Le projet de loi anti-briseurs de grève du NPD en Ontario

– Enver Villamizar –


Piquetage secondaire des travailleurs de Sel Windsor au transport Charron le 30 mars 2023, qui transporte du sel hors des installations de Sel Windsor pendant la grève.

Le 29 mars, le NPD de l'Ontario a déposé le projet de loi 89, Loi modifiant la Loi de 1995 sur les relations de travail en ce qui concerne les travailleurs suppléants, à l'assemblée législative de l'Ontario. Le projet de loi a été jugé irrecevable sans aucune explication, mais il semble maintenant avoir été redéposé sous le nom de projet de loi 90[1].

Le projet de loi était parrainé par les députés provinciaux : France Gélinas (Nickel Belt); Lisa Gretzky (Windsor-Ouest); Wayne Gates (Niagara Falls); Jamie West (Sudbury); et Jennifer French (Oshawa). Résumant le projet de loi en première lecture, Mme Gélinas a déclaré qu'il « rétablit les dispositions qui ont été incorporées à la Loi sur les relations de travail par la Loi sur les relations de travail et le statut de l'emploi de 1992 et qui ont été abrogées en 1995 ».

« Les dispositions rétablies empêchent un employeur de remplacer un employé en grève ou en lockout par un travailleur de remplacement, sauf dans des situations d'urgence précises », a expliqué la députée néodémocrate.

En 1995, le gouvernement de Mike Harris a abrogé la loi anti-briseurs de grève qui avait été adoptée par le gouvernement néodémocrate de Bob Rae. Depuis, le NPD a déposé un projet de loi similaire à presque toutes les sessions du parlement ontarien, sans jamais le faire adopter. Plus récemment, le même projet de loi a été déposé par France Gélinas en mars 2019, mais il n'a pas franchi l'étape de la première lecture. L'avant-projet de loi établit des règles permettant de déterminer quand et comment une entreprise peut ou ne peut pas avoir recours à des briseurs de grève, ainsi que les règles à suivre lorsqu'elle fait appel à des briseurs de grève. Il interdirait le recours à des briseurs de grève – qu'ils soient recrutés en tant que nouveaux employés ou qu'ils proviennent de l'unité de négociation elle-même ou d'autres établissements – pour effectuer le travail de travailleurs qui sont en grève légale ou en lockout.

La loi n'interdit pas aux cadres qui travaillent déjà dans un établissement de travailler dans cet établissement en tant que briseurs de grève – comme c'est actuellement le cas à Sel Windsor. Mais elle interdit de faire appel à des cadres d'autres établissements pour faire le travail de l'unité de négociation. Des exceptions sont prévues pour permettre l'emploi de briseurs de grève dans les cas suivants : garde en milieu fermé, soins résidentiels pour les personnes handicapées et les enfants, refuges d'urgence ou intervention en cas de crise, communication de répartition des urgences, services d'ambulance ou clinique ou poste de premiers secours. Des exceptions sont également prévues pour ce qui est décrit comme une « urgence », qui n'est pas définie dans la législation. Dans ces cas, le syndicat peut consentir à l'utilisation de travailleurs de remplacement ou de membres de sa propre unité de négociation, si les membres sont d'accord.

Selon le projet de loi, les briseurs de grève sont autorisés pour éviter : une menace à la vie, la santé ou la sécurité, la destruction ou la détérioration grave de machines, d'équipements ou de locaux, ou de graves dommages à l'environnement.

Il est important de considérer que ces dernières exceptions sont précisément les justifications que les propriétaires de Sel Windsor ont données pendant la grève actuelle pour obtenir une injonction contre le blocage du mouvement du sel entreposé à l'intérieur des installations. La société a prétendu qu'elle avait besoin de cette injonction pour empêcher le grippage de l'équipement et pour prévenir les éventuels dommages environnementaux qui résulteraient d'une fuite des tuyaux transportant la saumure à l'avenir.

Le fait que l'entreprise ait utilisé l'injonction pour continuer à vendre du sel révèle les objectifs cachés qu'elle poursuit en soulevant des questions de sécurité et d'environnement. Elle retire le sel gemme et le sel de table pour continuer à le vendre, ce qui prolonge la grève. Cela souligne le fait que les travailleurs peuvent être protégés ou non par des lois, mais que c'est la force de leur nombre et de leur organisation qui est décisive pour atteindre leurs objectifs. Les objectifs des intérêts privés étroits ne sont pas les mêmes que les leurs, ce qui signifie que leur véritable protection réside dans leur lutte pour leurs droits et les droits de toutes et tous dans des situations concrètes, indépendamment de ce que dit la loi. Ce sont eux qui conçoivent les tactiques qu'ils peuvent utiliser dans une situation donnée pour unir tout le monde dans l'action afin de faire valoir une cause juste.

