Au Parlement
Un procédé odieux pour légitimer la
criminalisation de la parole et de l'opinion
- Anna Di Carlo -
Le 25 février, une motion a été déposée à la
Chambre des communes pour « condamner
l'Association canadienne pour les armes à feu
(NFA) ainsi que les propos tenus par son
président, Sheldon Clare, le 16 février 2021 dans
une vidéo diffusée en ligne concernant la
présentation du projet de loi C-21 », le projet de
loi sur le contrôle des armes à feu[1].
La motion, proposée par la députée libérale Pam
Damoff, a été adoptée par le Comité permanent de
la sécurité publique et nationale. Les
conservateurs se sont abstenus. La motion cite des
propos tenus dans une vidéo d'une heure et 12
minutes intitulée C-21 Attack on Firearms Owners
qu'elle qualifie d'« extrêmement préoccupants ».
La motion a été modifiée juste avant son adoption
pour préciser que le Comité doit en faire rapport
à la Chambre des communes, la présentant ainsi
comme une question d’importance politique
nationale.
La motion condamne ce que tout auditeur
raisonnable considérerait comme un discours public
légitime. Elle suit un procédé présentement très
courant qui consiste à soulever des questions qui
préoccupent la population - telles que le racisme,
l'« extrémisme » et, dans ce cas-ci, les incidents
de plus en plus fréquents de violence armée – à la
fois pour détourner l'attention des atteintes
croissantes à la liberté de parole et d'opinion et
pour légitimer ces empiètements. Il semble que
tout stéréotype de ce qui nous est cher, de la
vertu à la tarte aux pommes, est exploité à
outrance pour créer un État policier dans lequel
tout propos peut être cause de criminalisation et
de diffamation. La NFA est une cible facile à
cause de l'étiquette de « défenseurs des armes à
feu » qui lui est accolée.
La motion soulève
également ce phénomène très grave que les propos
et les activités politiques des Canadiens sont de
plus en plus surveillés et contrôlés. Elle suscite
des inquiétudes sur la manière dont les forces de
sécurité invoquent la défense des « institutions
démocratiques » contre de « mauvais acteurs »,
tant étrangers que nationaux. Qui a regardé une
vidéo de 72 minutes pour dénicher ce que la
députée Pam Damoff qualifie de « propos
extrêmement préoccupants » ? Quand on sait que les
députés sont généralement devenus de simples
porte-parole très dirigés des échelons supérieurs
de l'élite au pouvoir dans son ensemble et de
leurs partis politiques en particulier, la motion
présentée par Pam Damoff doit être vue comme
faisant partie d'une campagne officielle et non
pas comme un témoignage fortuit et une réaction
spontanée d'une députée qui se dit scandalisée,
comme on cherche à le prétendre.
Même dans ce cas, il est intéressant de noter
comment la députée Damoff agit en tant que juge,
jury et bourreau en rendant un verdict selon
lequel le saccage du 6 janvier à Washington a été
causé par le discours de Trump incitant à la
violence (par opposition aux actions de, disons,
la police secrète qui a conduit les Proud Boys et
d'autres à faire ce qu'ils ont fait). Les lois
canadiennes sont modifiées sur la base de ce genre
de verdict fallacieux, bien que même le Sénat
américain n'ait pas rendu ce verdict et que des
opinions différentes continuent de circuler sur ce
que signifie précisément le premier amendement de
la Constitution américaine concernant le droit
d'expression, le droit de réunion et la liberté de
la presse.
La motion se lit comme suit : « Que le Comité
permanent de la sécurité publique et nationale de
la Chambre des communes condamne l'Association
canadienne pour les armes à feu ainsi que les
propos tenus par son président, Sheldon Clare, le
16 février 2021 dans une vidéo diffusée en ligne
concernant la présentation du projet de loi C-21,
dans laquelle il dit : '... nous remettre au
travail du bois et des métaux et recommencer à
construire des guillotines (rire). Ce serait
vraiment la meilleure forme de comité de sécurité
publique, de rétablir ça. S'ils veulent en faire
une question de sécurité publique, c'est la voie à
adopter. Le ton de voix de cette personne
indiquait clairement qu'elle était sérieuse. Ce
n'était pas une blague. Je ne crois pas qu'ils
comprennent qu'ici, ce n'est pas la
Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni ou l'Australie.
