Forum ouvrier

Numéro 68 - 11 août 2021

Les urgences d'hôpitaux – l'exemple du Québec

Une attaque frontale contre le droit des travailleurs de prendre la parole
et de s'organiser

Entrevues
Denis Cloutier, président du Syndicat des professionnelles en soins
de l'Est-de-l'Île-de-Montréal

Francis Charbonneau, vice-président, secteur nord, Syndicat des professionnelles en soin des Laurentides
Karine d'Auteuil, présidente par intérim du Syndicat des professionnelles
en soins de l'Outaouais


Journée d'action provinciale des infirmières de l'Alberta
Une ferme résistance à la destruction des soins de santé par le gouvernement - Peggy Morton


Les urgences d'hôpitaux – l'exemple du Québec

Une attaque frontale contre le droit des travailleurs
de prendre la parole et de s'organiser

Une crise aiguë fait rage dans les salles d'urgence des hôpitaux. Les entrevues qui suivent se concentrent sur la situation au Québec, mais une situation similaire existe à l'échelle du Canada. Le signe le plus visible de la crise est le manque de personnel requis pour veiller sur les patients de l'urgence. Les patients s'accumulent à l'urgence, quittent sans avoir été traités, et les compressions et fermetures dans les unités de soins sont si grandes qu'ils ne peuvent pas être envoyés à l'unité de soins appropriée de l'hôpital et doivent demeurer dans les salles d'urgence. La situation est devenue si critique dans l'Outaouais que l'urgence de l'hôpital de Gatineau a été entièrement fermée pendant plusieurs jours à la fin du mois de juin et les patients en besoin de soins d'urgence ont dû être détournés vers les salles d'urgence d'autres hôpitaux de la région. L'urgence a été rouverte en juillet, offrant d'abord des services pour certaines consultations d'urgence seulement, et elle est maintenant ouverte à tous seulement de 8 heures à 18 heures chaque jour.

Le manque de personnel infirmier et d'autre personnel est le résultat de plus de 30 ans d'offensive antisociale néolibérale des riches et des gouvernements contre le système de santé. La crise s'est aggravée dans le contexte de la pandémie par l'utilisation systématique de pouvoirs arbitraires comme les arrêtés ministériels qui se sont attaqués à la dignité et aux droits et à la santé physique et mentale de ceux et celles qui nous soignent et nous protègent. Ces mesures les ont conduits à la maladie et à des démissions par milliers. Les infirmières disent clairement que cette utilisation de pouvoirs arbitraires de l'État et des administrations contre elles est une des premières causes, sinon la première, qui expliquent la perte de personnel et son non-remplacement. Le facteur humain est considéré comme un coût à réduire et les êtres humains comme des fauteurs de troubles à réprimer, comme des voix à faire taire, ce qui aggrave la crise. Tous les efforts sont faits pour imposer la loi du silence dans les établissements de santé pour empêcher les travailleurs et les travailleuses de la santé de parler de ces conditions.

Plus récemment, on a vu de nombreux employeurs, inspirés par la gouvernance par décret du gouvernement, prendre des recours légaux contre des infirmières ayant fait des sit-in pour signifier qu'elles étaient à bout, et que demeurer au travail pour plus d'heures mettait en danger leur santé et celle des patients. Ils ont traité l'action des infirmières dans le cadre étroit de ce que permettent ou non les conventions collectives (les mêmes conventions collectives que le gouvernement a déclarées nulles et non avenues), et nié que les infirmières exercent leur droit de conscience et de prendre la parole dans des conditions de danger pour elles-mêmes et leurs patients. Pendant ce temps, les avenues de dialogue, de négociation et de consultations sont détruites. Les actions des infirmières créent des formes nouvelles par lesquelles ceux et celles qui font le travail affirment leurs droits dans les conditions d'aujourd'hui. Elles ont le droit humain de s'exprimer au sujet des conditions de travail qui sont requises, pour elles et pour la population. Elles en ont le devoir aussi en tant que professionnelles qui ont un engagement envers le bien-être du peuple. Elles le font courageusement et méritent notre appui.

Forum ouvrier salue fièrement les infirmières et les infirmiers des urgences qui jouent un rôle de premier plan pour prendre la parole et proposer des solutions afin de résoudre cette crise d'une façon qui bénéficie au peuple. Nous publions dans ce numéro trois entrevues avec des représentants de syndicats d'infirmières.

