Les conditions des travailleurs
migrants
Des dangers accrus pour les travailleurs étrangers temporaires agricoles
- Diane Johnston -
« Cette année, de plus en plus de travailleurs
agricoles sont approchés par des recruteurs dans
les rares lieux publics qu'ils fréquentent, comme
les épiceries, les lieux de restauration rapide ou
les parcs », souligne un article publié dans
Le Devoir du 29 juillet. Les auteurs
de l'article sont Danièle Bélanger et
Guillermo Candiz, respectivement professeur et
chercheur postdoctoral à l'Université Laval,
Michel Pilon et Véronique Tessier, directeur
général et coordonnatrice du bureau du Québec du
Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs
agricoles migrants du Québec (RATTMAQ), ainsi que
Eugénie Depatie-Pelletier, présidente de
l'Association pour
la défense des droits du personnel domestique de
maison et de ferme (ADDPD).
Pour nombre de ces travailleurs, la pénurie de
main-d'oeuvre et la pandémie contribuent à créer «
des conditions de vie et de travail encore plus
difficiles que celles des années
antérieures ».
De
plus, le fait que leur permis de travail soit
fermé (ils ne peuvent pas changer d'employeur) «
crée un lien de dépendance qui fait en sorte que
plusieurs sont victimes d'abus ». Le travail
de terrain des auteurs et les nombreuses
interventions de leurs organisations attestent que
pour de nombreux travailleurs, « le harcèlement
psychologique, le non-paiement des jours fériés,
les accidents de travail non déclarés, les
congédiements sans motifs valables et la saisie
des documents personnels » sont monnaie
courante.
Et même si en 2019, le gouvernement fédéral
a créé un programme pour que les victimes d'abus
puissent demander un permis de travail ouvert afin
de changer d'employeur, la procédure est complexe
et nécessite l'aide d'intervenants qualifiés. De
plus, la peur d'être dénoncé par un employeur et
les répercussions potentielles en empêchent
plusieurs d'emprunter cette voie.
Leur grande vulnérabilité et leur absence de
recours, soulignent les auteurs, ouvrent la porte
à la création de réseaux de recrutement de
travailleurs au noir, un marché stimulé par un
manque criant de main d'oeuvre dans certains
secteurs. « Ce cercle vicieux, déjà bien développé
en Europe, en Asie et aux États-Unis, fait
désormais
son oeuvre au Canada et au Québec »,
écrivent-ils.
Ces recruteurs offrent un emploi et un logement à
ceux qui osent quitter leur lieu de travail et
entrer dans la clandestinité, ce qui peut sembler
particulièrement attrayant pour les travailleurs
qui ont contracté des dettes pour venir au Canada
et qui rencontrent des difficultés à rembourser ce
qu'ils doivent.
À tout cela s'ajoute la situation de ces
travailleurs en fait d'isolement, de restrictions
de mouvement et de conditions de logement et de
travail difficiles, ce qui peut en inciter
certains à décider d'entrer dans la clandestinité
dans l'espoir d'améliorer leur sort. Mais en
agissant ainsi, ils courent le risque d'être
expulsés et de se retrouver dans un
environnement de travail encore plus abusif.
Les auteurs notent que la
fermeture des frontières dans le contexte de la
pandémie peut également contribuer au
développement de réseaux de trafiquants, qui
approchent les travailleurs étrangers et leur
proposent de passer clandestinement aux
États-Unis, en leur faisant miroiter des emplois
mieux rémunérés ou une plus grande liberté de
mouvement. Toutefois, certains travailleurs de la
région de Québec qui ont accepté les offres des
trafiquants pour lesquelles ils ont payé
environ 5 000 dollars ont été
interceptés par la GRC, tandis que d'autres ont
été appréhendés par la police aux États-Unis.
Fernand Borja, directeur général de la Fondation
des entreprises en recrutement de main-d'oeuvre
agricole étrangère (FERME), a indiqué qu'au début
du mois d'août, 53 travailleurs étrangers, en
majorité du Guatemala, ont quitté leur employeur
québécois en 2021 et que, « si ça continue,
ce sera une année record ».
Si la plupart de ces travailleurs se dirigent
vers les États-Unis, certains vont aussi en
Ontario, où l'on trouve une forte concentration de
production maraîchère en serre.
Michel Pilon note que « les arnaqueurs sont très
actifs et on voit que le phénomène prend de
l'ampleur ». Il ajoute qu'il y a quelques
semaines à peine, quatre travailleurs agricoles
ont été interceptés du côté américain et ont été
renvoyés au Canada. À sa connaissance, cela est
arrivé à une vingtaine de personnes en 2021.
L'existence de permis de travail fermés, disent
les auteurs, entraîne une précarité supplémentaire
qui, dans le contexte actuel, donne lieu à des
situations non réglementées et dangereuses pour
ces travailleurs.
Plus vite ces travailleurs étrangers obtiennent
des permis de travail ouverts sur les marchés du
travail canadien et québécois, « plus nous
pourrons réduire les risques que ces derniers se
retrouvent entre les mains des réseaux frauduleux
qui mettent leur vie et leur intégrité en
danger ».
Selon les chiffres du gouvernement canadien,
environ 50 000 à 60 000
travailleurs agricoles étrangers viennent
travailler au Canada chaque année, ce qui
représente environ 60 % de tous les
travailleurs qui peuvent entrer au Canada dans le
cadre du Programme des travailleurs étrangers
temporaires. Plus
de 41 000 travailleurs sont arrivés à ce
jour en 2021.
«
Le gouvernement du Canada prend très au sérieux la
sécurité et la dignité des travailleurs étrangers.
Tout le monde mérite d'évoluer dans un milieu de
travail sans danger et où les droits de la
personne sont respectés », s'est vanté le
ministre canadien de l'Immigration, Marco
Mendicino, dans un communiqué de presse du 26
juillet annonçant des « modifications
réglementaires accrues » visant à « améliorer
les protections pour les travailleurs étrangers
temporaires en obligeant les employeurs à leur
fournir des renseignements sur leurs droits au
Canada; en interdisant les représailles des
employeurs à l'endroit des travailleurs qui
portent plainte; et en
mettant en place des exigences réglementaires clés
pour que tous les employeurs offrent un accès
raisonnable aux services de soins de santé, de
même qu'une assurance maladie au besoin. Les
modifications proposées interdiraient également
d'imposer des frais de recrutement aux
travailleurs et rendraient les employeurs
responsables des actions des
recruteurs à cet égard. »
Presque deux ans après le début de la pandémie et
de telles mesures ne sont annoncées que
maintenant ? Que peut-on attendre d'autre
d'un gouvernement prêt à « les trahir et à les
vendre » pour des gains personnels et de
classe ? Cette expression, qui trouve son
origine dans la traite des esclaves, reste la
réalité à laquelle sont
confrontés ces travailleurs.
Les êtres humains sont le bien le plus précieux
de la société et la contribution que ces
travailleurs ont toujours apportée, pandémie ou
pas, mérite un statut d'immigration complet et
permanent pour eux et leurs familles.
Mettons tout en oeuvre pour que cela devienne une
réalité !
Cet article est paru dans
Numéro 70 - 16 août 2021
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