Numéro 5 - 20 février 2023

Vote de grève des fonctionnaires fédéraux

Les travailleurs de la fonction publique se battent pour le respect et la dignité et pour humaniser l'environnement de travail

– Entrevue avec Yvon Barrière, vice-président exécutif régional pour l'Alliance de la fonction publique du Canada, région du Québec –

Action devant le bureau de la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, le 25 octobre 2022

Forum ouvrier : Combien de fonctionnaires fédéraux sont touchés par le renouvellement de leurs conventions collectives, et quel travail font-ils ?

Yvon Barrière : Il y a environ 120 000 membres de l'Alliance de la fonction publique du Canada (l'AFPC) au niveau du Canada, dont 22,000 au Québec, qui sont mobilisés en ce moment dans le renouvellement de leurs conventions collectives. Ce sont des employés du Conseil du Trésor. Il y a des gens de Service Canada, d'Immigration Canada, Transport Canada, de la Garde côtière, du Service correctionnel, des Anciens combattants, entre autres. Toutes les conventions collectives de ces employés fédéraux sont échues, la plupart depuis juin 2021 et d'autres plus récemment, et on risque de se retrouver avec 165 000 employés cet été dont la convention collective est échue. Présentement, la sortie publique que nous avons faite en concerne 120 000. Les votes de grève se tiendront du 22 février au 19 avril.

FO : Dans ses communiqués, l'AFPC fait état de nombreux points qui achoppent dans les négociations et d'un grand manque de respect de la part du gouvernement envers les fonctionnaires. Peux-tu nous en dire plus ?

YB : La première chose, c'est que le gouvernement nous propose une diminution du pouvoir d'achat de nos membres, et cela c'est carrément inacceptable. On se souviendra qu'au début de la pandémie, autant monsieur Duclos à l'époque qui était du Conseil du trésor que monsieur Trudeau, à tous les lundis matin, ils disaient merci aux fonctionnaires d'avoir mis la main à la pâte pour les programmes que le gouvernement a mis en place. Pourtant, le gouvernement nous offre présentement, pour une convention collective de 4 ans, une moyenne de 2,06 % d'augmentation par année. Alors qu'on sait qu'on a fini 2022 avec un taux d'inflation de 6,3 % et qu'on s'enligne vers un 4 ou 5 %.

La deuxième chose qui achoppe c'est la question du télétravail. Depuis le début de la pandémie, tous les fonctionnaires ont été mis en télétravail. Nos membres ont très bien répondu, pour les programmes PCU (Prestation canadienne d'urgence) et les autres programmes gouvernementaux. Ils ont fait un travail exceptionnel. Il y a des ministères qui avec du recul ont dit que nos gens travaillent mieux à la maison. Nous voulons établir des paramètres du type gagnant-gagnant, des choses que les ministères aimeraient, des choses que nos membres aimeraient, par une négociation.

Nous revendiquons l'inclusion d'une clause sur le télétravail dans la convention collective pour établir des paramètres sur le télétravail parce que quand c'est une politique, c'est fait d'une façon unilatérale. Un de ces paramètres c'est l'inclusion d'un droit à la déconnexion, alors que l'employeur fait des demandes à nos membres à toute heure du jour.

Au mois de décembre, madame Mona Fortier, la présidente du Conseil du trésor, de façon unilatérale, a adopté un plan dans lequel elle rappelle les fonctionnaires entre deux et trois jours, au bureau, et ceci sans consultation, de façon très arbitraire. Tout ceci au moment où on est en train de négocier un article de la convention au sujet du télétravail. Modifier unilatéralement les modalités d'emploi de nos membres pendant les négociations est une violation flagrante du droit à la négociation collective et un manque de respect total pour nos membres.

Il y a d'autres points qui achoppent. Par exemple, nos gens qui répondent au téléphone ont entre huit et dix secondes entre les appels. On a demandé que cela soit porté à 20 secondes pour que les gens aient le temps de se lever, de se délier les membres, de décompresser aussi parce que c'est tendu les conversations qui portent sur des sujets comme l'immigration ou les impôts. Ils ont refusé en disant que cela leur coûterait 3 millions de dollars de plus par semaine pour ajouter le dix secondes entre deux appels. C'est un argument abominable.

