« Je veux que tous les gens à qui on a manqué de respect, tous ceux qui ont été ignorés et mis aux rancarts soient vus, comptés et entendus ! »
Ce qui suit est la présentation de Liz Garant-Yaremcio lors de la table ronde à l'occasion du Premier Mai 2023 à Windsor, en Ontario, le 30 avril 2023.
Le 28 avril, ceux et celles qui connaissent bien la situation et se font du souci réfléchissent et pleurent les travailleurs qui ont été tués au travail ou qui sont décédés suite à des maladies professionnelles.
Le Premier Mai, ceux et celles qui connaissent la situation et se font du souci s'engagent à passer à l'action contre les nombreux torts et injustices que les travailleurs subissent dans leurs endroits de travail et dans les circonstances en lien avec leur travail.
Le 1er juin est la Journée des travailleurs accidentés en Ontario, une journée historique depuis laquelle pour plus de quarante ans les travailleurs accidentés réclament des gouvernements qu'ils répondent à leurs revendications.
Non seulement les problèmes d'un grand nombre sont ignorés, ils sont dissimulés. La souffrance est dissimulée. L'injustice est dissimulée. Les décès sont dissimulés.
Tout cela est dissimulé, non seulement parce que ce sont des cas qui s'avèrent difficiles sur le plan émotionnel, mais parce que les puissants et les riches ne veulent pas le savoir, et ne veulent pas que nous sachions quel en est la vérité.
Je sais ce que vous allez penser : « Pas encore une autre théorie conspirationniste ».
En fait, je ne sais pas trop comment la nommer, mais, du moins, je connais une parcelle de vérité. Je le sais, puisque je suis une des innombrables travailleuses accidentées qui ne sont pas comptées. On a « présumé » que nous étions retournées travailler et que nous gagnions nos salaires comme d'habitude.
Le problème, c'est que c'est faux. La « présomption » est un mensonge. C'est une fiction juridique inventée par la Loi sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents de travail et la commission du même nom, pour couper ou réduire l'indemnisation pour nos blessures.
Et ce n'est pas parce que sommes rétablis. Nous ne le sommes pas. Nos blessures sont permanentes. Et ce n'est pas, non plus, parce que nous gagnons autant qu'auparavant. Ce n'est pas le cas pour la plupart d'entre nous. Nous sommes coupées parce que l'argent dans les coffres de l'employeur l'emporte sur la vie et la souffrance des travailleurs.
Et il y a beaucoup d'autres choses à dire.
Mais d'abord, je veux que vous sachiez qui je suis. Je ne pense pas être quelqu'un d'important, mais la commission des accidentés de travail doit sûrement penser que je le suis, puisqu'elle ne tient absolument pas à parler de moi ni de tous les autres travailleurs accidentés comme moi. Je vais donc parler de nous.
Je travaillais dans un entrepôt qui tenait et gérait des pièces pour Chrysler. En travaillant, j'ai souffert d'une blessure au dos en 2006. Le mal ne s'est pas amélioré, en fait, il s'est aggravé. On m'a assignée à des tâches légères en 2011. Ma blessure est permanente. Je ne peux pas accomplir les tâches que je faisais avant. Je vais vous épargner les détails, mais je tiens à vous dire que ma vie n'est plus la même, et ne le sera jamais.
Mon endroit de travail a disparu, et on « présume » que j'ai un revenu qu'en fait je n'ai pas. Mais ce fait inconvénient n'est pas un problème pour la commission, puisqu'elle est légalement autorisée à inventer un mensonge à mon sujet, à me couper et à fermer mon dossier, le mien et celui d'un grand nombre de personnes comme moi. Le nombre de travailleurs qu'on a éliminé du système par « présomption » est inconnu. Il est inconnu pour la simple raison que la commission ne les compte pas. Elle a épargné de l'argent et a peut-être réussi à clore un dossier, ce qu'ils se font un plaisir de compter. Mais pour ce qui est de ce que deviennent ces travailleurs victimes de « présomption », ça, elle ne le compte pas. Elle ne le sait pas parce qu'elle ne le demande pas. Elle choisit de ne pas poser de questions sur ce qui nous arrive. Elle ne se soucie pas assez de nous pour se donner la peine de nous poser la question.
