Explications des résultats électoraux
Chicago, 6 novembre 2024
Une pléthore d'explications sont données pour la victoire de Donald Trump et la défaite de Kamala Harris, y compris certaines qui blâment les électeurs américains pour les malheurs qui leur arriveront assurément sous une présidence Trump. Ce que ces commentaires et explications ont en commun, c'est l'échec à expliquer ce qui se passe aux États-Unis du point de vue du peuple étasunien. Le peuple est toujours exclu de l'équation, sauf si c'est pour le dénigrer et le blâmer pour tous les maux de la société, ce qui est en fait une autre façon de l'écarter.
Par exemple, beaucoup se demandent pourquoi une personne noire, ou issue d'une autre minorité, ou une femme, voterait pour Donald Trump, étant donné qu'il est ouvertement et violemment raciste et misogyne. Ne serait-ce pas parce que la personne ne voit pas Kamala Harris comme une option, elle qui dit fièrement représenter le système judiciaire connu pour l'incarcération de masse avec un préjugé raciste et l'injustice des procureurs et des tribunaux.
Une fois que le peuple, ce qu'il pense et comment il agit sont retirés de l'équation, l'explication du vote échappe au champ de vision et à la compétence de l'analyste. En fait, toute tentative d'agréger les votes individuels de millions de personnes ayant des opinions très différentes en une même pantoufle de verre avec laquelle le prince charmant parcourt le pays à la recherche de sa Cendrillon n'est rien qu'une volonté d'interpréter les choses à sa façon qui mène nulle part.
Néanmoins, l'expérience des élections aux États-Unis montre qu'en général, les gens ne votent pas en fonction du candidat, mais en fonction de préoccupations précises. Des décisions qui semblent contre-intuitives dans l'isoloir expriment en fait des préoccupations précises, comme celles contre la guerre ou le rejet des institutions qui incarcèrent les Noirs et les Latinos et produisent des candidats pourris pour les élections.
Une explication plausible de l'élection de Trump est que les Étasuniens ont voté pour les causes qui les animent au quotidien, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître. Lors de cette élection, de nombreux électeurs ont voté contre le génocide, beaucoup s'en tenant à leur ligne rouge Pas de vote pour le génocide ! Par exemple, le refus de voter pour Kamala Harris à Dearborn, dans le Michigan – où se trouve la plus grande communauté arabo-américaine des États-Unis – a fait que 22 % des électeurs ont voté en faveur de la Dre Jill Stein, candidate du Parti vert à la présidence, qui s'est prononcée contre le génocide. Dans cette ville, Kamala Harris a obtenu 27,8 % des voix et Donald Trump 46,8 %. Certains croient que si les votes en faveur de Jill Stein n'avaient pas été exprimés délibérément contre le soutien de l'administration Biden/Harris au génocide, le vote combiné aurait pu battre Donald Trump. L'argument est ensuite utilisé pour blâmer Jill Stein et les Arabes-Américains pour la défaite de Kamala Harris, plutôt que de reconnaître qu'il s'agit de la position de beaucoup de gens qui refusent d'accepter le génocide américano-sioniste suivant la logique que Kamala Harris serait moins génocidaire que Donald Trump.
Dearborn, Michigan, 2 novembre 2024, journée d'action « Pas de
vote pour le génocide ! »
De même, beaucoup ont voté non pas pour un candidat mais pour
une cause, par exemple en exprimant la conviction – fondée ou
pas – que Donald Trump est moins susceptible d'envahir l'Iran et plus
susceptible de mettre fin à la guerre en Ukraine. Que ce soit
fondé ou pas n'est pas la question.
En fait, que Trump projette ou non l'image d'un opposant à la
guerre n'a rien à voir, car ce ne sont pas les individus qui
définissent les politiques. Ce sont les intérêts privés qu'ils
représentent qui décident, et ils ont montré leur volonté de
préserver l'État israélien et ses alliances – y
compris les accords d'Abraham avec les États arabes négociés
sous la première présidence Trump. De même, les intérêts que
Trump représente exprimeront le désir des cercles dirigeants
américains de préserver l'hégémonie mondiale des États-Unis en
maintenant une situation de ni guerre/ni paix dans
la guerre par procuration des États-Unis et de l'OTAN en
Ukraine, tout en mettant fin à la guerre, en comblant les fossés
entre les États-Unis et l'Europe, et en essayant de monter la
Russie contre la Chine et la Chine contre la Russie, l'Inde
contre les deux, et ainsi de suite.
Plus important encore, une partie importante de la classe dirigeante
américaine semble penser qu'une présidence Trump pourrait être plus
efficace pour préserver l'Union. Il est en effet difficile de concevoir
que des officiers supérieurs racistes et misogynes reçoivent des ordres
d'une femme commandant en chef qu'ils ne considèrent ni comme « virile »
ni comme « guerrière ».