Le Canada est un pays composé de gens qui sont ici
depuis des milliers d'années, les Autochtones, les
immigrants qui ont fui l'Europe pour échapper à la
tyrannie, qui ont combattu la tyrannie et [...]
qui savent reconnaître la tyrannie. Et cela, mes
amis, c'est de la tyrannie. »
En comité, la députée Pam Damoff a dit qu'« on
recense maintenant près de 7 000 visionnements
pour cette vidéo de la NFA » et que « les paroles
sont importantes ». Elle a dit: « Nous avons pu
voir le 6 janvier dernier aux États-Unis ce qui se
produit lorsque des propos incendiaires
déclenchent une insurrection et des actes de
violence. Nous avons pu l'observer ici même au
Canada avec cet individu qui a fait irruption sur
le terrain de Rideau Hall et cet autre qui a suivi
le chef du NPD Jagmeet Singh. J'ai froid dans le
dos quand j'entends une tête dirigeante de la NFA
parler de construire des guillotines en faisant
référence au Comité de la sécurité publique. »
« Nous devons mettre un terme à de telles façons
de s'exprimer et de penser qu'il est correct de
parler de la construction de guillotines et d'en
rire sur une tribune publique, a-t-elle ajouté. Je
suis d'avis que notre Comité doit condamner ce
genre de propos. »
Les propos en question apparaissent 45 minutes
après le début de la vidéo qui montre quatre
personnes de la NFA discutant du projet de loi
C-21, de la manière dont les libéraux ont procédé
à sa promulgation et des questions liées aux
propriétaires d'armes à feu enregistrées qui
utilisent leurs armes à des fins légitimes par
rapport au problème de la violence liée aux armes
à feu. Elle présente les plans de la NFA pour
s'attaquer à ce qu'elle estime être un projet de
loi injustifié qui porte atteinte aux droits de
ses membres. Entre autres, la NFA estime que le
projet de loi C-21 n'a rien à voir avec la lutte
contre la violence criminelle, qu'il ne recevra
pas la sanction royale avant la fin de la session
actuelle de la Chambre et que les libéraux
utilisent le projet de loi C-21 comme un
stratagème de campagne préélectorale[2].
En réponse à cette motion, Sheldon Clare, de la
NFA, a publié un communiqué de presse dans lequel
il dit : « Je suis étonné que les parlementaires
libéraux aient le temps de regarder notre
populaire balado NFA Talk. Peut-être que le pays
irait mieux si le gouvernement libéral commençait
vraiment à travailler pour la population
canadienne au lieu de travailler contre elle. Je
suis étonné que n'importe quel Canadien soutienne
toujours les libéraux après leurs nombreux
scandales et leur attaque tyrannique contre le
milieu des armes à feu, de l'airsoft et des armes
à air comprimé – sans parler des dommages
économiques causés par ce gouvernement libéral. Je
ne m'excuse pour aucun des commentaires faits dans
notre balado NFA Talk, que vous les aimiez ou non.
Nous avons le droit de nous exprimer, du moins
pour le moment. Rien de ce qui est dit ne défend
la violence envers quiconque. Les permis d'armes à
feu, leur enregistrement et le système de
classification sont des mesures de contrôle
inutiles des libéraux qui méritent d'être
contestées. Le décret du 1er mai 2020 et le projet
de loi C-21, qui proposent de dépouiller les gens
de leur propriété obtenue en toute légalité, sont
aussi inacceptables. La NFA soutient que nos
solide patrimoine et culture canadiens
d'utilisation d'armes à feu sont importants, et
nous allons continuer à les défendre avec vigueur.
»
Notes
1. Le
projet de loi C-21, Loi modifiant
certaines lois et apportant certaines
modifications corrélatives (armes à feu),
a été déposé à la Chambre des communes le 16
février. Il édicte des restrictions
réglementaires sur les armes à feu
précédemment instituées par un décret de mai
2020 prévoyant la saisie de plus de 1500 types
d'armes différents et établissant un programme
de rachat pour les particuliers qui possèdent
ces armes. La NFA s'est opposée à la
réglementation depuis, notamment par le biais
d'une contestation judiciaire.