(Photos : FIQ)

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Entrevues

Denis Cloutier, président du Syndicat des professionnelles en soins de l'Est-de-l'Île-de-Montréal

La crise dans les urgences est très réelle. Elle est directement liée au manque de personnel infirmier dans les urgences.

À cause de la pénurie et du travail continuel dans une situation d'un manque d'effectifs, le travail infirmier dans le milieu hospitalier, et c'est encore plus vrai dans les urgences, cause de plus en plus d'inconvénients sérieux dans le travail des infirmières. Le plus connu est le recours au temps supplémentaire obligatoire qui a poussé plein de personnes à aller travailler ailleurs, pour d'autres employeurs où cela va moins mal au niveau de la pénurie. Il manque des infirmières partout. Il y a eu une fuite aussi vers le privé dans les dernières années, également avec la COVID. Il manque de personnel et les conditions sont très mauvaises.

Pendant que nous travaillions avec la COVID parmi nous, toutes les infirmières du réseau faisaient face à des contraintes, des quarts de travail déplacés, le travail à temps complet imposé, le temps supplémentaire imposé, etc. Pendant ce temps, les infirmières du privé n'avaient pas ces contraintes-là. On s'est donc retrouvé avec des situations qui étaient encore pires cette année. À cause de ces contraintes, cela devient très difficile de recruter de nouvelles infirmières ou de convaincre les infirmières à l'interne d'aller travailler à l'urgence par exemple. Un des facteurs principaux qui fait que tant d'infirmières ont quitté est l'arrêté ministériel 007 du gouvernement du Québec. Cet arrêté, qui a été en vigueur de mars 2020 à il y a environ un mois, pendant près d'un an et demi, permettait de déroger aux conventions collectives, de déplacer les infirmières au bon vouloir des employeurs, d'augmenter leur charge de travail, alors que les infirmières qui venaient du privé n'étaient pas soumises à cet arrêté.

Il a existé un équilibre historique dans le passé avec les agences privées qui a été défait. Les infirmières d'agences étaient peu nombreuses, elles étaient mieux payées que celles du secteur public, mais elles étaient envoyées là où personne ne voulait aller. Cependant, en temps de pénurie, pour les attirer, les CISSS et les CIUSSS leur donnent des conditions extrêmement supérieures à celles des infirmières du secteur public.

Les inconvénients de travailler en sous-effectifs, de se voir imposer du temps supplémentaire, deviennent beaucoup trop récurrents dans leur travail ce qui en pousse de plus en plus à quitter. Le travail supplémentaire obligatoire était déjà un outil de gestion avant la pandémie, il l'est devenu encore plus pendant la pandémie et il l'est encore alors que la pandémie tend à se résorber. Il y a aussi les retards accumulés au niveau des chirurgies, des soins médicaux, etc. On ne soigne pas que la COVID.

Le ministère doit s'en mêler et compenser les inconvénients subis par ces infirmières. On pourrait instaurer une compensation du travail supplémentaire obligatoire par des journées de congé. Le ministère ne reconnaît pas qu'il s'agit de travail forcé. Il agit comme si les infirmières acceptent volontairement le travail supplémentaire obligatoire alors il ne pose pas le problème d'une compensation. Beaucoup d'infirmières voudraient travailler à l'urgence si on leur offrait des postes stables, un horaire de travail sans temps supplémentaire obligatoire. Cette façon de gérer est inacceptable. Cela rend la profession d'infirmière globalement de moins en moins intéressante pour le futur. C'est un défi. Les plus grands inconvénients se retrouvent dans les urgences et c'est pourquoi ce sont les endroits que les gens quittent en premier.

Le temps supplémentaire obligatoire n'est pas quelque chose qui est négocié avec le syndicat. Il est une obligation professionnelle reliée au Code de déontologie de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec qui est utilisé à outrance. Ce n'est pas un syndicat qui permet à un patron de retenir un employé contre son gré. On ne signerait jamais cela. On pense qu'il faut que le gouvernement cesse de parler de cela comme quelque chose d'exceptionnel. À Maisonneuve-Rosemont, l'employeur y a eu recours 52 fois dans la même fin de semaine, il y a quelques semaines. On a tenté de les compenser par le passé avec des primes pour travailler à l'urgence, mais il y a une limite. Quand tu voles du temps à des gens, cela devient inhumain. Un emploi à temps plein veut dire être gardé de force deux ou trois fois pendant la semaine. Cela devient insoutenable.

