La situation des travailleurs de
la santé de la Colombie-Britannique
Entrevue
Il faut trouver une solution au problème de la pénurie de main-d'oeuvre en soins de santé
- Rhonda Bruce -
Rhonda Bruce est assistante en réadaptation
et vice-présidente régionale du Syndicat des
employés et employées d'hôpitaux de l'intérieur
de la Colombie-Britannique
Forum ouvrier : Peux-tu nous
dire quelle est la situation présentement des
travailleurs de la santé et des résidents des
soins de longue durée dans l'intérieur de la
Colombie-Britannique ?
Rhonda Bruce : Je
travaille dans une résidence de soins de longue
durée. La COVID-19 et les mesures de santé
publique qui ont été prises pour gérer la pandémie
ont rendu la vie des travailleurs et des résidents
très difficile. Les résidents ont été isolés et
privés d'importants contacts sociaux et les
travailleurs sont surchargés et épuisés. Nous
manquions de personnel avant la pandémie et la
situation n'a pas changé. Nous n'avons jamais le
personnel requis. Récemment, notre syndicat a mené
un sondage qui montre que 12 000 membres
du syndicat —- ce qui comprend les employés de
bureau, les préposés aux services alimentaires,
d'entretien ménager et d'entretien général ainsi
que les aides-soignants, les préposés aux
activités ainsi que les autres membres de l'équipe
infirmière comme moi - songeons à quitter nos
emplois parce que le stress devient impossible à
supporter.
Suite aux ordres de la santé publique imposant un
site unique l'an dernier, qui exigeait que les
travailleurs travaillent dans une seule résidence
de soins de longue durée, le gouvernement a
entrepris des actions pour former de nouveaux
aides-soignants pour pallier à la pénurie. Il a
créé le Programme d'accès à une carrière en santé
qui offrait une formation rapide financée par le
gouvernement. Parce que plusieurs des travailleurs
qui ont participé au programme avaient déjà un
poste en santé, surtout en entretien ménager et en
services alimentaires, l'augmentation des
travailleurs ne suffira pas. Si des milliers
d'entre eux quittent le système, il pourrait n'y
avoir aucune augmentation. En plus, ce programme
ne cherche à régler que la pénurie en
aides-soignants et non la pénurie de travailleurs
dans tout le système.
Les ordres de la santé publique pour le port de
masques et la distanciation sociale ont été
changés le 1er juillet en
Colombie-Britannique, faisant en sorte que les
travailleurs vaccinés n'avaient plus à porter le
masque mais cela a été de courte durée dans
l'intérieur en raison d'une augmentation de cas et
maintenant nous sommes de retour au port de
masques et à la distanciation sociale et tous les
autres protocoles de la COVID-19. Les résidents
peuvent maintenant recevoir la visite des membres
de leur famille, donc leur isolation sociale est
moins sérieuse.
FO : Quel est l'impact des
feux de forêts qui ont dévasté la
Colombie-Britannique cet été ?
RB : Nous étions déjà au bout
de notre rouleau à cause de la COVID-19 lorsque
les feux de forêts ont frappé, ce qui a ajouté un
stress de plus sur le système. Certaines
résidences pour aînés ont été évacuées et les
résidents ont été déménagés vers d'autres
résidences de la région ou aussi loin que la
région de Vancouver. Certains résidents ont dû
déménager plus d'une fois et lorsqu'ils ont
déménagé, certains travailleurs les ont
accompagnés mais le bouleversement de leurs
routines et de leur environnement a été à
l'origine de plusieurs difficultés. Les familles
n'étaient pas toujours informées. Un aide-soignant
a été évacué avec neuf résidents de leur résidence
à une résidence dans une autre communauté et en
l'espace de quelques jours les résidents ont fait
de sérieuses chutes. Dans certains cas, il n'y
avait pas d'hébergement de disponible dans les
hôtels pour le personnel qui a dû se débrouiller
en se faisant des installations de fortune dans
les résidences de soins.