Aussi, dans la fonction publique, pour obtenir une 4e semaine de vacances, c'est à la dixième année. On a dit qu'on voudrait que le nombre d'années soit diminué, ils ont dit que cela coûterait 30 millions par année. Le hic c'est que la majorité des fonctionnaires ne sont pas remplacés [lorsqu'ils sont en vacances]. Quand ils reviennent, ils ont simplement plus de travail.

Il y a la question de la sécurité d'emploi, de la sous-traitance et de la privatisation. Nous voulons aider nos membres à obtenir des postes permanents par le biais d'un processus équitable et transparent amélioré. On a vu des agences fédérales faire de la sous-traitance aux États-Unis pour répondre aux téléphones à Revenu Canada ! On a réussi à faire enlever cette pratique mais le problème de la sous-traitance demeure.

Aussi, nous demandons qu'il y ait une formation obligatoire sur le racisme systémique pour toute la fonction publique, pour les employés et les gestionnaires, et cela a été refusé. Ils ont dit non, ils n'ont pas nié que le problème existe, mais ils ont dit qu'une formation n'est pas nécessaire. Nous devons éliminer les préjugés et la discrimination de tout processus d'embauche et de promotion qui frappent les gens issus de l'immigration, les personnes racisées et les autochtones. Trop souvent on a recours à un processus de dotation sans annonce de nominations et de postes pour embaucher des candidats favoris sans concours. J'ai moi-même directement été témoin de ces choses-là quand je travaillais comme agent de programme au niveau correctionnel, des dames par exemple qui avaient une maîtrise et qui n'occupaient jamais de postes intérimaires et qui ne passaient jamais dans les concours.

FO : Veux-tu ajouter quelque chose en conclusion ?

YB : Longtemps on a dit que les fonctionnaires fédéraux sont gras dur, mais le salaire moyen des fonctionnaires fédéraux est de 58 000 dollars. Pour les adjoints administratifs, leur retard en salaire sur le privé est de 8 % à 10 %. Pour nos hommes et femmes de métier, nos électriciens, plombiers, travailleurs en climatisation et en chauffage, la moyenne est de 14,8 % plus bas que le privé. Cela comprend aussi les marins comme ceux de la Garde côtière, alors que du côté du privé, il y a de grandes compagnies qui paient en moyenne 15 % de plus. Nous avons des problèmes de rétention de personnel, des bateaux qui ne peuvent pas se déplacer par manque de personnel.

En plus, les employés de la fonction publique sont toujours payés par le système de paie Phénix, qui est un cauchemar pour les fonctionnaires fédéraux[1]. Depuis un an, nous avons connu 40 000 nouveaux cas problématiques avec le système de paie Phénix. Le gouvernement ne paie pas bien son personnel, du point de vue salaires, et il le paie mal à cause du système de paie Phénix.

Nos membres ont fait un travail exceptionnel pendant la pandémie mais le gouvernement ne leur montre pas le respect auquel ils ont droit.

Nous nous attendons à un vote de grève très fort parce que les gens ne veulent pas que leur pouvoir d'achat diminue et ils veulent obtenir une clause sur le télétravail négociée.

Note

1. En juin 2011, le gouvernement Harper a demandé à IBM de concevoir un nouveau système de paie pour la fonction publique fédérale, le système Phénix. Lorsque Justin Trudeau a accédé au pouvoir, il était très clair que le système Phénix était inadéquat. Bien que l'AFPC et d'autres syndicats aient sonné l'alarme, le gouvernement Trudeau a lancé le système de rémunération en 2016.

Depuis, plus de 200 000 travailleurs du secteur public fédéral – et leurs familles – en ont subi les conséquences. Certains n'ont pas été payés correctement, ont été sous-payés ou surpayés, d'autres n'ont rien reçu pendant des mois. Le résultat : endettement, pertes, faillite, perte de son logement, jusqu'à l'itinérance dans certains cas.
Le cauchemar des fonctionnaires fédéraux continue. Les familles continuent à porter le lourd fardeau des innombrables problèmes de paye. À cause de Phénix, bien des travailleurs ont souffert de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de leurs proches.

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