Le projet de loi 23 – qui a dit quoi ?
Des enseignants allument des bâtons de fumée pour dénoncer
l'écran de fumée de la réforme de l'éducation du gouvernement
québécois, 2 juin 2023.
Dès le dépôt du projet de loi 23, Loi modifiant principalement la Loi sur l'instruction publique et édictant la Loi sur l'Institut national d'excellence en éducation, le 4 mai dernier, de nombreuses organisations du milieu de l'éducation ont fait part de leurs sérieuses inquiétudes envers le projet de loi. Elles contestent à plusieurs égards les prétentions d'efficacité, d'excellence et d'imputabilité au nom de la réussite scolaire de la jeune génération, d'autant plus que l'expertise, les demandes et l'expérience sur le terrain des principaux acteurs de l'éducation, les enseignants et leurs collègues, sont tout simplement écartées. Voici des extraits de prises de positions publiques et de mémoires de différents intervenants du monde de l'éducation.
Fédération autonome de l'enseignement (FAE)
La FAE demande le retrait du projet de loi :
Le 4 mai 2023 restera dans les annales comme étant un jour sombre pour l'école publique québécoise. Le dépôt du projet de loi 23 de la première session de la 43e législature est un coup de poignard dans le dos de la profession enseignante concernant l'enjeu du perfectionnement, et ce, parallèlement à une centralisation à outrance du réseau de l'éducation. Aucune solution concrète aux maux qui affligent l'école publique ne se trouve dans cette pièce législative. Cette attaque contre les personnes qui oeuvrent quotidiennement à la réalisation de la mission de l'école publique est menée en pleine période de négociation des conventions collectives, ce qui équivaut, pour certains éléments de ce projet de loi, à une loi spéciale menaçant de dicter les conditions de travail. La partie patronale entend imposer par la voie législative ce qu'elle ne peut convenir équitablement avec la FAE lors de la négociation du contrat de travail.
[...]
Le sens de l'État, l'intérêt supérieur de l'école publique et l'honnêteté intellectuelle exigeaient que ce ministre avance ouvertement, et qu'il soumette ces propositions de modifications dans le cadre d'une consultation, d'un livre blanc ou d'un avant-projet de loi, permettant ainsi à toutes organisations et personnes concernées de faire valoir leur point de vue, avant la commission précipitée d'un acte législatif. Pour comble de mépris envers l'école publique et les personnes qui y oeuvrent, ce projet de loi ne se contente pas de menacer, de saboter la Loi sur l'instruction publique (LIP), mais elle contient en fait deux autres éléments qui auraient exigé leurs propres projets de loi, soit un premier portant sur la création de l'Institut national d'excellence en éducation et un second portant sur les modifications en profondeur de la Loi sur le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport. En procédant en fin de session parlementaire, sans consultation autre qu'une période de 45 minutes d'échanges en commission parlementaire, les acteurs concernés portant une vision différente de l'école publique peineront à faire valoir leurs propositions.
Sur la base de ces constats [...] la FAE exige que ce projet de loi soit retiré.
Centrale des syndicats du Québec (CSQ)
La CSQ a soumis elle-aussi ses inquiétudes des conséquences pour les monde de l'éducation de l'adoption du projet de loi :
1. Le renforcement des pouvoirs du ministre
Le premier volet touche les dispositions du projet de loi qui, s'il est adopté, permettrait notamment au ministre de l'Éducation de recommander la nomination des directions générales, qui nomment ensuite les directions d'établissement. « On voit ici une transformation de la ligne d'autorité qui permet au ministre d'avoir une plus grande mainmise sur les établissements », a dit Nathalie Chabot, conseillère à l'action professionnelle à la CSQ.
Une autre disposition du projet de loi : la possibilité pour le ministre de renverser des décisions prises par les centres de services scolaires, s'il est d'avis qu'elles ne correspondent pas aux orientations ou aux objectifs fixés.