Les hôpitaux ont transféré certains de leurs
patients dans des résidences de soins de longue
durée pour libérer des lits face à la croissance
de cas de COVID-19 et du nombre de patients
affectés par les feux de forêts, ce qui nous
ajoute encore plus de pression en soins de longue
durée. Plusieurs résidences de soins de longue
durée ont été obligées d'arrêter d'accepter de
nouveaux résidents pour le moment.
Un grand nombre de travailleurs ont été évacués
de leurs maisons. Ma famille a été évacuée pour
au-delà de quatre semaines. Certains travailleurs
ont dû se rendre à de grandes distances de chez
eux et sont par conséquent en congé de leur
travail. Lorsque vous êtes évacués et que vous
avez besoin d'un hôtel, cela peut être difficile
parce que tous les hôtels sont déjà bondés de
touristes et de personnes évacuées provenant
d'autres régions. Vous pouvez vous retrouver très
loin de chez vous. Le fait d'être évacué ajoute un
autre niveau de stress et la démarche pour obtenir
de l'aide fournie par la Croix Rouge est lourde —-
on m'a dit que je devais me rendre en auto à une
ville à trois milles de distance pour montrer mes
papiers d'identification afin d'obtenir de l'aide
financière. Ce n'est pas tout le monde qui peut
faire ça.
FO : À quoi ressemble le futur
immédiat ?
RB : Je suis très
inquiète de ce qui va arriver à l'automne. Avec la
quatrième vague et les cas de COVID-19 à la hausse
et une pénurie de personnel qui était importante
même avant tout ceci et qui devient maintenant
intenable, je ne sais pas comment nous allons
pouvoir tenir le coup. L'employeur songe à passer
aux « services essentiels ». Les « services
essentiels » sont appliqués en temps de
grève, alors que le syndicat et l'employeur
négocient une entente sur combien de travailleurs
doivent rester au travail, mais aussi quelles
affectations seront confiées au personnel non
syndiqué, y compris le PDG en passant par
l'aumônier, qui se trouvent à travailler dans
différents départements, y compris la cuisine,
l'entretien ménager, etc. Dans la situation
actuelle, ce serait une façon de permettre à la
direction de nous donner un coup de main, mais ce
n'est pas vraiment une solution puisque tous ces
membres de l'équipe de direction ont aussi leur
travail à faire.
Ce qui m'inquiète vraiment en ce moment est la
politique de vaccination obligatoire. Tous les
travailleurs en soins de longue durée ont
jusqu'au 12 octobre pour être entièrement
vaccinés ou ils seront congédiés. J'estime
qu'entre 10 et 15 % de mes
collègues de travail ne se feront pas vacciner. En
ce qui concerne les vaccins annuels pour la
grippe, des options sont offertes aux travailleurs
qui n'ont pas été vaccinés contre la grippe —- le
port du masque en est une et souvent, s'il y a
éclosion, les travailleurs non vaccinés sont
envoyés chez eux sans salaire jusqu'à la fin de
l'éclosion. Maintenant c'est différent.
Honnêtement, je ne sais pas comment le système va
continuer de fonctionner si nous perdons
de 10 à 15 % de nos travailleurs.
Qu'arrivera-t-il lorsque cette bombe-là va
éclater ?
FO : Aimerais-tu dire
quelque-chose pour conclure ?
RB : Une des choses très
positives est que la communauté a été extrêmement
solidaire. Les gens offrent d'héberger des évacués
chez eux, offrent des espaces pour des véhicules
récréatifs, et d'autres choses du genre. Lorsque
mon père a été évacué de sa résidence pour aînés
à 100 Mile House vers une autre résidence
pour ensuite se retrouver à l'hôpital à la suite
d'une chute, l'aide-soignante qui avait voyagé
avec lui et avec les autres résidents lui avait
apporté du linge appartenant à son conjoint parce
qu'il lui en manquait. Les gens font tout ce
qu'ils peuvent pour s'entraider.
(FO, Unifor)
Cet article est paru dans
Numéro 77 - 1er septembre 2021
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