Je ne crois pas aux agences privées de placement dans le réseau public. Je ne crois pas à cette cohabitation-là. Les employeurs disent que les agences privées viennent nous aider. Cela ne nous aide pas. S'il n'y avait pas d'agences privées de placement, toutes les infirmières travailleraient dans le réseau public. Il faut favoriser le collectif, le collectif en tant qu'ensemble d'employés, et le collectif en tant que citoyens du Québec pour avoir un réseau public égal partout. Je ne vois pas de place pour le privé là-dedans.

Un autre problème est la concurrence qui existe entre les hôpitaux. Les hôpitaux s'arrachent le personnel, s'arrachent les mêmes infirmières. La concurrence est difficile. Moi je représente l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et l'Hôpital Santa Cabrini. C'est difficile d'être en concurrence avec le CHUM, qui est flambant neuf et qui est sur la ligne du métro. Pourquoi une infirmière irait-elle travailler dans un hôpital qui est plus désuet si elle va subir toutes sortes d'inconvénients ? Les employeurs sont en compétition les uns avec les autres et ceux qui sont favorisés ayant des édifices flambants neufs, ou géographiquement, vont toujours recruter alors que d'autres manquent systématiquement de main-d'oeuvre.

Est-ce qu'on va accepter qu'il y ait des soins de santé à ce point inéquitables d'une région à l'autre ou d'un établissement à l'autre ? Le ministère n'a jamais voulu s'occuper de ce problème. Le ministère doit coordonner tout cela. Au niveau de l'embauche, le ministère pourrait coordonner une meilleure répartition de la main-d'oeuvre. Beaucoup de choses seraient possibles, mais le ministère ne se mêle de rien. Il se lave les mains de toute imputabilité.

(Photos : FIQ)

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Francis Charbonneau, vice-président, secteur nord, Syndicat des professionnelles en soin des Laurentides

Il y a de multiples facteurs qui expliquent la crise des urgences. Beaucoup de gens ont quitté à cause de l'arrêté ministériel, l'obligation de travailler à temps complet, l'obligation de faire des douze heures, alors que souvent il y avait très peu de cas de COVID hospitalisés. La région des Laurentides est très grande, certains endroits se comparaient à Montréal en fait de cas de COVID, mais si on monte au nord, il y avait des endroits où il n'y avait aucun cas de COVID et pourtant on appliquait le décret mur à mur. Cela devenait la solution la plus facile de l'employeur de gérer le manque de personnel, au lieu de trouver les façons de garder le personnel en place avec des conditions de travail adéquates. L'employeur a abusé de l'arrêté ministériel et a forcé les gens à travailler un plus grand nombre d'heures que ce qu'ils sont aptes à faire, ce qui fait que cela a épuisé beaucoup de gens. Les gens ont quitté en maladie, soit sur l'assurance-salaire ou la CNESST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail). Plusieurs personnes quittent les urgences pour aller vers d'autres milieux qui sont peut-être moins en manque de personnel. Les autres milieux peuvent être dans le même établissement, par exemple vers le soutien à domicile qui a un horaire du lundi au vendredi de jour, et peut-être une fin de semaine de travail sur six. Il y en a qui vont vers les agences privées de placement, ou qui quittent complètement le réseau de la santé.

Pour les patients, l'urgence est la porte d'entrée du système. Après qu'on est rentré à l'urgence, si l'on doit être admis à l'höpital, on doit être relocalisé, peut-être dans une autre unité de médecine. Pour cela, il faut que les unités de médecine soient capables de recevoir les patients. Le même phénomène s'est passé dans des unités de médecine avec l'utilisation abusive des arrêtés ministériels, alors on y manque beaucoup de personnel, on réduit le nombre de lits, on ferme des lits, alors les patients demeurent à l'urgence. Cela crée une grande surcharge de travail.

Nous vivons une telle situation à plusieurs endroits dans les Laurentides en ce moment. À Mont-Laurier, la situation de médecine et chirurgie est difficile. À Saint-Eustache, on a fermé la moitié des lits de soins intensifs, donc les patients qui sont plus instables et qui nécessitent des soins plus lourds, au lieu d'aller vers les soins intensifs de Saint-Eustache, doivent s'en aller vers les soins intensifs de Saint-Jérôme. Cependant, à Saint-Jérôme, on a aussi un manque de personnel et on a diminué le nombre de lits là aussi, on est aux deux-tiers de la capacité. Cela fait deux urgences qui ne peuvent plus envoyer des cas instables vers les soins intensifs parce qu'ils sont pleins.

