Des crimes commis au nom du bien commun

Les révélations de l'enquête Mitting
sur l'étendue de l'infiltration policière
en Grande-Bretagne

Le déroulement de l'« Enquête sur les activités clandestines de la police » (UCPI), présidée par le juge à la retraite Sir John Mitting, qui se déroule en ce moment en Grande-Bretagne, confirme les crimes nombreux qui ont été perpétrés par la police secrète de Grande-Bretagne contre les militants sociaux et politiques et pour lesquels la police n'a jamais eu à rendre de comptes. L'enquête a pour mandat d'examiner les crimes commis depuis la guerre du Vietnam. Comme les activités de la police secrète sont, par définition, considérées comme étant légitimes afin de préserver l'état de droit et l'empire, l'enquête Mitting se tient sous l'égide du matériel de pensée de l'empire britannique selon lequel tout a été fait pour le bien commun et, « tout bien considéré », tout a été « une bonne chose ».

L'enquête Mitting a commencé à entendre des témoins le 2 novembre 2020, mais elle a été en fait lancée en 2014 par la secrétaire d'État à l'Intérieur de l'époque, Theresa May. Elle a lancé l'enquête après qu'il a été révélé que la police avait surveillé de manière secrète la campagne pour la justice au sujet du meurtre à motivation raciste du jeune noir Stephen Lawrence en 1993. L'objectif de l'opération secrète était de discréditer la campagne et d'exonérer le Service de la police métropolitaine (MPS), la police de Londres, de toute responsabilité de « racisme institutionnel ».

Les révélations qui ont été mises en lumière en 2013 ont démontré que quatre policiers infiltrés avaient été chargés de fournir du « renseignement » sur les campagnes pour la justice en lien avec le décès de Stephen Lawrence. La fourniture de « renseignement » consistait à amasser de la « boue » et de la « désinformation » qui pourraient être utilisées pour discréditer les membres de la famille Lawrence et ses sympathisants.

Globalement, l'enquête doit examiner le déploiement d'environ 150 agents infiltrés qui ont espionné et infiltré plus de 1000 groupes politiques pendant environ quarante ans. La preuve remonte à la période de 1968, lorsque l'Escouade spéciale pour les manifestations (SDS) a été créée pour infiltrer et saper le mouvement contre la guerre du Vietnam.

Visiblement, la création de l'enquête publique a ouvert la voie à des révélations sur l'« entière étendue » de l'activité policière clandestine. Elle ne couvre pas, cependant, les actions des « policiers espions » menées à l'extérieur de l'Angleterre et du Pays de Galles bien que ces policiers aient été actifs dans près de 20 pays lorsqu'ils ont été déployés. En particulier, les activités perfides de l'État britannique en Irlande ne font pas partie du mandat de l'enquête, sans parler de l'Inde, de la Grèce, du Kenya et d'autres parties de l'empire britannique et du reste du monde.

Aucune date n'a été fixée pour la fin de l'enquête, mais on s'attend à ce qu'elle se termine vers 2026. Deux unités d'activités policières clandestines – le SDS et le National Public Order Intelligence Unit (NPOIU) – occupent une place prépondérante dans l'enquête dont le travail ne se limite pas à ces unités, lit-on sur le site Web de l'UCPI.

Entre 2014 et 2020, malgré les demandes de la famille Lawrence et des militants de la campagne pour la justice, le voile sur l'étendue de la responsabilité des plus hauts échelons du pouvoir en Grande-Bretagne a été une source continuelle de frustration. Voici ce qu'a dit l'avocat de la famille Lawrence lors de sa déclaration liminaire en novembre de l'année dernière :

« Il faut examiner dans quelle mesure Sir Paul Condon [le commissaire de la police métropolitaine à l'époque] était au courant et/ou a autorisé les activités d'espionnage. En fait, l'enquête ne doit pas s'arrêter au niveau du commissaire parce que l'activité policière était, jusqu'à récemment, la responsabilité du Secrétaire d'État à l'Intérieur, ce qui peut expliquer pourquoi, peu après que l'enquête a été annoncée, un ancien secrétaire d'État à l'intérieur ait rencontré la baronne Lawrence et nié toute connaissance et toute implication dans cette affaire. »

Effectivement, les procédures ont débuté par un déni général que « le personnel du SDS n'a pas infiltré ou ciblé les campagnes pour la justice (y compris celle des Lawrence) ».

Les activités des « policiers espions » n'en sont pas moins indéniables. Tout l'effort de l'enquête Mitting a donc été de garder secrètes le plus d'informations possibles. Malgré sa désignation d'« enquête publique », la diffusion en direct des procédures a été limitée sous prétexte que cela posait un « risque à la sécurité ». Alors que les procédures sont en cours, il devient de plus en plus clair que l'enquête risque d'aller à l'encontre de ses propres objectifs, soit de « découvrir la vérité sur l'activité policière clandestine en Angleterre et au Pays de Galles depuis 1968 et de faire des recommandations pour l'avenir ». Cet objectif provient du mandat originel de l'enquête, lorsque Theresa May a dit que l'enquête doit examiner « les défaillances historiques » et que « toute allégation que la police a fait un mauvais usage de son pouvoir [activité policière clandestine] doit être prise au sérieux ».

En d'autres termes, et cela n'est pas surprenant, l'enquête Mitting se limite à tracer la ligne entre une utilisation légitime et une utilisation abusive des pouvoirs de la police au lieu de lever le voile sur la vérité concernant la façon dont ces pouvoirs de police sont et ont été fondamentaux dans les tentatives de l'État de désorienter et d'écraser les mouvements populaires. Leur utilisation même est synonyme d'abus, ce que l'enquête cherche à dissimuler. En outre, l'enquête vise à faire en sorte que les personnes qui autorisent l'utilisation clandestine de ces pouvoirs de police soient encore moins obligées de rendre des comptes.

