Les communautés et la société, et non les
riches,
doivent bénéficier des investissements de l'État
Les gouvernements à tous les niveaux paient pour les grandes transformations de l'industrie automobile
Une question qui préoccupe le corps politique à l'heure actuelle est de savoir comment faire face aux développements technologiques et scientifiques considérables qui entraînent des changements à grande échelle dans la manière dont la production est organisée.
Un exemple de cela est la vitesse à laquelle se fait l'électrification de l'industrie automobile et d'autres secteurs et le fait que les gouvernements à tous les niveaux y allouent d'énormes quantités de fonds publics et font construire les nouvelles infrastructures requises. L'Ontario et le Québec, en particulier, sont en voie de devenir des centres d'exploitation de l'électricité et des minéraux critiques pour la charge des batteries électriques destinées aux les véhicules électriques (VE) et à d'autres technologies. Le 21 décembre 2022, le gouvernement fédéral a publié un règlement qui stipule qu'un cinquième des voitures à passagers, des VUS et des camions vendus au Canada en 2026 devront être électriques et que tous les véhicules à passager devront être électriques d'ici 2036.
L'Ontario est le centre de l'industrie automobile du Canada. Avec des centres bien connus à Oshawa et Oakville et un écosystème complexe d'usines, de fournisseurs, de voies de transport et de travailleurs qui s'étend de Brampton à Windsor. D'importants changements se produisent dans trois domaines principaux pour ce qui est de la production automobile.
Les moteurs des voitures électriques ne comportent qu'un tiers du nombre de pièces d'un moteur à combustion interne, environ 66 % de moins, et nécessitent donc moins de main-d'oeuvre pour être assemblés. Ils sont également assemblés beaucoup plus rapidement sur la chaîne de montage.
Une deuxième caractéristique est qu'avec les nouvelles méthodes de moulage, les châssis des voitures peuvent être moulés en trois parties en millisecondes à partir d'aluminium fondu versé dans des moules. Cela signifie qu'il suffit d'assembler les voitures, de les peindre, puis d'ajouter les portes, les fenêtres et les pare-chocs. Dans le passé, il y avait beaucoup plus de pièces qui devaient être soudées puis embouties pour être assemblées.
Une grande partie de ce processus repose sur l'utilisation de robots et d'intelligence artificielle (ce qu'on appelle la mecatronique) lorsque l'assemblage se fait à grande échelle. Beaucoup moins de travailleurs sont nécessaires. En outre, l'approvisionnement en pièces de la chaîne est également entièrement automatisé aujourd'hui grâce à des drones autonomes qui transportent les pièces dans un va-et-vient dans une usine.
La troisième caractéristique est que les voitures sont en train de devenir des ordinateurs, de sorte que la mise à jour ou la réparation de la voiture consiste davantage à télécharger des applications qu'à effectuer des réparations mécaniques.
Tout cela signifie que les entreprises engagées dans ce secteur
de l'économie cherchent à réduire le coût des batteries et de
leur production parce qu'elles peuvent ainsi récolter plus de
profits en réduisant les salaires, le prix des pièces et le
nombre de pièces produires, en plus de réduire le nombre de
travailleurs ayant le droit de faire des réclamations à la
valeur qu'ils produisent. C'est en partie la raison pour
laquelle le changement s'opère si rapidement : c'est pour
obtenir des fonds publics pour le réoutillage des lignes de
production et la réduction des coûts liés à la fourniture et au
développement des batteries. En d'autres termes, il s'agit d'une
course à la transition afin de maintenir la croissance de leurs
profits sur la base du financement public et en réduisant la
réclamation du travail à la valeur qu'il crée.
Le financement public de la production et de la recherche sur les batteries électriques sert aussi à alimenter la machine de guerre des États-Unis qui est également en train de faire la transition vers l'utilisation d'armes basées sur l'intelligence artificielle. Pour les travailleurs et les syndicats, la défense des intérêts des travailleurs du secteur automobile est également une toute nouvelle donne.