Il y a quelques semaines, les infirmières de l'urgence et des soins intensifs à l'hôpital de Mont-Laurier ont fait un sit-in. Dans cet hôpital, de nuit on a besoin d'environ six infirmières pour couvrir l'urgence et les soins intensifs. Actuellement on en a une ou deux. Les infirmières de soir, tous les jours, devaient faire du temps supplémentaire obligatoire et rester sur le quart de nuit pour offrir les soins. Après avoir parlé à l'employeur à plusieurs reprises, demandé que des solutions soient mises en place et n'ayant pas été écoutées, le seul moyen qu'elles ont trouvé c'est de ne pas rentrer sur leur quart de travail le soir. Pour pouvoir dénoncer le fait qu'elles sont épuisées, qu'elles n'en peuvent plus de devoir rester tous les jours. Ce sont leurs collègues de jour qui cette fois-là ont dû rester pour les remplacer.

La première chose que l'employeur a faite a été de convoquer le Tribunal administratif du travail pour museler les infirmières et les obliger à rentrer travailler et à ne plus faire ce genre d'actions. L'employeur a utilisé la voie juridique au lieu de s'asseoir avec nous pour voir comment trouver du personnel et s'assurer que d'autres sit-in n'aient pas lieu dans les Laurentides. Il avait peur que les gens révèlent au grand jour à quel point cela va mal partout. En même temps, il a déclaré sur la place publique que sa stratégie numéro un était d'être en recherche de solutions avec le syndicat. En fait, il ne nous a jamais rencontré dans le dossier de l'urgence à Mont-Laurier, n'a jamais voulu mettre des solutions en place. Il est allé tout de suite vers le recours juridique. Ce n'est pas une solution.

Nous avons soumis des pistes de solutions à l'employeur depuis le mois de mars, mais il ne nous écoute pas.

Une des pistes de solution c'est de prendre les postes de travail qui ne sont pas attractifs, parce qu'ils sont instables, et les stabiliser pour que les gens les prennent. Ce sont des postes en rotation où les gens doivent travailler sur deux quarts de travail, de jour, de soir, de nuit. Ils ne fonctionnent pas et ce sont souvent ces postes qui demeurent vacants dans les unités. Au lieu de les stabiliser, l'employeur a pris tous les postes qui étaient stables et vacants et les a transformés en postes en rotation.

Il faut rehausser les postes à temps complet, transformer les postes à temps partiel en des postes à temps complet qui sont stables, au lieu d'avoir des postes à temps partiel et de compléter vos heures de jour, de soir, de nuit, ne pas savoir quand vous allez travailler, être appelés à la dernière minute. C'est difficile pour les familles de s'organiser.

Le gouvernement a mené des actions qui ont jeté de l'huile sur le feu. Par exemple, le gouvernement a donné des montants incitatifs pour la COVID, mais il les a assortis de tellement de clauses restrictives que cela a créé des problématiques très sérieuses. À titre d'exemple, le gouvernement a établi un montant de 1000 $ par mois que vous pouviez recevoir au total, mais vous deviez travailler à temps complet, ne jamais être malade, ne jamais vous absenter pour aucune raison outre vos vacances et vos fériés. Cela a fait en sorte que des gens se sont épuisés pour obtenir ce montant et ont travaillé malades. Le montant a été arrêté début juillet et on a vu les gens commencer à s'absenter du travail encore plus tant ils étaient épuisés.

Maintenant, compte tenu de la crise dans des secteurs comme les urgences, les unités de médecine et chirurgie et les unités des naissances, le gouvernement a ramené la prime de 1000 $, mais juste dans ces unités-là. Alors les autres unités ne comprennent pas pourquoi elles sont exclues, alors qu'elles aussi sont dans un état de souffrance, alors cela crée beaucoup d'insatisfaction entre les unités. Le gouvernement ne reconnaît pas le travail qui est fait par tout le monde.

