Des améliorations concrètes aux conditions de travail sont requises pour rebâtir le réseau

– Entrevue avec Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec –


Manifestation devant l'Assemblée nationale à Québec le 13 décembre 2022

Julie Bouchard est la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). La FIQ et la FIQP (FIQ-Secteur privé) représentent plus de 80 000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques oeuvrant dans les établissements de santé aux quatre coins du Québec.

Forum ouvrier : Lors de leur conseil national extraordinaire négociation les 18 et 19 janvier, les représentantes et les représentants des syndicats affiliés à la FIQ et à la FIQP ont rejeté les offres que le gouvernement a présentées le 15 décembre dernier. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Julie Bouchard : Dans un premier temps, tout ce qui était offre côté monétaire était totalement inacceptable. On parle de 9 % d'augmentation sur cinq ans, ce qui très en dessous de l'inflation. Pour nous, c'est inconcevable comme offre.

Aussi, dans le dépôt patronal il était beaucoup question de forums. Pour nous, les forums c'est quelque chose qu'on a déjà eu pour le renouvellement de la convention collective et ils ne servent malheureusement à rien. Ce sont des séances de discussion pour acheter du temps. Souvent les personnes qui sont à la table n'ont pas de pouvoir décisionnel, et on arrive avec un grand groupe de personnes qui représentent différents types d'empois. C'est difficile d'obtenir un consensus pour que tout le monde se sente bien, pour que cela profite aux membres que nous représentons respectivement. Il semble que cela est fait pour retarder certaines discussions alors que nous, nous avons déjà nos demandes, que ce soit au sujet de la retraite, le salaire, le régime québécois d'assurance parentale, et les autres syndicats ont aussi leurs demandes sur ces sujets. On n'a pas besoin d'être en grand groupe. Pourquoi ne pas se servir de la table de négociation pour passer à travers ces sujets-là ? Il y a aussi un gros recul dans les offres au niveau de la retraite. Le critère actuel de 35 années de service et de 55 ans d'âge pour partir à la retraite avec sa pleine pension est maintenant remplacé par 35 années de service et 57 ans, ce qui fait que les professionnelles en soins vont devoir travailler deux années de plus. Le gouvernement propose aussi de réduire nos revenus provenant de notre régime de retraite, le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP) en raison du fait que le Régime de rentes du Québec a été bonifié récemment.

FO  : Quelles sont les principales revendications de la FIQ pour le renouvellement de la convention collective ?

JB : Les trois grands axes pour lesquels nos 80 000 membres nous ont donné le mandat d'aller négocier avec le gouvernement sont la rémunération, la conciliation vie-personnelle travail et la charge de travail.

Tout d'abord il y a l'enjeu de la rémunération qui est extrêmement important. En ce qui concerne les salaires, nous demandons une augmentation de 4 % par année pour une convention de trois ans, en plus d'un mécanisme annuel permanent d'ajustement du salaire dans la convention collective pour assurer la protection du pouvoir d'achat de nos membres. L'inflation concerne l'ensemble des citoyennes et des citoyens et donc nos membres aussi.

Sur l'enjeu de la conciliation travail-vie personnelle, qui est lui aussi un incontournable, il faut travailler ensemble et trouver des solutions pour permettre aux professionnelles en soins d'avoir une vie de famille même si elles sont requises au travail avec la charge de travail qu'elles ont. Nous voulons par exemple que les horaires de travail soient connus au moins deux semaines à l'avance et qu'ils couvrent au moins trois mois. Ce n'est pas normal que les horaires sortent aux semaines, aux deux semaines ou aux trois semaines. La planification de leurs rendez-vous, quand on ne sait même pas si on travaille ou non, devient une chose encore plus complexe.

Quand on parle de surcharge de travail, évidement qu'on parle beaucoup de la question des ratios professionnelles-patients. Pour nous c'est un moyen de diminuer la charge de travail, et un moyen également d'aller créer de l'attraction et de la rétention dans le réseau. Plus on va aller récupérer des professionnelles en soins et plus on va réussir à en former de nouvelles, plus on va créer un mouvement, aller chercher de l'attraction et retenir celles qui sont déjà dans le réseau. Mais pour cela, il faut de bonnes conditions de travail. Plus on est de personnel sur les départements, plus la charge de travail sera équilibrée, au lieu d'une charge qui comprend beaucoup trop de patients par rapport à ce qui doit exister pour offrir des services de qualité.

Nous avons demandé à ce sujet l'instauration d'une loi de ratios sécuritaires professionnelles-patients. Dans la négociation actuelle, nous incluons la question d'une telle loi. Cela exige de procéder à une fine analyse de chaque centre d'activités. Il faut examiner exactement quelle est la lourdeur de la clientèle pour pouvoir mettre en place le bon nombre de professionnelles en soins pour s'assurer que non seulement les soins sont sécuritaires mais qu'ils sont aussi de qualité et donnés par la bonne personne.

Nous savons très bien que ce n'est pas demain qu'une telle loi peut être adoptée. Elle est de l'ordre du moyen et du long terme. On ne va pas du jour au lendemain se retrouver avec les mêmes ratios dans tout le réseau public. Il s'agit d'un ensemble d'évaluations continues qui doivent être faites et peu à peu on va dégager des ratios qui vont contribuer à créer une forme d'attraction et de rétention.

Nous demandons aussi l'élimination du recours au personnel des agences privées. Nous demandons l'accumulation de journées de vacances additionnelles. Présentement, à partir de 15 ans d'ancienneté, à chaque année on cumule une journée supplémentaire de vacances allant jusqu'à une semaine. Nous demandons des journées additionnelles parce que les besoins de repos sont encore plus présents qu'il étaient et c'est le seul moment pour les professionnelles en soins de pouvoir se reposer autant physiquement que psychologiquement.

Nous demandons aussi l'ajout d'un jour férié pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation pour réclamer justice pour les peuples autochtones. Cela fait partie de la lutte contre le racisme systémique qui selon nous existe au Québec.

Aussi, et cela est une nouveauté, nous mettons de l'avant la revendication que l'ensemble des travailleuses et des travailleurs et leurs syndicats de la santé demandent également, soit l'octroi de 10 jours de congés rémunérés pour les victimes de violence conjugale.

FO : Veux-tu ajouter quelque chose en conclusion ?

JB : Pour nous, c'est la négociation de l'espoir. On a vu depuis beaucoup trop de temps le réseau s'effondrer peu à peu. En 2023, il faut un gros coup de barre, avec des gestes concrets, pour améliorer les conditions de travail.


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Numéro 1 - 7 février 2023

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