Un exemple de la façon dont cela touche l'économie et la vie des travailleurs et de leurs communautés est celui d'Ingersoll, en Ontario, où GM a réoutillé toute l'usine d'assemblage CAMI pour la production de fourgonnettes de livraison électriques, connues sous le nom de Brightdrop ZEVO. Ce réoutillage a été financé en partie par une aide de 259 millions de dollars du gouvernement fédéral et une aide équivalente de 259 millions de dollars du gouvernement de l'Ontario pour permettre aux usines GM d'Ingersoll et d'Oshawa de passer à la production de VE. L'usine fournit maintenant des flottes de véhicules de livraison pour FedEX, DHL et Walmart. Plus la quantité de véhicules à assembler est importante, plus le recours à des robots plutôt qu'à des travailleurs pour l'assemblage est important. Ces véhicules sont équipés de transpalettes électriques qui se conduisent tout seuls, comme des drones. Cette chaîne de montage a fabriqué le VUS Chevrolet Equinox jusqu'en 2021. Unifor, le syndicat qui y représente les travailleurs à CAMI, a négocié une nouvelle convention collective il y a un an pour cette nouvelle ligne. Selon la présidente d'Unifor, Lana Payne, la transition aux véhicules électriques et le chambardement des industries connexes ont entraîné la perte de 750 emplois dans la seule région d'Ingersoll.
Photo du site web de GM montrant la ligne de production à
l'usine de véhicules électriques à Ingersoll
Environ 17 000 membres d'Unifor dans le secteur de l'automobile, soit plus de 40 %, travaillent dans ce qu'on appelle le secteur des pièces automobiles indépendantes, qui fournit une grande partie des Trois Grands constructeurs et d'autres acteurs de l'industrie de l'assemblage automobile. Dans un discours prononcé le 12 janvier au symposium annuel Automotive Insights de la Banque de réserve fédérale de Chicago, Lana Payne a dit que « notre propre analyse interne montre que près d'un tiers de nos membres dans le secteur de l'approvisionnement en pièces indépendantes sont vulnérables dans ce passage aux VE », ajoutant : « Cela représente des milliers de travailleurs qui fabriquent des pièces qui ne sont tout simplement pas transférables aux véhicules électriques. »
En plus de changer la façon dont le travail est fait, ce
passage aux véhicules électriques signifie que toute la chaîne
d'approvisionnement change pour ce qui est de la livraison de
composants et de matériaux. D'un système de livraison « juste à
temps », on passe à un système dit « juste au cas où »
qui, à son tour, nécessite l'entreposage et l'utilisation de
l'intelligence artificielle et des camions sans conducteur ainsi
qu'une main-d'oeuvre bon marché. Un système d'inventaire « juste
à temps » est une stratégie de gestion qui aligne les
commandes des fournisseurs directement sur les calendriers de
production. Le « juste au cas où » désigne une stratégie
d'inventaire dans laquelle les entreprises conservent des stocks
importants en cas d'augmentation importante et soudaine de la
demande ou de perturbation des chaînes d'approvisionnement,
comme cela s'est produit durant la pandémie pour ce qui est de
microprocesseurs et autres approvisionnements.
Dans tout cela, on met maintenant l'accent sur la sécurité de la chaîne d'approvisionnement car les VE seraient sujets à ce que l'on appelle des points de pincement qui, en l'absence de stratégie de gestion, peuvent conduire à des arrêts complets temporaires de la production. Les communautés sont donc également transformées en centres d'entreposage le long des corridors de transport. Peu à peu tout sera soumis aux dispositions des lois d'urgence, comme le projet de loi 100 du gouvernement de l'Ontario en réponse au blocage du pont Ambassadeur par le « convoi de la liberté » à Winsor. Au nom de la sécurité nationale et de l'économie, ces mesures interdisent l'action politique ou syndicale tout en autorisant des services armés de sécurité étrangers à opérer en sol canadien au nom de la sauvegarde des chaînes d'approvisionnement.
