L'irresponsabilité des gouvernements face à la crise climatique et aux intérêts privés
L'ampleur des incendies de forêt qui brûlent au Canada, souvent hors de contrôle, et l'étendue des dégâts qu'ils ont causés sont devenus une préoccupation majeure pour les Canadiens et les habitants des pays touchés par la qualité de l'air qui se détériore rapidement. La fumée toxique des incendies s'est répandue dans tout le Canada, loin au sud des États-Unis et a atteint l'Europe.
Selon une série de rapports produits entre 2019 et 2022 par Santé Canada, Environnement et changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada, le Canada est le pays le plus affecté dans l'hémisphère nord par le réchauffement planétaire, en partie à cause de la diminution marquée de la banquise polaire qui a une incidence directe sur la température de l'océan Arctique[1]. Même le cercle arctique n'est pas épargné par le feu. Au cours de l'été 2020, les feux de forêt dans l'Arctique ont battu tous les records d'émissions de CO2, selon les scientifiques du Copernicus Atmospheric Monitoring Service (CAMS). L'Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète et voit déjà les incendies commencer à le menacer également. Les conditions plus chaudes et plus sèches vont notamment allonger la saison propice aux feux dans les régions où se situe la forêt boréale.
La superficie annuelle brûlée et le nombre de grands incendies de forêt ont augmenté au Canada sur une période de 50 ans, et cette tendance est évidente si l'on examine les statistiques les plus récentes compilées par le gouvernement du Canada pour la période allant de 1960 à 2010 [voir les graphiques ci-dessous].
D'après les données de la Base de données nationale sur les forêts, plus de 8 000 incendies se déclarent chaque année et brûlent en moyenne plus de 2,1 millions d'hectares [21 000 kilomètres carrés].
En 2023, les incendies de forêt ont déjà brûlé un nombre record de 153 000 kilomètres carrés de forêts à travers le Canada en un seul été. Au 27 juin, 492 incendies faisaient rage dans le pays, dont 259 étaient considérés comme hors de contrôle par les autorités chargées de les combattre.
Nécessité d'une détection satellitaire rapide
Les experts s'accordent à dire que la détection rapide par satellite est essentielle pour lutter efficacement contre les incendies de forêt. Dès 2010, il est devenu évident que l'augmentation de l'activité des feux de forêt à l'avenir serait principalement due à la foudre. La foudre est à l'origine d'environ 50 % de tous les incendies, mais représente environ 85 % de la superficie annuelle brûlée[2]. Les graphiques 1960-2010 et les informations plus récentes sur les incendies de forêt le confirment, ce qui signifie que le gouvernement canadien et les gouvernements provinciaux doivent prendre les choses en main.
Le Canada possède l'une des plus grandes forêts boréales du monde et dispose d'une agence de la Couronne, l'Agence spatiale canadienne (ASC), mais il n'a pas son propre satellite capable de détecter la foudre, même si la technologie existe, comme l'a démontré en décembre 2022 l'Agence spatiale européenne avec ses satellites météorologiques EUMETSTAT (European Organization for the Exploration of Meteorological Satellites).
« Il s'agit de séquences d'images captées sur des périodes d'une minute par l'imageur d'éclairs embarqué du satellite MTG-I1, qui opère en orbite géostationnaire à 36 000 kilomètres d'altitude, précise Eumetsat.
« Lancé le 13 décembre 2022 par une fusée Ariane 5, ce satellite météorologique de troisième génération embarque un imageur de détection de foudre équipé de quatre caméras couvrant l'Europe, l'Afrique, le Moyen-Orient et une partie de l'Amérique du Sud[3]. » Ces caméras sont capables d'observer en continu l'activité des éclairs depuis l'espace.
Ces caméras sont capables d'observer en continu l'activité de la foudre depuis l'espace, mais le Canada, deuxième plus grand pays du monde en termes de superficie, principalement situé à des latitudes subarctiques et arctiques, dispose de capacités limitées en matière de surveillance par satellite de la progression des incendies de forêt en temps réel.
De l'aveu même de l'Agence spatiale canadienne, « 98 % des quatre millions de kilomètres carrés de terres forestières canadiennes se trouvent dans la forêt boréale. Les feux de forêt qui y font rage figurent parmi les plus grands et les plus intenses du monde entier. Tous les ans, environ 7 500 incendies détruisent plus de 2,5 millions d'hectares de forêt, une superficie équivalant à peu près à la moitié de la Nouvelle-Écosse.La superficie dévastée par les feux de forêt devrait doubler d'ici 2050 à cause des changements climatiques : la saison des feux de forêt ne cesse de se prolonger, les conditions météorologiques extrêmes s'accentuent et les sécheresses se multiplient[4]. »
Au lieu de réitérer ce que les scientifiques dans le domaine de la gestion des forêts et du changement climatique demandent depuis des années, c'est-à-dire la nécessité d'avoir un plan national pour prévoir et prévenir ces phénomènes naturels et surtout mettre en place des mesures pour les contrer de la manière la plus efficace, l'ASC, à l'instar des gouvernements irresponsables qui s'engagent dans le bellicisme au lieu de s'occuper de leurs responsabilités sociales, ne prend pas de mesures. Et ce, alors que le Canada a besoin de satellites pour suivre en temps réel l'évolution des incendies de forêt. Sans cela, les ressources humaines et matérielles ne peuvent être déployées de la manière la plus efficace. L'Agence spatiale canadienne a été très claire à ce sujet : « En moyenne, environ 3 % des feux de forêt sont très vastes et non maitrisés, et sont par ailleurs à l'origine d'environ 97 % de la superficie brûlée. En améliorant notre capacité de prévoir quels feux de forêt sont susceptibles de devenir impossibles à maitriser, nous pourrons déterminer contre lesquels il faut lutter en priorité, ce qui permettra de réduire de beaucoup les pertes économiques [5]. »
Lorsqu'il est question de la détection des feux de forêt, le Canada dépend des données de satellites d'autres pays (États-Unis et de l'Europe), notamment des satellites Sentinel de l'Agence spatiale européenne. Ces satellites permettent de déterminer une vaste gamme d'émissions, des gaz à effet de serre aux particules, en passant par le monoxyde de carbone. Ces informations sont cruciales pour déterminer comment et où déployer sur une base quotidienne les équipes de pompiers-forestiers ainsi que le matériel pour combattre les feux.