Il est bien connu que les candidats des riches, en particulier à la présidence, seront toujours pro-guerre, anti-peuple, racistes, anti-ouvriers et ainsi de suite. Ils représentent l'État américain, qui est l'État le plus raciste, le plus violent et le plus militariste de la planète, et les candidats ne peuvent donc pas être différents. La classe ouvrière et le peuple américains ne sont pas confus sur l'appartenance de classe de ces candidats, ni d'ailleurs sur le système qu'ils représentent. Ces candidats sont les représentants d'un État et d'élites dirigeantes confrontés à de graves problèmes existentiels. Lorsque les candidats sont présentés comme des individus indépendants, dont les politiques individuelles gouverneront le pays, c'est la conscience inhérente à l'expérience américaine qui est attaquée.
S'intéresser à la manière dont les travailleurs américains ont
tendance à voter en fonction de leur perception des questions de
guerre et de paix, de liberté et de justice, c'est brosser un
tableau totalement différent de celui qui dépeint la moitié du
corps politique américain comme raciste,
misogyne, adepte du génocide, ignorant, etc. Cela signifie que
lors de cette élection, les préoccupations concernant Gaza et la
guerre en général se sont traduites par un vote pour Trump, un
vote pour Harris, un vote pour Jill Stein ou en ne votant pas du tout.
Un autre exemple est la mesure dans laquelle les gens ont voté pour exprimer leur profonde colère contre le système en place, colère dirigée contre Kamala Harris et non contre Donald Trump puisque c'est elle qui est au pouvoir. Il s'agit notamment de la colère contre l'administration dans les États laissés pour compte après les ouragans, les sécheresses et autres catastrophes naturelles, ou de la colère contre le système américain d'incarcération de masse et l'absence de justice contre les flics tueurs racistes et autres.
Aux États-Unis, la colère contre l'establishment et ce qu'il représente est très grande, très profonde. Il en va de même dans d'autres pays. Elle est viscérale, c'est-à-dire qu'elle fait appel à des sentiments profonds plutôt qu'à l'intellect. Ces sentiments et ces émotions, profondément enracinés dans l'expérience, la culture et la résistance, créent une conscience collective indépendante des cerveaux humains individuels. En outre, parce qu'elle est façonnée par l'expérience et la résistance humaines, elle peut être aussi informée pour définir une direction conçue pour atteindre une destination favorable précise.
Cette explication défie toutes les notions d'identification du vote aux États-Unis en tant que « bloc de vote noir », « bloc de vote latino » et autres, comme si des collectifs entiers de personnes, indépendamment de ce qu'elles sont dans la vie elle-même, représentaient ce que la machine de propagande de la classe dirigeante dit qu'elles représentent.
Par exemple, selon ce type de « politique identitaire », il est courant d'entendre dire que les travailleurs blancs sont à blâmer pour l'élection de Trump parce qu'ils sont favorables à la suprématie blanche, aux mesures contre les immigrants ou à la misogynie des dirigeants. Loin de là, beaucoup disent simplement qu'ils veulent la sécurité économique pour eux-mêmes, leurs familles et leurs communautés. De même, la moitié de la population des États-Unis est blâmée pour l'élection de Trump sans tenir compte de la colère populaire envers un establishment qui commet des crimes contre le peuple à chaque minute de chaque jour.
Une appréciation des préoccupations des Étasuniens fait sauter
toute la propagande selon laquelle les électeurs qui ont voté
pour Donald Trump sont racistes, anti-immigrants, etc. Cela
démolit
également l'idée que ceux qui ont voté pour Kamala Harris sont
progressistes. Ou que ceux qui n'ont pas voté sont
indifférents. Ou qu'un vote pour Kamala Harris sauverait
la démocratie libérale et la Constitution, tandis qu'un vote pour Donald
Trump détruirait la démocratie libérale et la Constitution, alors que
les deux candidats sont favorables au renforcement des pouvoirs de
police de la présidence et à la privation des citoyens de leurs droits
civiques d'une manière ou d'une autre.
Ce ne sont pas les peuples, en tant que collectifs, qui sont racistes, favorables à la guerre et hostiles à l'immigration ; c'est l'État américain, ses agences, ses institutions et ses présidents.
Les explications simplistes du vote font également abstraction du rôle que joue la désinformation d'État aux États-Unis, qui sert à dépolitiser tout le monde, c'est-à-dire à faire en sorte que les électeurs n'influent en rien sur les affaires du corps politique. C'est-à-dire que la classe ouvrière et le peuple ne doivent pas constituer une force organisée visant un objectif qu'ils ont eux-mêmes fixé.
Cette élection a montré que non seulement les Étasuniens ont voté pour des causes qui leur sont chères, mais que la force organisée des jeunes et des voix qui s'expriment en leur propre nom contre le génocide, l'injustice et l'incarcération de masse, pour l'égalité, la durabilité économique, pour la défense des soins de santé et d'éducation publics, etc. ne s'est pas laissé prendre à cette tentative particulière de désinformation.
Cet article est paru dans
Vendredi 8 novembre 2024
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