Les professionnelles en soin continuent de travailler très activement pour offrir des soins à la population. Cela nous fait mal quand nous devons faire des actions comme les sit-in, on sait que cela dérange les soins à la population. Mais nous n'avons pas le choix de le faire pour avoir des conditions de travail qui vont attirer de nouvelles personnes dans la profession et être en mesure de garder un réseau de santé public et non pas avoir un réseau de santé privé comme nos voisins américains.

(Photo: FIQ)

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Karine d'Auteuil, présidente par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de l'Outaouais

Les travailleurs et travailleuses de la santé de Gatineau protestent contre leurs conditions de travail intenables, le 15 juillet 2021.

Présentement, on vit une crise comme on n'en a jamais vécu. On a dû fermer l'urgence de l'hôpital de Gatineau à cause principalement d'un manque d'expertise, un manque d'infirmières avec de l'expérience à l'urgence, qui ont de l'expertise à faire du choc et du triage. Une infirmière novice qui arrive à l'urgence ne peut pas aller à la salle de choc et ne peut pas faire du triage. À l'hôpital de Gatineau, c'est cela qui a causé le problème et on a connu un bris de service. Nous n'avons pas assez d'expertise pour pouvoir donner des soins sécuritaires à la population. C'est pour cela qu'il y a eu une fermeture de l'urgence. Présentement, nous en sommes à une réouverture partielle de 8 heures à 18 heures, pour donner un souffle également aux autres urgences de l'Outaouais, éviter que la situation perdure et que les autres urgences s'épuisent également.

On parle beaucoup des urgences, parce que cela fait souvent les médias, mais en Outaouais on vit aussi une pénurie dangereuse de personnel sur les unités de soins. Par exemple, à l'Hôpital de Gatineau, nous avons moins de 45 % des postes comblés sur les unités de soins. À l'hôpital de Papineau également, on a fermé une unité de soins parce qu'il y avait un trop grand manque de personnel. Dans les unités de soins non plus, on ne peut plus donner un service à 100 % avec les effectifs présents.

C'est certain que le sous-financement de l'Outaouais, qu'on vit depuis des années, nous a beaucoup nui. En plus, nous sommes juste à côté de l'Ontario, alors c'est facile pour une professionnelle en soins de traverser le pont pour obtenir un meilleur salaire et des conditions de travail qui sont meilleures que les nôtres.

Le ministre de la Santé Christian Dubé veut continuer à ignorer la prime frontalière, alors on va juste continuer d'être acculés au mur. La prime frontalière a pour but d'être compétitif avec l'Ontario. Une infirmière qui décide de venir travailler en Outaouais devrait recevoir une prime frontalière. Dans la région, les primes de soir et de nuit sont déjà bonifiées pour que nous gardions nos infirmières mais cela ne suffit plus. Nous réclamons que le ministre Dubé instaure une prime frontalière. Il n'y a pas longtemps, l'Hôpital Montfort à Ottawa a offert une prime de 10 000 $ pour travailler un an à temps complet à Montfort. Comment ici au CISSSO (Centre intégré de santé et des services sociaux de l'Outaouais) peut-on faire concurrence avec cela ?

Cela fait longtemps qu'on le dit et c'est pour cela que nous avons une enveloppe budgétaire de statut particulier dû au fait que nous sommes à côté de l'Ontario. Il faut réviser cette enveloppe et il faut aussi l'utiliser à bon escient, et non pas pour pallier au sous-financement des soins de santé de l'Outaouais.

Il y a eu une étude en 2015 qui démontrait clairement le sous-financement qu'on vit en Outaouais par rapport à nos besoins en santé. Avec le taux de population que nous avons en Outaouais, on devrait avoir un budget de la santé qui est supérieur à ce qu'il est présentement. Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe a dit que sa priorité est le système de santé, mais trois ans plus tard il n'a rien fait pour résoudre le problème de la pénurie de personnel. Le système de santé est pire qu'au début de son mandat. La pénurie s'est encore aggravée.

On n'est pas face à la pénurie habituelle qu'on vit depuis des années. On vit une pénurie dangereuse où les soins sont mis en péril. On n'a pas le financement nécessaire pour créer des postes et des conditions de travail attractifs et assurer la rétention du personnel en soins en Outaouais. La pandémie est venue affaiblir beaucoup la rétention. On ne peut pas remonter un système de santé sans y faire des investissements. Le ministre de la Santé fait juste déplacer le problème en fermant des lits ici et là, cela ne règle pas le problème.