Et il ne s'agit pas uniquement des travailleurs victimes de présomption qu'on ignore. La commission ne demande pas, non plus, combien de travailleurs accidentés se suicident. Elle ne demande pas combien ont fait des surdoses. Ni ne demande-t-elle combien de travailleurs migrants accidentés ont été retournés chez eux sans formation, sans indemnisation et sans le moindre espoir de revenir.
Ni la commission ne demande-t-elle combien de travailleurs vivent dans la pauvreté. Elle ne demande pas combien de travailleurs accidentés ont vécu des ruptures familiales suite à une blessure. Elle n'exige pas une véritable reddition de compte pour les maladies professionnelles. Elle se dit que si vous travaillez dans une mine ou dans une fonderie, ou que vous avez respiré des particules de fluides de coupe de métaux et que vous souffrez du cancer, c'est parce que vous avez fumé. Ce n'est pas son problème !
Il y a de nombreuses questions que la commission ne pose pas mais que vous et moi jugeons importantes, des questions qui se posent, ne serait-ce que par gros bon sens ou par justice ou par simple décence. La seule raison qu'elle ne les pose pas, c'est parce qu'elle ne veut pas le savoir. Et elle ne veut pas que nous, non plus, nous ne le sachions.
Si vous et elle, vous ne connaissez pas les réponses à ces questions, c'est ensuite facile pour la commission d'entendre parler seulement des choses dont elle veut entendre parler et de faire les choses qu'elle veut faire, comme rembourser un MILLIARD et demi de dollars aux employeurs en remises de primes. La commission a su compter chacun de ces dollars avec précision. Mais elle n'a pas du tout compté ce qu'elle a dû faire pour obtenir cet argent et ces ressources en l'enlevant des travailleurs accidentés pour le donner aux riches. Les travailleurs accidentés ont payé leur remise en larmes et en difficultés sans nom. Personne n'est au courant, parce que personne ne se renseigne, surtout pas la commission.
Pensez-vous toujours que je suis une conspirationniste ? Si oui, alors pourquoi ne pas me poser la question ? Demandez-moi pourquoi IL N'Y A PAS de travailleurs accidentés au conseil d'administration de la commission des accidentés de travail. Demandez-moi pourquoi il n'y a que deux administrateurs issus du milieu syndical sur un total de dix. Ou encore pourquoi il n'y a AUCUN travailleur sur le conseil d'administration qui provient du secteur industriel de la main-d'oeuvre. Ou demandez à tous les dix membres du conseil d'administration quels sont leurs liens et leurs connexions avec la Parti conservateur. Demandez pourquoi les membres du conseil d'administration sont désignés par le gouvernement et ne sont pas élus. Demandez pour qui fonctionne le système d'indemnisation.
La loi des accidents de travail interdit aux travailleurs accidentés de procéder à des recours juridiques contre leurs employeurs suite à un accident de travail. Or, les travailleurs sont censés obtenir leur indemnisation du système. Mais le système tente d'exiger le moins d'argent possible aux employeurs pour les cotisations, et même, on leur rembourse l'argent recueilli qui devait indemniser les travailleurs accidentés.
Ainsi, les employeurs sont protégés contre tout recours collectif, pendant que les travailleurs accidentés obtiennent de moins en moins à chaque année.
Pour qui, donc, le système fonctionne-t-il ?
Je ne veux pas poursuivre mon employeur devant les tribunaux, même si je pouvais le faire. Je veux la justice. Je veux vivre dans la dignité. Je veux l'équité. Je veux que toute personne envers qui on a manqué de respect, qu'on a ignorée ou dissimulée, soit comptée, et qu'elle soit entendue !
Vous voulez savoir ce que qu'est une conspiration ? C'est quand un groupe d'individus se sont organisés pour vous faire du tort et se servent à vos dépens.
Vous voulez savoir ce que c'est la folie ? C'est d'ignorer comment ces gens se sont enrichis à vos dépens. C'est d'être complaisant. C'est de ne rien faire et ne rien dire parce qu'on pense que nous sommes sans importance.
Mais, voulez-vous VRAIMENT savoir ce qu'est la folie ? C'est quand ces gens pensent que nous allons rester ignorants, complaisants, et que nous ne dirons et ne ferons jamais rien. C'est COMPLÈTEMENT ridicule, parce que ce n'est PAS ce qui va se passer. Et le compte à rebours commence maintenant.
Cet article a été publié dans
Numéro 29 - 31 mai 2023
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