Les ultimes salves de Trump-Pompeo nuisent aux Caraïbes

Alors qu'elle se prépare à quitter la Maison-Blanche et le département de l'État le 20 janvier, l'administration sortante de Donald Trump laisse au gouvernement de Joseph Biden Jr. une politique étrangère parsemée d'explosifs.

Déjà, une grenade a été lancée dans la politique qu'Antony Blinken, le secrétaire d'État nommé par Biden, pourrait chercher à mettre en oeuvre envers Cuba et, par conséquent, dans la région des Caraïbes.

Dans les derniers jours de son mandat en tant que secrétaire d'État et seulement neuf jours avant que Blinken n'assume ses fonctions à la tête de la politique étrangère américaine, Mike Pompeo a désigné Cuba comme État parrainant le terrorisme, sur la base d'une décision unilatérale des États-Unis.

Comme l'a déclaré le 13 janvier le Mouvement des non-alignés (MNA), désigner Cuba comme pays parrainant le terrorisme est « non fondé ». Les chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) ont affirmé sans équivoque que « la conduite internationale de Cuba ne mérite aucunement cette appellation ».

En adoptant cette politique agressive envers Cuba, après avoir démantelé la politique élaborée à grand peine par l'administration Obama pour tenter de normaliser les relations entre Cuba et les États-Unis, le gouvernement Trump cherche à préserver l'appui de Cubains-Américains de la Floride pour assurer le financement de ses activités politiques dans les années à venir, mais aussi pour gagner l'appui de cet État à un candidat présidentiel que lui-même appuiera — et qui sera peut-être lui-même, en 2024. Comme l'a souligné Juan Gonzalez, le prochain directeur principal du Conseil de sécurité nationale de Biden pour l'hémisphère occidentale, le fait d'avoir remporté la Floride dans les élections présidentielles de 2020 a été la principale motivation de la politique cubaine de Trump tout au long de son mandat.

Ce qui est resté dans l'ombre, ce sont les contre-coups de la politique Trump-Pompeo envers Cuba pour les pays de la CARICOM. Il y a moins d'un mois, le gouvernement américain a fait parvenir un questionnaire aux pays des Caraïbes. Les réponses à ce questionnaire serviront à finaliser le rapport annuel sur le trafic d'êtres humains qui est présenté au Congrès américain. Le questionnaire de décembre comprenait un volet à la fois nouveau et inquiétant, spécifiquement en lien avec les travailleurs provenant de la Chine et de Cuba.

Puisque tous les pays des Caraïbes ont demandé et reçu de l'aide essentielle de Cuba en termes de personnel médical, les États-Unis posent des questions tout à fait indiscrètes pour un État souverain, ou pour les États souverains qui ont signé des contrats. Ces questions sont une intrusion flagrante dans les droits d'un État. Si ces questions étaient dirigées vers le gouvernement des États-Unis, ceux-ci, avec raison, les rejetteraient catégoriquement.

La traite de personnes est une activité extrêmement troublante. C'est une activité que chaque pays devrait combattre avec vigueur. En ce sens, il est vrai de dire que les pays des Caraïbes ont oeuvré assidûment avec les États-Unis pour tenter d'éliminer ce phénomène, lié à ce qui est devenu la pire forme d'esclavage moderne, et pour tout faire pour mettre fin à l'exploitation criminelle de personnes vulnérables, en particulier les femmes et les jeunes filles.

Cependant, cette tentative de l'administration sortante de Trump d'inclure les travailleurs et professionnels de la santé cubains, au service de gouvernements des Caraïbes, vise à politiser ce qui n'est rien de moins qu'une noble cause. On semble vouloir faire en sorte que le personnel médical cubain soit classé comme « personnes trafiquées », laissant ainsi entendre que les gouvernements de Cuba et des Caraïbes s'adonneraient à des activités criminelles. Pour pouvoir agir par coercion, les États-Unis ont recours à l'instrumentalisation d'une politique contre des pays qui auraient refusé la coopération contre le crime.

Les ramifications de telles politiques sont très sérieuses et seront un sujet prioritaire lors des travaux des pays des Caraïbes avec l'administration Biden et le Congrès américain, en raison des dangers qu'elles représentent.

En vertu de la Loi sur le trafic d'êtres humains (TIP Act,) des États-Unis, toute aide non-humanitaire ou non-commerciale peut être retirée de tout pays qui déroge « aux normes minimales d'élimination du trafic » et « ne fait pas des efforts importants pour se conformer à de telles normes ». Bien sûr, ce qui constitue des « normes minimales » et « des efforts importants » est entièrement déterminé par des fonctionnaires du gouvernement des États-Unis.

Chaque année, le rapport sur le trafic d'êtres humains procède à un classement des pays selon qu'ils sont de catégorie 1 (les plus acceptables) allant à la catégorie 3 (les moins acceptables). Des quatorze pays indépendants de la CARICOM, deux d'entre eux — les Bahamas et la Guyane — ont été cotés catégorie 1 en 2020. Sept pays ont été cotés catégorie 2. Ce sont : Antigua et Barbuda, Haïti, la Jamaïque, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le Suriname, et Trinidad-et-Tobago. Dans la catégorie 2 des pays à surveiller, il y avait la Barbade et Belize. Pour des raisons inconnues, la Dominique, la Grenade et Saint-Kitts-et-Nevis ne se retrouvent dans aucun classement. Toujours est-il qu'aucun pays des Caraïbes est au pire niveau — la catégorie 3.

Cependant, si la présence de personnel cubain dans les pays de la CARICOM devient un critère pour que les États-Unis déclarent unilatéralement un délit pour trafic humain, les relations entre les États-Unis et les pays de la CARICOM s'en trouveront ternies, sans raison valable, puisque la sécurité des États-Unis et leurs valeurs ne sont aucunement menacées.

L'ajout au questionnaire sur la traite de personnes d'un volet sur les travailleurs cubains et chinois était conforme à la position antichinoise et anti-cubaine de l'administration Trump au service de l'ordre du jour de sa politique intérieure.

À quel point les tenants et aboutissants de cette boîte piégée dont héritera l'administration Biden sont connus de son département d'État et de ses équipes de la Sécurité nationale n'est pas clair, mais les Caraïbes doivent les en aviser sans tarder. Le prochain rapport sur le trafic d'êtres humains sera publié et envoyé au Congrès américain en juin.

La publication américaine, Foreign Policy, a récemment cité un représentant des États-Unis selon lequel l'équipe Pompeo fait retentir « d'ultimes salves pour délibérément nuire à la politique étrangère de la nouvelle administration ». Là où les intérêts des Caraïbes seront touchés par ces « ultimes salves », la région devra agir de façon unitaire pour les défendre.

Sire Ronald Sanders est l'ambassadeur d'Antigua-et-Barbuda aux États-Unis et à l'Organisation des États américains. Il est aussi chercheur principal à l'Institut des Études du Commonwealth à l'Université de London et au collège Massey de l'Université de Toronto.

(Antigua Breaking News, 14 janvier 2021. Traduit de l'anglais par LML)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 2 - Numéro 2 - 16 janvier 2021

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