Nous continuons de marteler que nous sommes sous-financés et que le gouvernement doit faire des gestes concrets. L'augmentation du financement des soins de santé en Outaouais est au coeur du problème de remonter la pente et d'assurer des soins de santé adéquats à la population.

Il a quelques semaines, en point de presse, le ministre Dubé a présenté trois solutions aux problèmes des urgences. Il a mentionné la réorientation vers les Groupes de médecine familiale (GMF). En ce qui concerne la réorientation, on s'est énormément amélioré dans l'Outaouais. On est parti de 5 à 10 % de réorientation dans les urgences vers les GMF, à environ 20 à 30 % des patients. On a mis en place une très bonne équipe pour faire le pont avec les GMF, les cliniques de médecins de famille, tout cela est déjà instauré en Outaouais. Ce n'est pas cela qui va nous aider à diminuer la pénurie de personnel. Même si le taux d'occupation diminue, la structure de base des postes n'est pas comblée. À l'unité de soin 7e Nord, à l'hôpital de Gatineau, j'ai 9 postes d'infirmières de comblés sur 29 postes. Ce n'est pas en enlevant des patients que cela va être comblé. Les deux autres pistes mises de l'avant par le ministre sont que les bureaux des médecins de famille soient ouverts pendant plus d'heures, ce qui est déjà fait, et que les médecins de famille prennent davantage de patients, notamment qui ont des symptômes de COVID. Ces trois pistes de solutions ne viendront pas pallier à la pénurie qui sévit sur les unités de soins et à l'urgence. Ce n'est pas la place pour les patients qui manque. Ce sont des professionnelles en soins qui manquent.

Nous avons besoin de départements stables, de postes stables, sur des quarts de travail stables. On a besoin d'outils pour cela, et cela passe par le financement.

Aussi, l'employeur maintenant nous amène devant le Tribunal administratif du travail lorsque nous faisons un refus de travail lorsque nos conditions deviennent totalement non sécuritaires. Il dit qu'un refus de travail est une infraction à notre convention collective. Mais au-delà de la convention collective, il y a le code de déontologie selon lequel, en tant que professionnelle en soins, je ne veux pas mettre mon patient en danger, mais pas ma licence non plus. Si mon jugement clinique me dit qu'être seule pour 27 patients c'est trop, c'est mettre les soins en péril, c'est mon devoir de le dire et de refuser de prendre le poste qui constitue un danger imminent. Nous sommes régies par notre code de déontologie avant tout, et par notre conscience également.

Le gouvernement ne comprend pas cela. Selon lui on est là juste pour faire les pions. Nous ne sommes pas des pions, nous sommes des professionnelles en soin, et nous avons le devoir envers nos patients d'être sécuritaires avant tout.

(Photo: FIQ)

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Journée d'action provinciale des infirmières de l'Alberta

Une ferme résistance à la destruction des soins
de santé par le gouvernement

HEURES ET ENDROITS DE PIQUETAGE

Les Infirmières unies de l'Alberta (IUA) organisent une journée d'action provinciale le 11 août, dont le mot d'ordre est : Aller de l'avant et non reculer ! D'autres se joindront à l'IUA, dont les travailleurs de la santé représentés par le Syndicat des employés provinciaux de l'Alberta (AUPE) et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

« Je pense que vous trouveriez difficilement un Albertain qui ne respecte pas le travail que les infirmières et les travailleurs de la santé ont accompli pendant la pandémie, et en tout temps. Nous voulons que le public sache à quel point le gouvernement du PCU nous manque de respect », a dit le deuxième vice-président de l'IUA, Cam Westhead, le 26 juillet, lors d'un piquetage d'information à l'hôpital Sturgeon à St-Albert.

« On nous dit que c'est nous, les héros des premières lignes, qui devons payer pour les mauvaises politiques et la dette du gouvernement, comme si nous n'avions pas assez payé en étant éloignés de nos familles, en craignant de contracter la COVID et de la propager pendant les premiers mois, et en épuisement moral et professionnel », a dit la présidente de la section locale 85 de l'IUA, Orissa Shima, à CTV News Edmonton. « Que vaut un remerciement lorsque vous nous dites que notre valeur est moindre ? », a-t-elle demandé. « C'est un affront, c'est un coup de poing au ventre, après tout ce que nous avons vécu et donné pendant cette pandémie », a dit Orissa Shima.