2. La collecte et l'usage des données en éducation
Le projet de loi propose la mise en place d'un système de collecte d'informations pour obtenir une vue d'ensemble du réseau de l'éducation. « La question est de savoir dans quelle optique le ministre pourrait utiliser ces données. Quel usage sera fait de ces données ? Qu'est-ce que le ministère vise ? Qu'est-ce qu'un réseau scolaire performant pour lui ? Les données pourraient-elles servir à renforcer encore davantage l'obligation de résultat des établissements sans égard au contexte et aux moyens dont ils disposent ? C'est ce qui se dessine dans le projet de loi. Parce que les objectifs, les cibles et les obligations de résultat, on a déjà joué plusieurs fois dans ce film-là depuis près de vingt ans et on en connaît les dérives possibles. », a dit Éric Gingras. La manière dont elles seront utilisées pourrait entraîner des dérives.
3. Le renforcement de la gestion axée sur les résultats
Le projet de loi reflète une conception étroite de la réussite éducative, où l'école n'est plus définie comme une institution qui est un milieu de vie, mais comme une organisation mobilisée sur des résultats.
4. La mise en place d'un institut national d'excellence en éducation
Le dernier enjeu mentionné est celui de la création d'un institut national d'excellence en éducation qui aurait pour but de synthétiser la recherche et d'identifier les meilleures pratiques d'enseignement.
La création de cet institut peut être mise en parallèle avec d'autres dispositions du projet de loi qui viennent contraindre davantage les obligations de formation continue, notamment du personnel enseignant.
« La combinaison de ces quatre volets ouvre la porte à une emprise plus grande sur les pratiques du personnel scolaire, particulièrement celle des enseignantes et des enseignants, et place les changements de pratiques comme étant la seule voie pour améliorer la réussite », a expliqué Nathalie Chabot.
Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ)
La FSE s'est aussi penchée sur la création de l'Institut national d'excellence en éducation qu'instaure le projet de loi :
Le projet de création de l'Institut n'est pas neutre. Dès le départ, ce projet a été soutenu par les tenants d'un certain courant de la recherche, celui des données probantes (« Evidence-based education ») et de l'école efficace (« School effectiveness »). [...] Sihame Chkair, qui a assumé la codirection du livre Les données probantes et l'éducation publié en 2023, rappelle que l'essor des données probantes en éducation est lié au contexte de la nouvelle gestion publique et des politiques néolibérales. Cette méthodologie prend alors un caractère politique en devenant le levier de réformes éducatives. Le projet de loi no 23 va dans le même sens.
Selon les tenants de l'école efficace, pour augmenter la réussite scolaire [...] il faut miser sur « l'effet enseignant » et sur l'adoption de certaines pratiques pédagogiques. À contrario, la composition de la classe, la lourdeur de la tâche, les pénuries de personnel qualifié et les déterminants sociaux de la réussite ne sont pas des enjeux prioritaires, malgré les résultats des recherches sur ces questions. [...] La création d'un institut national d'excellence en éducation risque de faire peser sur les seules épaules des enseignantes et enseignants tout le travail nécessaire pour améliorer la réussite, sans prendre en compte les autres facteurs qui la favorisent et en faisant fi des différents courants de recherche.
Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ ajoute :
En tant qu'enseignantes et enseignants, nous sommes les experts de la pédagogie. Nous sommes formés pour pouvoir choisir les bonnes méthodes pédagogiques selon les élèves, les programmes, le contexte d'apprentissage et les ressources disponibles. Avec l'abolition du Conseil supérieur de l'éducation – dont les avis déplaisaient souvent au pouvoir politique en place – et la création d'un Institut national d'excellence en éducation (INEÉ), le ministre Drainville donnera le droit à un certain courant de la recherche en éducation d'imposer son point de vue. Après s'être fait imposer l'approche socioconstructiviste et la pédagogie par projet de la réforme, c'est maintenant celle de « l'école efficace » que l'on tentera de nous imposer comme seule façon de faire valable. Rappelons que l'éducation est une science humaine où cohabite une saine diversité de courants de pensée qui s'opposent à l'occasion.
Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec (APEQ-QPAT)
Ce que nous devons éviter c'est d'utiliser les résultats dits probants de cette recherche pour imposer ou généraliser des pratiques dans les milieux. Nous insistons sur le fait que les enseignantes et les enseignants seront toujours les mieux placés pour déterminer, compte tenu de leur expertise, les approches qui seront les plus appropriées dans un contexte particulier en fonction des caractéristiques et des besoins spécifiques de leurs élèves. [...]
Un système d'éducation ne traite pas de la production avec des intrants uniformes. Il compose avec des élèves qui sont des êtres humains issus de milieux familiaux et socioéconomiques variés, présentant une diversité de caractéristiques qui leur sont propres, et qui évoluent dans un environnement de classe (composition de la classe) qui varie d'une école à l'autre. Tenter d'utiliser des mesures simplistes pour comparer leur performance conduit invariablement à valoriser la mesure plutôt que le processus d'apprentissage global. Dans ce contexte, avec la pression de l'atteinte de cibles déterminées par le ministère, il devient tentant de prendre des raccourcis pour produire des résultats répondant aux attentes, plutôt que de veiller à ce que le processus d'apprentissage soit riche et significatif pour les élèves. Adopté tel quel, le projet de loi n•23 viendra exacerber cette réalité plutôt que d'améliorer la réussite éducative des élèves en plus d'alimenter davantage la concurrence et les dérives qui en découlent.
Centrale des syndicats nationaux (CSN)
La centrale réclame l'abandon du projet de loi. Elle souligne elle aussi que le projet de loi poursuit la tendance du gouvernement de centraliser les décisions en éducation entre ses mains :
« Les réformes précédentes devaient, selon le gouvernement, permettre de rapprocher la prise de décision du terrain et des parents. Nous craignions plutôt les effets, à l'époque, de l'augmentation des pouvoirs du ministre et de la disparition des commissions scolaires et de leurs présidentes et présidents et commissaires élus au suffrage universel et imputables à leur communauté. Force est de constater, aujourd'hui, qu'il ne s'agissait que d'un prélude à plus de centralisation. Le ministre de l'Éducation dit, en effet, s'appuyer sur ses réformes pour aller encore plus loin en s'octroyant de nouveaux pouvoirs, dont celui de choisir les directions générales, d'annuler des décisions prises par des centres de services scolaires et de leur imposer une entente de gestion et d'imputabilité. »
Quant au changement apporté par le projet de loi au mandat du Conseil supérieur de l'éducation pour les niveaux primaire et secondaire, la CSN dit c'est « une perte colossale pour le milieu de l'éducation, de la maternelle à l'université. Le Conseil supérieur de l'éducation a été fondé en 1964, en même temps que le ministère de l'Éducation. Il a fait ses preuves, son expertise est reconnue et son indépendance est un élément indispensable. »
Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU)
Le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, affirmait récemment en entrevue n'avoir qu'une seule ambition pour son mandat, soit celle d'améliorer la réussite scolaire. Or, proposant notamment l'abolition du Conseil supérieur de l'éducation (CSE), son projet de réforme ne s'attaque pas seulement à une voix indépendante ayant pour mission fondamentale de conseiller le gouvernement et d'informer le public. La loi proposée promeut également une vision de l'éducation risquant fort bien de nuire aux élèves que le ministre prétend servir, et ce, sans consultation. [...]
À cette lumière, la FQPPU exhorte le ministre de l'Éducation à revenir sur sa décision d'abolir le fleuron québécois que représente le Conseil supérieur de l'éducation et qu'il entende les voix qui s'élèvent contre la création de l'INEÉ. Les données probantes qui lui sont chères justifient plutôt qu'on aborde de front les problèmes soulevés par le milieu de l'éducation et que cette réforme ignore – soit ceux du financement déficient et des conditions de travail déplorables des enseignant es du réseau. Finalement, un meilleur financement de la recherche en sciences de l'éducation et dans les domaines connexes permettrait de remédier à certaines lacunes que relève le ministre, et ce, sans que les résultats ne soient fléchis par quelque biais idéologique que ce soit.
Cet article a été publié dans
Numéro 52 - 22 septembre 2023
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