Toutefois l'une des données les plus utiles recueillies par
les satellites est la puissance radiative du feu, une mesure
de la quantité d'énergie émise par un incendie. Cette
information satellitaire doit être recueillie en fin
d'après-midi, une période cruciale et la plus critique dans le
développement des feux, alors que les satellites américains et
européens qui survolent ces régions du Canada le font à des
moments où les incendies ne brûlent pas à leur apogée.
Dans ce dessin, les traits colorés indiquent les temps de passage de divers satellites utilisés actuellement dans la gestion des feux de forêt : les satellites américains Terra (vert foncé), Aqua (bleu), Suomi NPP (violet) et Landsat 8 (rose), et les satellites européens Sentinel-3 (vert pâle) et Sentinel-2 (orange) .
Ce décalage entraîne des conséquences désastreuses pour les équipes sur le terrain qui luttent contre les incendies de forêt. Elles ont besoin de ces informations à la fin de chaque journée pour planifier le jour suivant. Selon un article publié récemment dans l'Actualité, « Lors de l'incendie de 2016 qui a ravagé une grande partie de Fort McMurray, en Alberta, les données satellitaires étaient téléchargées à Ottawa puis expédiées à Edmonton. Au moment où elles arrivaient, elles étaient déjà trop vieilles pour être utiles [6]. »
L'urgence est telle que le 17 mai, l'ASC a annoncé la construction d'un satellite, surnommé GardeFeu, destiné à « surveiller quotidiennement, depuis l'espace, tous les feux de forêt en activité au Canada ». Il est nécessaire « pour sauver des vies et protéger la santé de la population, nos ressources, nos infrastructures et notre environnement », a déclaré l'ASC. GardeFeu surveillera quotidiennement tous les feux de forêt actifs au Canada. Mais loin de s'atteler à la tâche, on apprend que l'ASC a lancé un appel d'offres et que tout ce qu'il en ressort jusqu'à présent, c'est que les coûts s'envolent.
L'ASC a lancé un appel d'offres en 2019 pour construire le satellite GardeFeu pour un coût de 31 millions de dollars. Selon la publication en ligne SpaceQ, « la mission GardeFeu coûtera désormais au moins 170 millions de dollars et ne sera pas lancée avant 2029, la conception et la mise en oeuvre devant commencer au printemps 2024 ».
Le contrat de construction a été attribué à une société appelée ExactEarth, basée à Cambridge, dans l'Ontario. Il devait être opérationnel en 2026[7]. ExactEarth a ensuite été rachetée par Spire Global, une société spécialisée dans la construction de nanosatellites. Il s'agit d'une entreprise américaine basée à San Francisco, fondée en 2012 et désormais cotée à la bourse de New York. Le déploiement des deux premiers satellites de Spire Global a eu lieu en novembre 2012 dans ce qui allait devenir « le premier déploiement de satellite commercial américain depuis la Station spatiale internationale ».
Depuis des années, les scientifiques spécialisés dans la gestion des forêts et le changement climatique soulignent la nécessité de disposer d'un plan national de prévision, de prévention et, surtout, de mise en place de mesures visant à lutter le plus efficacement possible contre les incendies de forêt. Les moyens d'y parvenir et de maîtriser la crise climatique sont connus. Le problème réside dans les gouvernements qui ne sont fidèles qu'à des intérêts privés étroits et à l'économie de guerre américaine. L'histoire du contrat de construction du satellite GardeFeu montre à quel point leur conception erronée de la sécurité nationale est dangereuse.
Figure 1a – Tendances dans la superficie annuelle brûlée (en centaine de milliers d'hectares (ha)) au Canada entre 1959 et 2010
nds of hectares (ha)) across Canada between 1959 and 2010.
Figure 1b – Tendances dans le nombre de grands feux (>200 ha) au Canada entre 1959 et 2010.
La situation n'est pas différente pour le Québec (voir
graphique ci-joint)
Notes
1. « Rapport sur le climat changeant du Canada », Gouvernement du Canada, Ottawa,, 2019, 446 p
2. « Base nationale de données sur les feux de forêt du Canada (BNDFFC) », Gouvernement du Canada, 1980-2021
3. « Le premier satellite européen détecteur de foudre à l'oeuvre », La Presse, 3 juillet 2023
4. « La mission GardeFeu : améliorer la gestion des feux de forêt au Canada », Gouvernement du Canada, Agence spatiale canadienne
5. Ibid.
6. « Les satellites peuvent jouer un rôle pour mieux combattre les incendies de forêt », l'actualité, 21 mai 2023
7. « Spire's ExactEarth to Support WildFireSat Mission », SpaceQ, 11 mai 2023
(Avec des informations de la SOPFEU, Gouvernement du Canada, Gouvernement du Québec, Hydro-Québec, Le Devoir, Journal de Montréal, Journal de Québec, La Presse, l'Actualité)
Cet article a été publié dans
Numéro 45 - 23 août 2023
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