La Marche du 26 janvier sur Delhi

Les fermiers indiens s'organisent vaillamment pour affirmer leurs droits

Les fermiers de l'Inde poursuivent leur lutte sans relâche. Ils continuent d'exiger l'abrogation des trois lois agricoles qui favorisent l'industrie agroalimentaire à leurs dépens. Ils ont rejeté l'annonce par la Cour suprême de l'Inde de suspendre pour l'instant la mise en oeuvre des trois lois agricoles dont les agriculteurs exigent l'abrogation. Neuf rondes de pourparlers avec le gouvernement n'ont rien donné. Le gouvernement s'obstine dans son refus d'abroger les lois. Entretemps, la Cour suprême a créé un groupe d'experts composé en grande partie de personnes qui soutiennent les lois et de grandes compagnies agroalimentaires pour mener une consultation auprès des fermiers pour trouver des solutions aux problèmes auxquels ces derniers sont confrontés. Les fermiers considèrent cela comme une autre manoeuvre de l'élite dominante pour les mettre à bout puis les attaquer. Ils ont annoncé qu'ils ne retourneront pas chez eux sans que ces lois ne soient abrogées. Ils ont annoncé un programme d'agitation intense qui culminera dans une caravane de tracteurs à Delhi le 26 janvier, la Journée de la République de l'Inde.

Ils ont organisé des actions les 15, 16, 18, 20 et 23, menant au 26 janvier. Le 6 janvier, ils ont organisé un rassemblement avec des milliers de tracteurs, décrits par certains comme un « avant-goût » de la Marche des tracteurs sur Delhi le 26 janvier.


Le 8 janvier, l'anniversaire de Chhotu Ram a été souligné. Il fut un des dirigeants du mouvement des fermiers contre leur endettement en 1905, qui a forcé les Britanniques à abroger la loi dénoncée à cette époque. Pour souligner cet anniversaire, les fermiers sont allés dans chaque village de l'Inde et ont discuté avec les gens pour les mobiliser. Ils demandent aussi aux gens de se rendre à Delhi le 26, et de s'y rendre avec le plus grand nombre possible de tracteurs et de chariots.

Le 13 janvier, le jour de la célébration du Lohri, des copies des trois lois anti-fermiers ont été brûlées dans des feux de joie et les fermiers ont déclaré que ces lois étaient leur « arrêt de mort ». Lohri souligne l'arrivée des journées plus longues à la suite du solstice d'hiver. Il est célébré depuis des millénaires, possiblement aussi loin que le Stri Rajyas (l'ère du Royaume des femmes). On célèbre la mémoire des femmes qui ont découvert le feu (agni devi) et l'ont maîtrisé. Encore aujourd'hui, on fait d'énormes feux de joie ainsi que des offrandes des récoltes d'hiver  le gur, le sésame, le maïs et la moutarde. Les gens s'assoient autour du feu, dansent, chantent et célèbrent la naissance de leur progéniture. Dans les 500 dernières années ou plus, le nom Dulla Bhatti a aussi été associé au Lorhi. Dulla Bhatti a combattu l'oppression d'Akbar. Des chants traditionnels honorant le courage et la générosité de Dulla Bhatti étaient chantés dans tous les campements de fermiers aux abords de Delhi.

Le 18 janvier, à l'occasion de la Journée des femmes fermières, de grands rassemblements auront lieu menant au 26 janvier, la Marche des tracteurs sur Delhi. Les tracteurs dans la Marche des tracteurs seront conduits par des femmes.

Le 23 janvier est l'anniversaire d'Azad Hind Fauj (l'Armée nationale libre), qui était l'armée du gouvernement provisoire de l'Inde libre, mobilisée pendant la Deuxième Guerre mondiale et composée d'expatriés et de prisonniers de guerre indiens dans l'Asie du Sud-Est. Cet anniversaire est célébré par un rassemblement de soldats et de fermiers à l'occasion de la Journée de l'Azad Hind Kisan (le Jour de la libération des travailleurs de l'Inde).

Des soldats à la retraite se joignent aux actions des fermiers.

