Les travailleurs sans papiers déclarent : « Nous ne sommes pas la crise »

Après une nuit de grand froid couchés à l'extérieur des bureaux de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié Canada, des migrants sans papiers et leurs alliés, ainsi que quelques membres de la presse, se sont rassemblés à 9 heures à cet endroit pour une conférence de presse organisée par Solidarité sans frontières.

« Nous ne sommes pas la crise ! », a déclaré Hady Anne, porte-parole de Solidarité sans frontières. « La crise est ailleurs. Nous sommes la solution à la crise... La crise est climatique, elle est planétaire, elle est sociale », a-t-il poursuivi. « Combien de femmes aujourd'hui ne peuvent même pas travailler, par manque d'accès aux services de garderie ? » « Combien de personnes dorment à l'extérieur à cause de la crise du logement ? J'aimerais donc dire sans détours ici aujourd'hui aux politiciens qui tentent d'instrumentaliser la vie des migrants pour semer la division, que de prétendre qu'il y a une crise de migration au Canada est faux[1]. ...Ils tentent de fuir la vérité en se cachant derrière les migrants », a-t-il dit.

« Sans résidence permanente », a-t-il poursuivi, « les migrants sont exploités au travail, privés de soins de santé et séparés de leurs familles. Une société juste est basée sur l'égalité, cela n'est pas possible sans un statut permanent d'immigration pour tous et toutes. » Les migrants sans papiers et d'autres, a-t-il dit, « cultivent les aliments, soignent nos malades et nos aînés et font partie intégrante de la communauté. ... Ce sont des voisins, des collègues, des camarades de classe, des amis. ... Un programme de régularisation qui apporterait un statut de résidence permanente sortirait un demi-million de personnes de la pauvreté et leur donnerait les outils pour se protéger contre les abus et l'injustice, réunir les familles et rectifier les torts historiques. »

« Nous demandons à Justin Trudeau de créer un programme de régularisation pour accorder la résidence permanente ainsi qu'un permis de travail temporaire à tous les migrants sans papiers ici. Chaque jour apporte son lot d'exploitation, d'expulsions et, parfois, de décès », a dit Hady Anne.

Mamadou Konaté, originaire de la Côte d'Ivoire, et qui continue de se battre contre l'expulsion, a parlé au nom du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants. Il a informé qu'au cours des dernières semaines les expulsions se sont accrues et que les migrants sans papiers continuent d'être détenus au Centre de surveillance de l'immigration à Laval, et on leur refuse les moyens de se trouver un répondant et d'être libérés sous caution.

Un membre de la Coalition des étudiants pour un changement environnemental et social (CEVES) a dit : « Le gouvernement et les médias alimentent la haine contre les migrants, surtout contre ceux qui sont entrés par le chemin Roxham. » Il a dit que « la régularisation immédiate est incontestablement une obligation morale des gouvernements. »

Nazila Bettache du Collectif pour la justice sociale, composé d'étudiants, de professionnels et d'activistes dans le domaine de la santé, a exprimé sa profonde admiration pour les migrants qui se mobilisent depuis des années, sinon des décennies, pour exiger un statut pour tous et toutes. Elle a dit : « Les gens ont passé la nuit au grand froid, devant cette monstruosité qu'est Immigration Canada, pour exiger un statut pour tous et toutes...et pour dénoncer les politiques d'immigration ». Afin de pouvoir avoir accès à un logement et ne pas vivre dans la peur, a-t-elle dit, il faut le statut de résidence permanente, encadré par un programme de régularisation massif et inclusif. Elle a condamné les politiques d'immigration actuelles du Canada et a dit qu'elles étaient « inefficaces, hypocrites, injustes et violentes », ajoutant que « les politiques d'immigration tuent...comme nous l'avons vu avec Fritznel Richard et, plus récemment, avec Jose Leos Cervantes, qui est littéralement mort de froid à la frontière [2]. De telles morts ne peuvent pas être normalisées, ni être acceptées comme faisant partie du statut quo. »

Amy Darwish, du Comité d'action de Parc Extension, a dit que « c'est impossible de parler d'un accès au logement sans parler d'un statut pour tous et toutes. ... Avoir un toit au-dessus de sa tête est un besoin fondamental et pourtant de nombreuses personnes sont privées d'avoir accès à un logement décent et subissent la discrimination. Elle a dit qu'ils « sont refusés parce qu'ils n'ont pas de cartes d'identité ou d'antécédents en matière de crédit ».

