Les conditions des travailleurs migrants

Des dangers accrus pour les travailleurs étrangers temporaires agricoles

« Cette année, de plus en plus de travailleurs agricoles sont approchés par des recruteurs dans les rares lieux publics qu'ils fréquentent, comme les épiceries, les lieux de restauration rapide ou les parcs », souligne un article publié dans Le Devoir du 29 juillet. Les auteurs de l'article sont Danièle Bélanger et Guillermo Candiz, respectivement professeur et chercheur postdoctoral à l'Université Laval, Michel Pilon et Véronique Tessier, directeur général et coordonnatrice du bureau du Québec du Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs agricoles migrants du Québec (RATTMAQ), ainsi que Eugénie Depatie-Pelletier, présidente de l'Association pour la défense des droits du personnel domestique de maison et de ferme (ADDPD).

Pour nombre de ces travailleurs, la pénurie de main-d'oeuvre et la pandémie contribuent à créer « des conditions de vie et de travail encore plus difficiles que celles des années antérieures ».

http://cpcml.ca/images2020/WorkersEconomy/MigrantWorkers/200523-Montreal-AsylumSeekerSupport-FAndre-01.jpgDe plus, le fait que leur permis de travail soit fermé (ils ne peuvent pas changer d'employeur) « crée un lien de dépendance qui fait en sorte que plusieurs sont victimes d'abus ». Le travail de terrain des auteurs et les nombreuses interventions de leurs organisations attestent que pour de nombreux travailleurs, « le harcèlement psychologique, le non-paiement des jours fériés, les accidents de travail non déclarés, les congédiements sans motifs valables et la saisie des documents personnels » sont monnaie courante.

Et même si en 2019, le gouvernement fédéral a créé un programme pour que les victimes d'abus puissent demander un permis de travail ouvert afin de changer d'employeur, la procédure est complexe et nécessite l'aide d'intervenants qualifiés. De plus, la peur d'être dénoncé par un employeur et les répercussions potentielles en empêchent plusieurs d'emprunter cette voie.

Leur grande vulnérabilité et leur absence de recours, soulignent les auteurs, ouvrent la porte à la création de réseaux de recrutement de travailleurs au noir, un marché stimulé par un manque criant de main d'oeuvre dans certains secteurs. « Ce cercle vicieux, déjà bien développé en Europe, en Asie et aux États-Unis, fait désormais son oeuvre au Canada et au Québec », écrivent-ils.

Ces recruteurs offrent un emploi et un logement à ceux qui osent quitter leur lieu de travail et entrer dans la clandestinité, ce qui peut sembler particulièrement attrayant pour les travailleurs qui ont contracté des dettes pour venir au Canada et qui rencontrent des difficultés à rembourser ce qu'ils doivent.

À tout cela s'ajoute la situation de ces travailleurs en fait d'isolement, de restrictions de mouvement et de conditions de logement et de travail difficiles, ce qui peut en inciter certains à décider d'entrer dans la clandestinité dans l'espoir d'améliorer leur sort. Mais en agissant ainsi, ils courent le risque d'être expulsés et de se retrouver dans un environnement de travail encore plus abusif.

Les auteurs notent que la fermeture des frontières dans le contexte de la pandémie peut également contribuer au développement de réseaux de trafiquants, qui approchent les travailleurs étrangers et leur proposent de passer clandestinement aux États-Unis, en leur faisant miroiter des emplois mieux rémunérés ou une plus grande liberté de mouvement. Toutefois, certains travailleurs de la région de Québec qui ont accepté les offres des trafiquants pour lesquelles ils ont payé environ 5 000 dollars ont été interceptés par la GRC, tandis que d'autres ont été appréhendés par la police aux États-Unis.

Fernand Borja, directeur général de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d'oeuvre agricole étrangère (FERME), a indiqué qu'au début du mois d'août, 53 travailleurs étrangers, en majorité du Guatemala, ont quitté leur employeur québécois en 2021 et que, « si ça continue, ce sera une année record ».

Si la plupart de ces travailleurs se dirigent vers les États-Unis, certains vont aussi en Ontario, où l'on trouve une forte concentration de production maraîchère en serre.

Michel Pilon note que « les arnaqueurs sont très actifs et on voit que le phénomène prend de l'ampleur ». Il ajoute qu'il y a quelques semaines à peine, quatre travailleurs agricoles ont été interceptés du côté américain et ont été renvoyés au Canada. À sa connaissance, cela est arrivé à une vingtaine de personnes en 2021.

L'existence de permis de travail fermés, disent les auteurs, entraîne une précarité supplémentaire qui, dans le contexte actuel, donne lieu à des situations non réglementées et dangereuses pour ces travailleurs.

Plus vite ces travailleurs étrangers obtiennent des permis de travail ouverts sur les marchés du travail canadien et québécois, « plus nous pourrons réduire les risques que ces derniers se retrouvent entre les mains des réseaux frauduleux qui mettent leur vie et leur intégrité en danger ».

Selon les chiffres du gouvernement canadien, environ 50 000 à 60 000 travailleurs agricoles étrangers viennent travailler au Canada chaque année, ce qui représente environ 60 % de tous les travailleurs qui peuvent entrer au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Plus de 41 000 travailleurs sont arrivés à ce jour en 2021.

http://cpcml.ca/images2020/Rights/200704-Montreal-ManifStatutPourTous-15.jpg« Le gouvernement du Canada prend très au sérieux la sécurité et la dignité des travailleurs étrangers. Tout le monde mérite d'évoluer dans un milieu de travail sans danger et où les droits de la personne sont respectés », s'est vanté le ministre canadien de l'Immigration, Marco Mendicino, dans un communiqué de presse du 26 juillet annonçant des « modifications réglementaires accrues » visant à « améliorer les protections pour les travailleurs étrangers temporaires en obligeant les employeurs à leur fournir des renseignements sur leurs droits au Canada; en interdisant les représailles des employeurs à l'endroit des travailleurs qui portent plainte; et en mettant en place des exigences réglementaires clés pour que tous les employeurs offrent un accès raisonnable aux services de soins de santé, de même qu'une assurance maladie au besoin. Les modifications proposées interdiraient également d'imposer des frais de recrutement aux travailleurs et rendraient les employeurs responsables des actions des recruteurs à cet égard. »

Presque deux ans après le début de la pandémie et de telles mesures ne sont annoncées que maintenant ? Que peut-on attendre d'autre d'un gouvernement prêt à « les trahir et à les vendre » pour des gains personnels et de classe ? Cette expression, qui trouve son origine dans la traite des esclaves, reste la réalité à laquelle sont confrontés ces travailleurs.

Les êtres humains sont le bien le plus précieux de la société et la contribution que ces travailleurs ont toujours apportée, pandémie ou pas, mérite un statut d'immigration complet et permanent pour eux et leurs familles.

Mettons tout en oeuvre pour que cela devienne une réalité !

(Avec des informations du gouvernement du Canada et du Devoir. Photos: CAC, OFL, J4MW)


Cet article est paru dans

Numéro 70 - 16 août 2021

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