Entretemps, le boycottage des produits et des services d'Ambani et d'Adani se poursuit partout au pays. Les agriculteurs mettent aussi les gens en garde contre les « Guerriers de Facebook » des cellules IT de l'élite dirigeante qui tentent d'induire le peuple en erreur.

À la frontière Singhu de Delhi, les fermiers du Pendjab et d'Harayana, qui ont dressé des campements depuis plus de 50 jours, se sont rappelés la lutte pluricentenaire contre Delhi. Ils ont évoqué le soulèvement des paysans contre Akbar dirigé par Dulla Bhatti, les batailles contre Nadir Shah et Abdali et leur détermination à poursuivre leur lutte contre le nouveau Nadir Shah de Delhi  Modi et ses acolytes et l'élite dirigeante. Pendant tout le mois de Poh (du 14 décembre au 13 janvier est le mois des Martyrs), ils ont commémoré les batailles contre Aurangzeb et le courage et le sacrifice des gurus et de leurs fils. Les uns après les autres, les orateurs ont honoré la mémoire d'Ahmad Khan Kharal, Nizam Lohar, Malangi, Jabroo, Ajit Singh, Chhotu Ram, Bhagat Singh, Rajguru, Sukhdev, Kartar Singh Sarabha, Barkatullah, Udham Singh, Rajguru, Sukhdev, Kartar Singh Sarabha, Baraktullah, Udham Singh, Baba Sohan Singh Bhkhna, Baba Hari Singh Mrigind, Baba Bujha Singh et tant d'autres qui se sont battus pour la cause du peuple.

Plusieurs orateurs ont souligné que tous les partis politiques de l'establishment ont trahi le peuple. Le sentiment exprimé est que le temps est venu de saisir le pouvoir politique sans les partis de l'establishment, sans les membres de l'Assemblée législative, les députés et les juges, qui prêtent serment à l'État que les Britanniques leur ont laissé entre les mains et qui existe présentement. Le système actuel de gouvernement de partis hérité des Britanniques n'a jamais servi le corps politique indien, mais agit comme gardien du pouvoir des dirigeants. Des fermiers ont donné des exemples de comment ils gèrent les postes de péage et organisent la morcha (résistance) en comptant sur leurs propres forces. Ils ont aussi déclaré que la morcha est le Beghampura en devenir, tel qu'envisagé par Guru Ravidassji dans son hymne du même nom, pendant le mouvement bhakti qui a eu lieu aux XIVe et XVe siècles. Écrit bien avant la Révolution française, il loue les vertus d'une société basée sur l'égalité, la liberté et une confrérie universelle, dans laquelle il n'y a ni discrimination ni taxes, ni oppression. Il est en fait l'expression du contenu de la pensée indienne fondée sur une expérience riche et millénaire.

D'autres ont souligné la pensée indienne héritée de Guru Nanak qui appelait à une nouvelle société fondée sur le Sarbat Da Bhalla  le bien-être de tous.

De nombreux fermiers se sont inspirés des remarques du Darshan pendjabi sur le devoir de l'État de garantir le Sukh et le Raksha de tous (bonheur et sécurité). Si l'État ne le fait pas, le peuple a alors le devoir de le renverser. Plusieurs ont dit qu'il ne s'agit pas uniquement d'une lutte économique. C'est une lutte pour leur Hond et leur Vajud, pour leur être même. Ce n'est pas seulement une lutte pour Fasal (les récoltes), mais pour Nasal (les générations à venir); pas seulement pour Kanak (le blé), mais aussi pour Anakh (la dignité); pas seulement pour Anaj (le grain), mais aussi pour Samaj (la société). Des centaines d'artistes et d'interprètes évoquent les luttes que le Pendjab a menées. De nombreux artistes de l'ouest du Pendjab ont aussi exprimé leur unité avec leurs frères et soeurs de l'est du Pendjab. Certains de leurs chants se sont propagés rapidement. Selon une agence de nouvelles, plus de 100 000 Pendjabis sont revenus de l'étranger pour se joindre à la lutte des fermiers du Pendjab.

