Voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic

Les résidents des communautés doivent avoir un mot décisif à dire sur le projet et leur avenir

– Pierre Chénier –

Une situation tendue s'est créée en ce qui concerne la construction de la voie de contournement ferroviaire qui doit détourner les trains de la communauté de Lac-Mégantic au Québec où, le 6 juillet 2013, un train transportant du pétrole hautement inflammable est parti à la dérive, a déraillé, pris feu et explosé. Une voie de contournement sécuritaire a été une demande des communautés de la région depuis cette tragédie ferroviaire qui a causé la mort de 47 personnes, des blessures graves à de nombreuses autres, de graves séquelles post-traumatiques à la population de même que d'importants dommages matériels.

La voie de contournement est maintenant vivement contestée au sein de la population. La voie proposée doit passer dans le parc industriel de Lac-Mégantic et dans les localités avoisinantes de Frontenac et de Nantes. Lors d'un référendum tenu en février dans la municipalité de Frontenac, où le taux de participation a été d'environ 50 %, 90 % de ceux qui ont voté se sont prononcés contre la construction de la voie.

Le pourquoi de cette tension est une question importante alors que les inquiétudes concernant la sécurité ferroviaire et la guérison sociale de la communauté de Lac-Méganticsont toujours présentes.

Lorsque le gouvernement a annoncé le tracé qu'il propose, les gens de Nantes et de Frontenac ont proposé des tracés alternatifs sur la base de préoccupations diverses, dont l'environnement qui est devenu une préoccupation centrale. Ces propositions ont simplement été écartées. Plus tard, le gouvernement a prétendu avoir consulté la population, mais il n'a pas retenu les propositions reçues et n'en a pas discuté publiquement non plus. Les Québécois et les Canadiens connaissent bien ce genre de consultations où le processus est dénaturé du fait même que les propositions soumises sont ignorées et que la décision de la compagnie et du gouvernement en cause est simplement confirmée.

Le Canadien Pacifique a acheté, en décembre 2019, la Central Maine & Quebec Railway (CMQR), qui elle-même avait acheté l'entreprise américaine en faillite, la Montreal, Maine & Atlantic (MMA), propriétaire de la voie ferrée sur laquelle la tragédie de Lac-Mégantic s'est produite. Avec cet achat, le CP est devenu le futur propriétaire de la voie de contournement.

Les résidents des communautés ont appris que le CP entend faire passer des convois de 200-250 wagons (plus de 3 fois le nombre de wagons du train de la mort de Mégantic), transportant notamment des matières dangereuses, à une vitesse de 40 milles à l'heure (environ 64 km/heure). La voie passera dans le parc industriel de Mégantic à proximité d'usines comme Tafisa, une entreprise géante de fabrication de panneaux particules qui a déjà connu un incendie et des explosions de grande envergure parce qu'elle émet beaucoup de particules de poussières de bois dans l'air qui sont très inflammables.

En plus, on a appris, comme un fait accompli, que la surface de l'emprise du chemin de fer, la bande de terrain réservée à l'exploitation de la voie ferrée, sera doublée en largeur, probablement pour accommoder une seconde voie du CP. Le coût de la voie de contournement, qui est entièrement assumé par le gouvernement fédéral et du Québec, et qui était estimé à environ 130 millions de dollars en 2019, dépassera le milliard.

Beaucoup de gens disent que la voie de contournement, telle que définie à l'heure actuelle, n'est plus un projet de sécurité ferroviaire et de guérison sociale, mais un projet gouvernement-CP pour accroître les profits du CP et renforcer sa position au sein des plus grandes sociétés ferroviaires de l'Amérique du Nord. Le CP vient juste d'acheter la société ferroviaire américaine Kansas City Southern, ce qui va créer un gigantesque réseau ferroviaire intégré nord-américain. Il est certain que les résidents n'ont pas appuyé le projet de voie de contournement en tant que future autoroute transcontinentale de matières dangereuses.

Et qui pourrait blâmer les résidents de la communauté de tenir un tel point de vue ?

Prétendre que ceci démontre une opposition des communautés au projet de voie de contournement est une diversion qui nie les préoccupations et les revendications réelles de la population afin de monter les gens les uns contre les autres et simplement imposer le projet. Ou alors les autorités diront que la voie de contournement est du domaine du passé maintenant, que les citoyens n'en veulent pas, que c'est leur faute alors ils n'ont qu'eux-mêmes à blâmer pour l'insécurité et l'anarchie ferroviaire qui se poursuivront sur la vieille voie dans le centre-ville de Mégantic.

Différentes organisations ont mis de l'avant des préoccupations et des revendications qui doivent être entendues et jouer un rôle décisif dans la définition du projet de voie de contournement.

Des organisations et des citoyens se sont opposés à la division indue par le tracé actuel de terres à vocation agricole et forestière qui va occasionner une perte de revenus et de valeur foncière des propriétés enclavées et morcelées. Ils ont proposé la formation de comités de travail pour prévoir des mesures compensatoires équitables pour tous ceux qui subiront ces pertes.

Les gens ont été très choqués par l'avis d'intention d'expropriation de propriétaires de terrains pour la construction de la voie qu'a émis la ministre fédérale des Services publics et de l'Approvisionnement à la demande du ministre des Transports le 13 février. Près de 1500 lettres de contestation ont été remises en main propre au bureau montréalais du ministère fédéral quelques jours plus tard.

La préoccupation la plus grande et la plus détaillée est la préoccupation environnementale. Des organisations et des citoyens ont demandé au ministre fédéral de l'Environnement de tenir une étude sur l'impact environnemental du projet de voie de contournement.

Une des préoccupations est que le creusage et le dynamitage qui devra être fait pourrait contaminer la nappe phréatique et affecter l'eau potable qu'elle fournit à Lac-Mégantic et aux environs. On craint aussi une vaste perte de milieux humides qui jouent un rôle important dans le stockage du carbone et la préservation de la biodiversité.

Une autre préoccupation est la perte de superficies forestières pour la construction de la voie ferrée, un déboisement qui va libérer des centaines de tonnes de carbone dans l'atmosphère.

La revendication principale des organisations et des citoyens est que leur voix soit entendue et respectée, qu'elle ait un rôle décisif dans ce qui sera adopté pour que les intérêts des communautés soient défendus.

C'est une revendication moderne, juste et nécessaire.


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Numéro 15 - 27 mars 2023

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