L'État soutient systématiquement les entreprises lorsqu'elles détournent la loi à leur profit. La loi n'est pas neutre. Aujourd'hui, toutes les dispositions que les lois auraient pu contenir et qui, dans les conditions actuelles, sont considérées comme limitant les entreprises dans leur capacité à faire ce qu'elles veulent, sont supprimées. Cela est fait au nom de la stabilité, de la sécurité et de la nécessité d'avoir des pouvoirs ministériels illimités.

Des mineurs et des sympathisants bloquent la sortie du sel de la mine, 23 février 2022.

Selon le libellé du projet de loi, c'est à la Commission des relations de travail de l'Ontario qu'il revient de décider ce qui constitue un recours « légitime » à des briseurs de grève. Selon l'interprétation mythique du rôle de l'État, la Commission des relations de travail serait « neutre », ce qui n'est pas le cas, comme tous les travailleurs le savent. Dans les faits, et non dans la fiction, elle fait partie de l'appareil d'État dont l'allégeance va « au Roi et au Pays ». Cela signifie qu'elle a le devoir de faire respecter les revendications qui servent les intérêts du capital au détriment de ceux du travail, car agir autrement équivaut à saper la sécurité « du Roi et du Pays ».

En outre, le projet de loi contient également une disposition qui légaliserait la pratique courante par laquelle une entreprise supprime les avantages sociaux des travailleurs en cas de grève légale ou de lockout. Elle décrit comment le syndicat peut accepter de verser à ses membres les prestations comme pour la santé par l'intermédiaire de leur régime de prestations existant, ce que l'entreprise doit accepter. Cela constitue un feu vert à la réduction des prestations et met le syndicat dans l'obligation de prendre en charge les prestations de santé des travailleurs.

La santé et le bien-être des travailleurs constituent un avantage direct pour toute entreprise, mais celle-ci est autorisée à supprimer les prestations de santé pendant une grève ou un lockout. Cela reflète une conception du monde dans laquelle les avantages sociaux reliés à la santé ne sont pas un droit mais un privilège. La pratique consistant à supprimer les prestations des travailleurs pendant une grève ou un lockout devrait en fait être totalement interdite et ne devrait pas pouvoir être utilisée comme mécanisme de pression pour forcer les travailleurs à accepter une entente sous la contrainte.

En fin de compte, la loi doit être considérée dans le contexte de l'offensive antisociale brutale en cours et du point de vue des travailleurs. Aidera-t-elle les travailleurs à résoudre les crises d'une manière qui favorise les réclamations qu'ils sont en droit de faire à la société du fait qu'ils sont des êtres humains et du fait qu'ils produisent toutes les richesses dont dépend la société ? Cela aidera-t-il les travailleurs à priver les gouvernements et les entreprises de leur capacité d'agir en toute impunité ? Tant que les lois seront utilisées pour criminaliser la résistance des travailleurs et leur lutte pour la démocratie, il restera important de voir les choses du point de vue que les travailleurs eux-mêmes établissent dans toutes les conditions et circonstances.

À ce stade, personne ne s'attend à ce que le projet de loi soit adopté car, avec le système de gouvernement de partis cartellisés, le NPD n'a aucun poids au sein de l'actuelle assemblée législative de l'Ontario. Dans ce contexte, le projet de loi est considéré comme faisant partie du modus operandi au sein du système de partis cartellisés, qui consiste à faire quelque chose pour obtenir des félicitations pour avoir représenté la circonscription que l'on prétend représenter. En fait, cela n'aide pas à organiser les travailleurs à obtenir quelque chose qui leur profitera de manière significative, ce qui, dans les conditions de l'offensive antisociale, est sérieusement souhaité.

La coalition libérale-néodémocrate au niveau fédéral a déclaré qu'elle présenterait également un projet de loi anti-briseurs de grève au début de l'année 2023.

Note

1. Projet de loi 90, Loi de 2023 sur les briseurs de grève


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Numéro 20 - 18 avril 2023

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