À cause des politiques d'exclusion du gouvernement du Québec, a-t-elle dit, les personnes sans papiers n'ont pas non plus accès aux programmes de logements d'urgence ou subventionnés, ajoutant qu'elles sont forcées de vivre dans des conditions déplorables et doivent consacrer une grande partie de leur revenu au loyer et accepter des conditions de travail précaires pour tout simplement survivre.

Elle a aussi souligné que nous entendons de plus en plus « des politiciens racistes et opportunistes prétendre que la crise du logement est causée par les migrants, plus particulièrement ceux qui sont entrés par le chemin Roxham. ... C'est une façon d'instrumentaliser les gens sans statut et c'est absolument faux. » « Si les groupes communautaires et les services publics débordent », a-t-elle affirmé, « c'est à cause des politiques d'austérité et des politiques néolibérales, les mêmes qui forcent les gens à se déplacer. »

« C'est notre responsabilité et notre devoir », a-t-elle souligné, « de s'opposer au racisme et à la xénophobie et d'être solidaires avec les gens qui sont aux prises avec la crise du logement. Tout le monde devrait pouvoir se trouver un toit. »

Son intervention, comme celles des autres orateurs, a été accueillie par des applaudissements nourris.

Notes

1. Le 21 février, dans un éditorial intitulé « Il est temps de fermer le chemin Roxham et de faire respecter la frontière canadienne », signé par le premier ministre du Québec François Legault et publié dans le Globe and Mail, le premier ministre écrit qu' « au cours de l'année 2022 le nombre d'arrivées de demandeurs d'asile au Québec a explosé. La capacité d'accueil du Québec est désormais largement dépassée. »

« Les nouveaux arrivés peinent à se trouver des logements adéquats et sont plus nombreux à se retrouver en situation d'itinérance et les organismes communautaires qui leur offrent un soutien direct sont à bout de souffle. Les services publics du Québec doivent également faire face à des pressions accrues sans précédent, notamment les services de santé, d'éducation et d'aide de dernier recours.

« Comme partout au Canada », dit-il, « nos services publics sont déjà à bout de souffle. Cette pression supplémentaire est devenue intenable et ne peut se prolonger plus longtemps. »
« Le nombre de gens qui accueillent et qui s'occupent des demandeurs d'asile est restreint. Le nombre de nouvelles classes que nous pouvons ouvrir pour accommoder les enfants, dont plusieurs sont désemparés et traumatisés, est limité, et n'oublions pas la pénurie d'enseignants. »
« Il y a aussi une pénurie de logements, qui ne peuvent pas être construits si rapidement. Comme ailleurs au Canada, le système de santé est déjà fragile. »
« Les gens doivent pouvoir se trouver un logement, les enfants doivent pouvoir aller à l'école et les malades doivent pouvoir être soignés », écrit-il.
La veille, une lettre signée par le premier ministre Legault a été envoyée au premier ministre Justin Trudeau et obtenue par les médias suite à une fuite. Le premier ministre du Québec y souligne que « des dizaines de milliers de demandeurs d'asile toujours présents à Montréal continueront d'exercer une pression sur nos services publics pendant de nombreux mois, voire de nombreuses années ».
Le premier ministre Legault fait part de « sa grande préoccupation » quant au déclin du français à Montréal et affirme que « l'arrivée massive » de dizaines de milliers de migrants, dont une proportion importante ne parle pas le français, « complexifie grandement notre tâche de francisation ».
Le premier ministre prétend qu' « en raison du nombre important de demandeurs d'asile au cours des années, les coûts ont explosé et l'ensemble des coûts est maintenant de plusieurs centaines de millions de dollars. »
Le 21 septembre 2022, lors d'un débat électoral dans la région de la Mauricie, l'ancien ministre de l'Immigration Jean Boulet avait faussement déclaré que « 80 % des immigrants vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français et n'adhèrent pas aux valeurs sociétales du Québec. »

2. Jose Leos Cervantes, un homme de 45 ans originaire du Mexique, est décédé peu après avoir traversé la frontière du Québec au Vermont à pied à la fin du mois de février. Il était l'une des centaines de personnes qui ont tenté de traverser au Vermont cette année.

(Avec des informations provenant de Solidarité sans frontières, CityNews, Journal de Montréal, Journal de Québec, The Globe and Mail. Photo : Solidarité sans frontières)


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Numéro 17 - 3 avril 2023

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