Comme l'a souligné l'avocat de la famille Lawrence, ce qui se passe ressemble plutôt à une enquête secrète dans laquelle un agent après l’autre se cache derrière un pseudonyme et un écran.

L'étendue de l'activité des espions est déjà de notoriété publique. L'avocat du tribunal, David Barr, l'a noté en énumérant ce que les agents ont fait pendant leur infiltration :

- ils ont séduit plus de 30 femmes pour entretenir avec elles des relations intimes à long terme;
- ils ont eu des enfants avec les militantes qu'ils espionnaient;
- ils ont volé l'identité d'enfants décédés pour créer une couverture convaincante;
- ils ont trompé les familles en deuil et ont tenté de les empêcher d'apprendre la vérité;
- ils ont sapé les campagnes antifascistes, antiracistes, environnementales et autres campagnes pour la justice sociale;
- ils ont été à l'origine de l'inscription sur une liste noire de milliers de travailleurs qui réclamaient des conditions de travail sécuritaires ou étaient politiquement actifs.

La première phase de l'enquête portant sur la période 1968-1972 s'est achevée en 2020. Les prochains témoignages seront entendus à partir d'avril ou de mai.

Équipe spéciale de manifestations

Après la manifestation contre la guerre du Vietnam en mars 1968 sur la place Grosvenor, où se trouvait alors l'ambassade des États-Unis, et au cours de laquelle la police à cheval a violemment attaqué les manifestants, la Branche spéciale a créé le SDS qui a profondément infiltré le mouvement, et dont les agents vivaient comme des militants parmi différents groupes contre la guerre. Le champ d'action du SDS s'est rapidement étendu et il a commencé à s'intéresser à tous les cas de soi-disant perturbations et menaces à l'ordre public. Il a également fourni des renseignements sur la « subversion » au MI5, le « service de sécurité » national du Royaume-Uni.

Le MI5 et le Home Office

Un des avocats de la police, Oliver Sanders, qui représente 114 agents infiltrés, a fourni les informations suivantes à la Commission d'enquête :

- Le MI5 et les policiers espions étaient si proches que le MI5 a envisagé de financer le SDS.
- Ils se sont concertés pour s'assurer qu'ils ne faisaient pas double emploi en matière d'espionnage, ce qui aurait pu entraîner qu'ils s'espionnent les uns et des autres.
- Le MI5 a conseillé les policiers espions du SDS et a demandé des informations spécifiques.
- Une copie de la plupart des rapports de renseignement du SDS a été envoyée au MI5 avec les numéros de référence des dossiers des personnes ou des groupes.
- Le SDS était « un rouage politiquement neutre faisant partie d'un appareil beaucoup plus vaste ».

Les revendications des avocats de la police

Richard Whittam, représentant un groupe de policiers infiltrés et leurs officiers traitants, a déclaré à propos de l'activité « abusive, trompeuse, manipulatrice et inadmissible » des agents infiltrés espions qui ont trompé des femmes dans leurs relations, que, néanmoins, les agents infiltrés qui commettent des crimes sont essentiels à la sécurité nationale et à la prévention d'autres crimes et à la détection de personnes pouvant commettre des crimes.

Ce raisonnement a actuellement force de loi en raison du projet de loi sur les sources de renseignement humain (comportement criminel) présenté au Parlement britannique, qui est en passe de recevoir la sanction royale. La nouvelle loi autorise les activités criminelles, y compris le meurtre, le viol, la torture, la perversion du cours de la justice et tous les autres crimes commis par des agents de police infiltrés et d'autres services de renseignement. Elle confirme que les pouvoirs de la police ne sont pas qu’une simple question de forces policières particulièrement zélées, mais qu'il s'agit en fait de pouvoirs arbitraires du pouvoir exécutif et du judiciaire dans les domaines de la guerre et de la paix, du crime et de la punition et de toute autre question qui relève de leur compétence. La conclusion de la Commission d'enquête est que même les « abus » de la loi sont acceptables parce qu'ils sont faits pour « le bien commun ».

La justification entendue lors de l'enquête concernant l'assassinat par la police de Kevin Gately et Blair Peach lors d'une manifestation dans les années 1970 était particulièrement choquante et atroce. Selon les policiers qui ont comparu à l'enquête, il y aurait eu plus de morts et de blessés si les policiers infiltrés n'avaient pas veillé à ce que les manifestations soient correctement contrôlées.

Le vol de l'identité d'enfants décédés aurait été « regrettable, mais nécessaire pour prévenir le risque d'exposition ». Cela fait écho aux justifications avancées à la Chambre des communes pour légaliser les actes criminels des agents infiltrés pour empêcher qu'ils ne soient démasqués.

Les arguments avancés lors de l'enquête reprennent le thème récurrent et sous-jacent que ce sont les tendances violentes des manifestants qui posent problème. Les preuves de la Campagne d'opposition à la surveillance policière (COPS) concernant le meurtre de Blair Peach ont montré que lorsque « l'unité de police responsable du meurtre de Peach a fait fouiller ses casiers, les armes trouvées comprenaient un pied-de-biche, une cosse en métal, un manche de fouet, une crosse, un manche en laiton, des couteaux, des matraques à l'américaine, un fouet de rhinocéros et un manche de pioche ». Ces preuves exposent les motifs de l'enquête qui sont de détourner les projecteurs des actions de la police et de blâmer leurs victimes.

Michael Chant est le secrétaire général du Parti communiste révolutionnaire de Grande-Bretagne (marxiste-léniniste).

(Photos: Workers' Weekly)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 4 - 7 mars 2021

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