Le cabinet d'avocats Robichaud,
spécialisé dans la défense pénale, a écrit au
moment du décret : « Le gouvernement libéral a
interdit plus de 1500 modèles d'armes à feu,
soit environ 90 000 armes, dans le but
d'interdire les 'armes d'assaut de type
militaire. Historiquement, les 'armes d'assaut
de type militaire', c'est-à-dire celles
utilisées par les Forces armées canadiennes
(FAC), en temps de guerre et dans le cadre
d'activités de maintien de la paix, sont déjà
inaccessibles (via le statut d'armes
prohibées) depuis le 27 juin 1969, date à
laquelle la loi modifiant le droit pénal a
reçu la sanction royale. [...] Cette
législation antérieure interdit déjà toutes
les armes actuellement utilisées par les FAC,
à l'exception peut-être de la C3A1, car elle
ne figure pas dans le règlement sur les armes
à feu prohibées du Code pénal ou dans le
nouveau décret. Compte tenu de l'incapacité
des Canadiens à accéder légalement à des armes
à feu de qualité militaire (ou même à des
armes automatiques de qualité inférieure)
depuis plus de 40 ans, on ne sait toujours pas
clairement quelles 'armes d'assaut de type
militaire' ce décret cherche à interdire ou ce
que ce terme indéfini signifie. »
Le gouvernement libéral déclare
que l'objectif du projet de loi C-21 est de «
lutter contre la violence entre partenaires
intimes, la violence fondée sur le genre et
l'automutilation, lutter contre la contrebande
et le trafic d'armes à feu, aider les
municipalités à créer des collectivités plus
sûres, offrir des occasions et des ressources
aux jeunes, protéger les Canadiens contre la
violence liée aux armes à feu et assujettir
les propriétaires d'armes à feu prohibées le
1er mai 2020 à des exigences d'entreposage
sans permissions, s'ils choisissaient de ne
pas participer au programme de rachat. »
2. Transcription donnant le
contexte de la citation sur la construction de
guillotines dans la motion de la députée Pam
Damoff :
Sheldon Clare (président de
la NFA) : « La chose que nous devons
faire ici, c'est nous impliquer politiquement.
Prenez vraiment cela au sérieux. Plus de ces
absurdités sur la division du vote. Il s'agit
de faire ou de mourir, les libéraux doivent
être défaits aux prochaines élections
fédérales. Guy Laverge travaille très fort
pour nous pour que notre intervention soit
couronnée de succès. Solomon Friedman mène
l'affaire Parker c. Canada afin de
nous défendre tous, mais les libéraux doivent
être défaits. Voilà, c'est ça le fond du
problème. Et puis nous devons faire en sorte
que les conservateurs tiennent leurs
promesses, leurs illusions et tout le reste et
qu'ils comprennent que ce n'est pas une
plaisanterie, que nous ne reculons pas, que
tout doit être réglé. Ils ne peuvent pas nous
jeter sous un bus. »
Charles Zach (directeur
général de la NFA) : « J'aimerais aussi
revenir sur ce point, car les gens sont
vraiment en colère maintenant, nous ne sommes
pas seulement déçus, mais ils sont furieux. Et
ils veulent faire quelque chose et je reçois
des courriels de gens qui me disent 'faisons
une marche', 'prenons d'assaut la capitale',
bla bla bla, et je leur dis 'ne perdez pas
votre temps', d'accord ? 'J'ai déjà fait ça et
vous savez, ça n'a eu aucun effet.' Alors ils
disent 'qu'est-ce qu'on peut faire'. Et je
leur dis : 'Voici ce que nous pouvons faire :
nous devons rassembler les gens qui ne sont
pas affiliés à nous, qui profitent du bon
travail que nous faisons, et d'autres encore.'
Ils doivent s'engager avec nous, ou du moins
faire des dons, mais ils doivent se mettre à
notre service et s'impliquer politiquement au
niveau local. N'est-ce pas ? Et essayez
d'élire des gens qui sont pour les armes à feu
et qui s'engagent à se débarrasser de ces lois
draconiennes et c'est ainsi que cela va se
passer parce qu'en fin de compte, la seule
façon de vaincre cela est de se débarrasser
des libéraux et c'est tout, pas de marcher. »
Sheldon Clare : « J'ai
eu un téléphone aujourd'hui d'une personne qui
disait que nous devons nous remettre au
travail du bois et des métaux et recommencer
à construire des guillotines. [Rires.] Ce
serait vraiment la meilleure forme de comité
de sécurité publique, de rétablir ça. S'ils
veulent en faire une question de sécurité
publique, c'est la voie à adopter... Le ton
de voix de cette personne indiquait
clairement qu'elle était sérieuse. Ce
n'était pas une blague. Je ne crois pas
qu'ils comprennent qu'ici, ce n'est pas la
Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni ou
l'Australie. Le Canada est un pays composé
de gens qui sont ici depuis des milliers
d'années, les Autochtones, les immigrants
qui ont fui l'Europe pour échapper à la
tyrannie, qui ont combattu la tyrannie et
qui savent reconnaître la tyrannie. Et cela,
mes amis, c'est de la tyrannie. »
Charles Zach : « Amen,
mon frère. »
(Photos : LML, Anonymous
Edmonton)
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 4 - 7 mars 2021
Lien de l'article:
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