La conscience pendjabi pour l'autodétermination et l'unité des Pendjabis a émergé avec beaucoup de force dans cette lutte. L'appel de Dulla Bhatti à l'autodétermination du Pendjab est repris par les manifestations des fermiers. Plusieurs demandent la décolonisation du Pendjab, qui a été occupé par les Britanniques en 1849, dont le joug néocolonial s'est poursuivi après 1947, avec la suppression des droits nationaux, sociaux et culturels du Pendjab et des Pendjabis et qui a mené finalement à la division brutale de la nation pendjabie en 1947, de même que de la nation bengalie.

Le Raj actuel à Delhi a tenté de diaboliser la lutte des fermiers et les aspirations des Pendjabis en les associant au terrorisme, mais cela ne fonctionne pas. Les Pendjabis se sont soulevés à plusieurs reprises depuis 1947 pour affirmer leurs droits, la quête et les aspirations du Pendjab. Cela s'est exprimé de diverses façons. Dans les années 1950, cela s'est exprimé dans le mouvement pour la langue pendjabie; dans les années 1970 et 1980, dans le mouvement pour l'autonomie et le Khalistan. Cela s'exprime aujourd'hui dans un appel à un référendum sur l'indépendance du Pendjab. De nombreux commentateurs soulignent que cette aspiration et cette détermination ne vont que grandir, que la lutte des fermiers soit victorieuse ou soit noyée dans le sang par Delhi. La fin de l'État des oligarques à Delhi est inévitable. La gouvernance est intenable sans le renouveau et la rénovation par lesquels le peuple s'investit du pouvoir. Mais, comme ce fut le cas d'Aurangzeb avant elle, l'élite dirigeante de Delhi préférerait l'effondrement au renouveau. Elle n'a appris aucune leçon de l'histoire, ni de l'effondrement de l'Union soviétique et ni de ce qui se produit aux États-Unis et dans d'autres pays.

La lutte des fermiers démontre que toutes les institutions néocoloniales qui ont été imposées à l'Inde par les Britanniques et leurs collaborateurs, avant et après 1947, comme le transfert de l'appareil d'État colonial, comme le gouvernement, le système parlementaire, le système judiciaire, les entreprises et le système électoral et du gouvernement de partis, servent uniquement les bâtisseurs d'empires, les exploiteurs et une infime élite dirigeante et concentrent toutes les ressources naturelles et humaines entre leurs mains. Dans les 74 dernières années, neuf monopoles ont acquis plus de richesses que n'en possèdent les 600 millions d'habitants de l'Inde pris ensemble. Les droits du peuple sont violés en toute impunité.


Action à Toronto le 26 décembre 2020 en appui aux fermiers indiens

On rapporte que les lois anti-fermiers ont été recommandées par la Banque mondiale il y a 30 ans. Ce document de la Banque mondiale était intitulé : L'Inde : mémorandum économique sur le pays, Vol. II

La lutte des fermiers illustre aussi la nécessité de développer le propre matériel de pensée du peuple pour que les problèmes auxquels lui et la société font face soient résolus. Les fermiers, les travailleurs, les artistes et les intellectuels, les musiciens et les poètes pendjabis à la frontière de Singhu expriment et présentent en public des solutions qui s'inspirent du Darshan pendjabi, développé depuis des siècles comme guide à l'action dans les conditions actuelles. Ils s'inspirent et développent les concepts et les catégories élaborés par les révolutionnaires, les combattants, les gurus, les sufis, les saints, les bhagats et les penseurs du Penbdjab qui remontent à plusieurs siècles. Ils rejettent les phrases empruntées d'Europe, des États-Unis et d'autres endroits. Le Darshan pendjabi et le Reet pendjabi sont robustes, riches et capables d'aborder les problèmes du présent et d'énoncer une vision pour l'avenir. Des centaines de poètes, de chanteurs, de musiciens, d'écrivains et de conteurs expriment la quête et les aspirations du peuple et ses traditions de combat sur les scènes, dans les médias sociaux, dans les rues et les parcs des villes et des villages.

La ligne de marche demeure l'appui aux fermiers de l'Inde et l'unité d'action pour revendiquer l'abrogation des trois lois agricoles. Tant qu'elles ne seront pas abrogées, les fermiers n'ont aucune intention de mettre fin à leur morcha (leur résistance).


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 2 - Numéro 2 - 16 janvier 2021

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