Entrevue
Le sérieux problème de la migration des travailleurs hors du Nouveau-Brunswick
- Daniel Légère -
Daniel Légère est le président de la
Fédération des travailleurs et travailleuses du
Nouveau-Brunswick
Forum ouvrier : La migration
des travailleurs à l'extérieur de la province est
un problème de longue date au Nouveau-Brunswick.
Tu en as souvent parlé. Quel est ton point de vue
sur la façon dont le problème se pose ?
Daniel Légère : Au
Nouveau-Brunswick, nous avons assisté à la
fermeture de grandes industries, de mines, de
papeteries et de scieries. Ces industries
employaient un grand nombre de travailleurs
hautement qualifiés, des gens de métier. Lorsque
les industries ont fermé, il n'y avait plus rien
au Nouveau-Brunswick qui leur offrait un salaire
comparable. Il y a deux ans, nous avons eu le
lockout des travailleurs de la fonderie de
Belledune par Glencore. Un certain nombre de ces
travailleurs n'étaient pas sur les lignes de
piquetage. Ils étaient partis dans l'Ouest. Ils
devaient payer leurs factures. Au cours du
lockout, Glencore a fermé la fonderie pour de bon,
ce qui a également contribué à la migration vers
l'Ouest.
C'est bien connu, le Nouveau-Brunswick se
caractérise par son économie à bas salaires. Le
gouvernement et les entreprises font tout en leur
pouvoir pour maintenir les salaires aussi bas que
possible afin d'attirer les entreprises avec la
promesse de profits maximums. Nous sommes
maintenant dans une situation où, pour de nombreux
travailleurs, le plan de retraite sera une
déclaration de faillite personnelle. Les
travailleurs gagnent de moins en moins d'argent.
Chaque année, ils prennent de plus en plus de
retard à rembourser leurs dettes et beaucoup font
vivre leur famille en utilisant leur carte de
crédit. À un moment donné, ils n'y arrivent plus
et cela se termine en banqueroute. Lors d'un
congrès auquel j'ai assisté il y a environ un an,
une travailleuse a pris le micro et a déclaré en
toute franchise que son plan de retraite c'était
la faillite personnelle.
Nous assistons à un exode continu hors de la
province. Cela a commencé il y a environ 20
ans. Il a été aggravé encore plus par la
concurrence de l'extérieur de la province où les
salaires sont plus élevés. Les employeurs du
Nouveau-Brunswick ne veulent pas payer, et ce, pas
seulement dans le secteur privé, les mines ou les
usines. Nous assistons à un exode des infirmières,
des psychologues et des psychiatres. Les gens ne
veulent pas être coincés dans cette économie à bas
salaire et sans avantages sociaux que nous avons
au Nouveau-Brunswick.
C'est pourquoi nous nous retrouvons dans la
position dans laquelle nous sommes actuellement
dans le domaine des soins de santé. Il y a une
pénurie de plus de mille infirmières et infirmiers
dans notre système de soins de santé. Ce sont des
postes qui sont vacants. Cela ne tient pas compte
des infirmières qui sont en congé d'épuisement
professionnel, en congé de maladie ou en congé de
maternité. Ce sont des postes vacants que personne
n'occupe.
Nous en voyons les conséquences. Aujourd'hui,
nous voyons des salles d'urgence de petits
hôpitaux fermées la fin de semaine. Certaines ont
complètement fermé leurs portes. Nous voyons des
maternités fermées pendant des semaines et des
femmes enceintes qui se font dire : « Vous ne
pouvez pas venir dans notre hôpital. Nous n'avons
tout simplement pas le personnel nécessaire. Vous
devrez voyager de plus longues distances. »
Ce problème ne concerne pas seulement les
hôpitaux. Le plus gros problème se situe dans les
résidences pour personnes âgées et il s'est
manifesté tout au long de la pandémie à travers le
pays, en particulier dans les résidences pour
personnes âgées privées à but lucratif, où les
propriétaires essaient de s'enrichir sur le dos
des travailleurs, en leur versant de bas salaires
et en ayant le moins de personnel possible. Ils
prennent des raccourcis pour économiser de
l'argent. C'est là que les effets de la pandémie
ont été les plus graves, dans les résidences pour
personnes âgées privées.
Mais ce problème existe aussi dans nos résidences
publiques pour personnes âgées. Depuis 30
ans, nous savons qu'ils ont besoin de ratios
travailleurs/résidents plus élevés, qu'il n'y a
tout simplement pas assez de personnel. Le manque
de personnel a un effet domino. Plus on travaille
avec moins de personnel, plus on s'épuise. De
moins en moins de personnes sont prêtes à
travailler dans cet environnement où les salaires
sont bas et où il y a une pénurie constante de
travailleurs. Le problème ne cesse de s'aggraver
et la situation ne cesse de se dégrader.
Personnellement, je pense que les gouvernements
laissent délibérément le système public échouer.
Ils en arriveront à un point où ils diront que le
public ne peut plus fournir les services, qu'ils
doivent confier le système au secteur privé.
La solution du gouvernement provincial à la
pénurie de travailleurs est d'essayer d'accélérer
l'immigration, de recruter des travailleurs dont
les conditions de travail et de vie sont pires que
celles que nous avons ici. Le gouvernement parle
d'accorder la résidence permanente aux immigrants.
Nous verrons bien. Il y a quelque temps, j'ai
assisté à une conférence du milieu d'affaires qui
était présentée comme un forum sur les
travailleurs. Il s'agissait d'une séance de «
brainstorming » pour les entreprises sur la
manière d'obtenir une main-d'oeuvre bon marché. Un
représentant d'une entreprise de technologie a
raconté comment il avait utilisé des programmes de
recrutement dans des pays comme l'Inde pour faire
venir des travailleurs ici et les faire travailler
de longues heures pour beaucoup moins que ce qu'il
en coûterait pour embaucher quelqu'un au
Nouveau-Brunswick. Il a dit que la façon dont il
les garde est la promesse d'un statut, la promesse
de l'immigration. Il utilise la carotte de
l'immigration, a-t-il dit, pour les faire
travailler pour presque rien. C'est horrible. Et
cela a été dit dans un forum public. C'est un
nivellement par le bas et il faut l'arrêter.
Tant que le Nouveau-Brunswick maintiendra une
économie à bas salaire, avec des emplois précaires
et des travailleurs dans une situation précaire,
nous continuerons d'avoir un exode de travailleurs
hors de la province.
Cet article est paru dans
Numéro 77 - 1er septembre 2021
Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/FO2021/Articles/FO06774.HTM
Site Web: www.pccml.ca
Email: redaction@cpcml.ca
|