« Nous devons recruter et retenir les infirmières et vous n'y parviendrez pas en nous disant que nous valons moins. Nous devons reconnaître qu'il y a une pénurie. Nous avons besoin de plus d'infirmières, pas de moins d'infirmières, et nous ne pouvons pas nous permettre de pousser les infirmières à quitter la province », a-t-elle ajouté.

L'IUA est retourné à la « table de négociation » après une pause de 16 mois, pour faire face à des employeurs qui avaient reçu l'ordre du gouvernement d'intensifier leurs attaques contre les infirmières autorisées et contre les autres travailleurs de la santé.

Les infirmières de l'Alberta tiennent tête, rejetant les exigences insultantes et entièrement inacceptables des Services de santé de l'Alberta et d'autres employeurs qui exigent une baisse de salaire de 3 %, l'abandon du montant forfaitaire de 2 % et des centaines d'autres reculs à leurs salaires et conditions de travail obtenus au cours de 44 ans depuis que l'IUA s'est constitué en syndicat.

Le gouvernement du PCU fait à peu près les mêmes propositions à l'AUPE. Le comité de négociation des services de soutien généraux du syndicat dit : « Une baisse de salaire de 4 % serait dévastatrice pour nous et nos familles. Plusieurs d'entre nous travaillent déjà à plusieurs emplois pour joindre les deux bouts, et certains d'entre nous sont des parents seuls. Nous ne pouvons pas accepter des reculs salariaux comme ceux-là, surtout si nous tenons compte de l'augmentation de la charge de travail et du stress dus à la pandémie. Avant que les négociations soient mises en pause en raison de la pandémie, les Services de santé avaient proposé une baisse de salaire de 1 %. Les Services de santé sont-ils en train de dire que nous valons moins depuis le commencement de la pandémie ? »

Tous ces changements sont menés par le gouvernement Kenney. En vertu de dispositions de la Loi 21, Loi de 2019 sur les employeurs du secteur public, le ministre du Travail peut donner des directives confidentielles qu'un employeur recevant du financement du gouvernement provincial doit respecter lorsqu'il « participe à une négociation collective ou à tout processus connexe ». L'employeur ne peut pas divulguer la directive à un tiers parti sans le consentement préalable du ministre, y compris au syndicat avec qui il est censé participer à des « négociations de bonne foi ». Ces directives secrètes peuvent déterminer la durée d'une convention collective et les « limites financières ». Le gouvernement Kenney n'est pas engagé dans des « négociations », mais cherche à détruire la convention collective par laquelle les infirmières ont fixé leurs salaires, leurs avantages sociaux et leurs conditions de travail actuels.

Les infirmières et les travailleurs de la santé partout au Canada prennent la parole sur leurs conditions de travail intenables. Le surmenage et l'épuisement professionnel sont à la hausse, mais en dépit d'une pénurie flagrante d'infirmières et des difficultés à les retenir, le gouvernement Kenney a annoncé son intention de faire des coupures équivalentes à 750 infirmières à temps plein, et d'avoir recours à la sous-traitance pour 11 000 emplois en services alimentaires, d'entretien et de buanderie. Les urgences et d'autres services cruciaux en Alberta ont fermé des lits au cours des dernières semaines par manque de personnel.

Les gouvernements néolibéraux prétendent tous que les travailleurs des soins de santé et des services publics drainent l'économie. Ils refusent de reconnaître l'immense valeur qu'ils créent et exigent que la réclamation des travailleurs à la valeur qu'ils produisent soit réduite. Les infirmières de l'Alberta ont défendu avec militantisme leur droit de décider de salaires, d'avantages sociaux et de conditions de travail qui leur sont acceptables, et n'accepteront pas des salaires et des conditions de travail qui mettent en danger les soins aux patients, chassent les infirmières de la profession et insultent leur dignité. En agissant ainsi, elles ont toujours reçu l'appui des Albertains.

Forum ouvrier appelle les travailleurs de la santé et les citoyens préoccupés par la situation à tout mettre en oeuvre pour appuyer les infirmières et les travailleurs de la santé. Participez à un piquetage le 11 août. Ne permettons pas au gouvernement Kenney d'intensifier sa destruction de la santé publique et son mépris brutal des droits et du bien-être des personnes qui dispensent ces soins et services.

(Photos : FO, IUA)

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