Dans le secteur automobile, les négociations au sein des Trois Grands doivent commencer en mars, car les conventions collectives expirent en septembre 2023. Pour la première fois en 20 ans, les travailleurs de l'automobile canadiens et américains d'Unifor et de l'UAW négocient simultanément. Selon les analystes du marché de l'automobile, « les négociations interviennent à un moment où l'inflation est élevée (pour la première fois depuis des décennies), où les volumes sont faibles, où les profits des entreprises sont élevés et où la transition des groupes motopropulseurs vers l'électrique ne se produit qu'une fois par siècle et plus. »
Selon différents rapports, l'industrie verrait tout cela comme négative puisque cela donne des arguments aux travailleurs pour réclamer une rémunération plus élevée qui, selon les prévisions, pourrait augmenter de « 25 à 30 % » pour la rémunération totale moyenne. Une autre considération est qu'il y a un manque très marqué de travailleurs qualifiés pour ces nouvelles industries, comme les électriciens et les mécaniciens-monteurs. La propagande antiouvrière a déjà commencé, présentant les réclamations des travailleurs à la valeur qu'ils produisent comme nuisibles à la transition vers ce que l'on appelle une économie verte.
Ces négociations concernent les principales opérations d'assemblage au Canada et aux États-Unis. Cependant, le calendrier des négociations à l'usine d'assemblage GM CAMI à Ingersoll a été changé et ne correspond plus aux autres opérations comme prévu en 2021. On spécule que le modèle de négociation collective établi à CAMI pourrait faire partie du modèle plus large des Trois Grands.
Au cours des trois dernières rondes de négociations depuis la crise financière de 2008, les travailleurs de l'automobile ont été confrontés à une restructuration majeure de leurs conditions de travail au nom de l'obtention de nouveaux investissements et de prévenir le départ des entreprises. Des changements importants ont été apportés aux avantages sociaux et aux pensions, et surtout aux règles de travail, afin de donner aux employeurs beaucoup plus de flexibilité pour organiser la production. Avec ce passage aux VE, la pression sur les travailleurs est qu'ils doivent tempérer leurs demandes pour que le Canada sorte gagnant dans la concurrence avec les usines américaines pour la production de VE. Outre les concessions qu'on leur demande de faire au nom de l'obtention de nouveaux investissements, toute position de lutte est criminalisée au nom de la sécurité nationale et de l'économie nationale.
Assurer la sécurité des chaînes d'approvisionnement et leur fonctionnement sont mis en opposition à la garantie que les travailleurs de la production, les camionneurs, les travailleurs du rail et du transport maritime sur les grands lacs, les ouvriers du bâtiment et tous les autres bénéficient des conditions de vie et de travail requises. Les travailleurs sont devenus des objets jetables et cela ne peut être accepté. Au contraire, les travailleurs doivent établir leur propre point de vue qui leur soit favorable dans les négociations, dans cette nouvelle économie qui change tous les aspects de la production, et ne pas permettre que le discours frelaté des intérêts privés étroits et de leurs gouvernements fixe les critères pour eux.
Au nom de la sécurité nationale, même la discussion qui remet en question la notion de l'énergie verte et les subventions massives que les gouvernements accordent à ce chapitre n'est pas permise et cela n'est pas acceptable. Les travailleurs du secteur automobile sont confrontés aux mêmes difficultés que tout le monde dans la société et refusent d'accepter qu'on leur dise qu'ils doivent réduire leurs demandes ou qu'ils doivent prier popur ne pas être jetés à la rue à cause de la transition. Les riches et les dirigeants syndicaux en sont parfaitement conscients.
Une demande importante que peuvent faire les travailleurs est que les investissements provenant de l'État doivent bénéficier aux communautés et être dans l'intérêt général de la société. C'est une préoccupation pour des communautés entières et pour la société dans son ensemble. Il faut que tous les secteurs concernés interviennent au sujet de ces investissements et les gens s'impliquent pour exprimer ce dont ils ont besoin et demander que les gouvernements cessent de payer les riches au détriment de leur devoir envers les Canadiens. En dirigeant et en mobilisant des communautés entières pour affirmer les droits de toutes et de tous, les travailleurs prennent l'initiative d'ouvrir la voie au progrès de la société et d'éviter les dangers qui nous guettent à l'heure où le Canada et les États-Unis consacrent de plus en plus de ressources à la production de guerre.
Cet article a été publié dans
Numéro 3
- 16 février 2023
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