que les agents ont
fait pendant leur infiltration :
- ils ont séduit plus de 30 femmes pour
entretenir avec elles des relations intimes à long
terme;
- ils ont eu des enfants avec les militantes
qu'ils espionnaient;
- ils ont volé l'identité d'enfants décédés pour
créer une couverture convaincante;
- ils ont trompé les familles en deuil et ont
tenté de les empêcher d'apprendre la vérité;
- ils ont sapé les campagnes antifascistes,
antiracistes, environnementales et autres
campagnes pour la justice sociale;
- ils ont été à l'origine de l'inscription sur une
liste noire de milliers de travailleurs qui
réclamaient des conditions de travail sécuritaires
ou étaient politiquement actifs.
La première phase de l'enquête portant sur la
période 1968-1972 s'est achevée en 2020. Les
prochains témoignages seront entendus à partir
d'avril ou de mai.
Équipe spéciale de manifestations
Après la manifestation contre la guerre du
Vietnam en mars 1968 sur la place Grosvenor, où se
trouvait alors l'ambassade des États-Unis, et au
cours de laquelle la police à cheval a violemment
attaqué les manifestants, la Branche spéciale a
créé le SDS qui a profondément infiltré le
mouvement, et dont les agents vivaient comme des
militants parmi différents groupes contre la
guerre. Le champ d'action du SDS s'est rapidement
étendu et il a commencé à s'intéresser à tous les
cas de soi-disant perturbations et menaces à
l'ordre public. Il a également fourni des
renseignements sur la « subversion » au MI5, le «
service de sécurité » national du Royaume-Uni.
Le MI5 et le Home Office
Un des avocats de la police, Oliver Sanders, qui
représente 114 agents infiltrés, a fourni les
informations suivantes à la Commission d'enquête :
- Le MI5 et les policiers espions étaient si
proches que le MI5 a envisagé de financer le SDS.
- Ils se sont concertés pour s'assurer qu'ils ne
faisaient pas double emploi en matière
d'espionnage, ce qui aurait pu entraîner qu'ils
s'espionnent les uns et des autres.
- Le MI5 a conseillé les policiers espions du SDS
et a demandé des informations spécifiques.
- Une copie de la plupart des rapports de
renseignement du SDS a été envoyée au MI5 avec les
numéros de référence des dossiers des personnes ou
des groupes.
- Le SDS était « un rouage politiquement neutre
faisant partie d'un appareil beaucoup plus vaste
».
Les revendications des avocats de la police
Richard Whittam, représentant un groupe de
policiers infiltrés et leurs officiers traitants,
a déclaré à propos de l'activité « abusive,
trompeuse, manipulatrice et inadmissible » des
agents infiltrés espions qui ont trompé des femmes
dans leurs relations, que, néanmoins, les agents
infiltrés qui commettent des crimes sont
essentiels à la sécurité nationale et à la
prévention d'autres crimes et à la détection de
personnes pouvant commettre des crimes.
Ce raisonnement a actuellement force de loi en
raison du projet de loi sur les sources de
renseignement humain (comportement criminel)
présenté au Parlement britannique, qui est en
passe de recevoir la sanction royale. La nouvelle
loi autorise les activités criminelles, y compris
le meurtre, le viol, la torture, la perversion du
cours de la justice et tous les autres crimes
commis par des agents de police infiltrés et
d'autres services de renseignement. Elle confirme
que les pouvoirs de la police ne sont pas qu’une
simple question de forces policières
particulièrement zélées, mais qu'il s'agit en fait
de pouvoirs arbitraires du pouvoir exécutif et du
judiciaire dans les domaines de la guerre et de la
paix, du crime et de la punition et de toute autre
question qui relève de leur compétence. La
conclusion de la Commission d'enquête est que même
les « abus » de la loi sont acceptables parce
qu'ils sont faits pour « le bien commun ».
La justification entendue lors de l'enquête
concernant l'assassinat par la police de Kevin
Gately et Blair Peach lors d'une manifestation
dans les années 1970 était particulièrement
choquante et atroce. Selon les policiers qui ont
comparu à l'enquête, il y aurait eu plus de morts
et de blessés si les policiers infiltrés n'avaient
pas veillé à ce que les manifestations soient
correctement contrôlées.
Le vol de l'identité d'enfants décédés aurait été
« regrettable, mais nécessaire pour prévenir le
risque d'exposition ». Cela fait écho aux
justifications avancées à la Chambre des communes
pour légaliser les actes criminels des agents
infiltrés pour empêcher qu'ils ne soient
démasqués.
Les arguments avancés lors de l'enquête
reprennent le thème récurrent et sous-jacent que
ce sont les tendances violentes des manifestants
qui posent problème. Les preuves de la Campagne
d'opposition à la surveillance policière (COPS)
concernant le meurtre de Blair Peach ont montré
que lorsque « l'unité de police responsable du
meurtre de Peach a fait fouiller ses casiers, les
armes trouvées comprenaient un pied-de-biche, une
cosse en métal, un manche de fouet, une crosse, un
manche en laiton, des couteaux, des matraques à
l'américaine, un fouet de rhinocéros et un manche
de pioche ». Ces preuves exposent les motifs de
l'enquête qui sont de détourner les projecteurs
des actions de la police et de blâmer leurs
victimes.
Michael Chant est le secrétaire général du
Parti communiste révolutionnaire de
Grande-Bretagne (marxiste-léniniste).
(Photos: Workers' Weekly)
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 4 - 7 mars 2021
Lien de l'article:
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