Karine d'Auteuil, présidente par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de l'Outaouais

Les travailleurs et travailleuses de la santé de Gatineau protestent contre leurs conditions de travail intenables, le 15 juillet 2021.

Présentement, on vit une crise comme on n'en a jamais vécu. On a dû fermer l'urgence de l'hôpital de Gatineau à cause principalement d'un manque d'expertise, un manque d'infirmières avec de l'expérience à l'urgence, qui ont de l'expertise à faire du choc et du triage. Une infirmière novice qui arrive à l'urgence ne peut pas aller à la salle de choc et ne peut pas faire du triage. À l'hôpital de Gatineau, c'est cela qui a causé le problème et on a connu un bris de service. Nous n'avons pas assez d'expertise pour pouvoir donner des soins sécuritaires à la population. C'est pour cela qu'il y a eu une fermeture de l'urgence. Présentement, nous en sommes à une réouverture partielle de 8 heures à 18 heures, pour donner un souffle également aux autres urgences de l'Outaouais, éviter que la situation perdure et que les autres urgences s'épuisent également.

On parle beaucoup des urgences, parce que cela fait souvent les médias, mais en Outaouais on vit aussi une pénurie dangereuse de personnel sur les unités de soins. Par exemple, à l'Hôpital de Gatineau, nous avons moins de 45 % des postes comblés sur les unités de soins. À l'hôpital de Papineau également, on a fermé une unité de soins parce qu'il y avait un trop grand manque de personnel. Dans les unités de soins non plus, on ne peut plus donner un service à 100 % avec les effectifs présents.

C'est certain que le sous-financement de l'Outaouais, qu'on vit depuis des années, nous a beaucoup nui. En plus, nous sommes juste à côté de l'Ontario, alors c'est facile pour une professionnelle en soins de traverser le pont pour obtenir un meilleur salaire et des conditions de travail qui sont meilleures que les nôtres.

Le ministre de la Santé Christian Dubé veut continuer à ignorer la prime frontalière, alors on va juste continuer d'être acculés au mur. La prime frontalière a pour but d'être compétitif avec l'Ontario. Une infirmière qui décide de venir travailler en Outaouais devrait recevoir une prime frontalière. Dans la région, les primes de soir et de nuit sont déjà bonifiées pour que nous gardions nos infirmières mais cela ne suffit plus. Nous réclamons que le ministre Dubé instaure une prime frontalière. Il n'y a pas longtemps, l'Hôpital Montfort à Ottawa a offert une prime de 10 000 $ pour travailler un an à temps complet à Montfort. Comment ici au CISSSO (Centre intégré de santé et des services sociaux de l'Outaouais) peut-on faire concurrence avec cela ?

Cela fait longtemps qu'on le dit et c'est pour cela que nous avons une enveloppe budgétaire de statut particulier dû au fait que nous sommes à côté de l'Ontario. Il faut réviser cette enveloppe et il faut aussi l'utiliser à bon escient, et non pas pour pallier au sous-financement des soins de santé de l'Outaouais.

Il y a eu une étude en 2015 qui démontrait clairement le sous-financement qu'on vit en Outaouais par rapport à nos besoins en santé. Avec le taux de population que nous avons en Outaouais, on devrait avoir un budget de la santé qui est supérieur à ce qu'il est présentement. Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe a dit que sa priorité est le système de santé, mais trois ans plus tard il n'a rien fait pour résoudre le problème de la pénurie de personnel. Le système de santé est pire qu'au début de son mandat. La pénurie s'est encore aggravée.

On n'est pas face à la pénurie habituelle qu'on vit depuis des années. On vit une pénurie dangereuse où les soins sont mis en péril. On n'a pas le financement nécessaire pour créer des postes et des conditions de travail attractifs et assurer la rétention du personnel en soins en Outaouais. La pandémie est venue affaiblir beaucoup la rétention. On ne peut pas remonter un système de santé sans y faire des investissements. Le ministre de la Santé fait juste déplacer le problème en fermant des lits ici et là, cela ne règle pas le problème.

Nous continuons de marteler que nous sommes sous-financés et que le gouvernement doit faire des gestes concrets. L'augmentation du financement des soins de santé en Outaouais est au coeur du problème de remonter la pente et d'assurer des soins de santé adéquats à la population.

Il a quelques semaines, en point de presse, le ministre Dubé a présenté trois solutions aux problèmes des urgences. Il a mentionné la réorientation vers les Groupes de médecine familiale (GMF). En ce qui concerne la réorientation, on s'est énormément amélioré dans l'Outaouais. On est parti de 5 à 10 % de réorientation dans les urgences vers les GMF, à environ 20 à 30 % des patients. On a mis en place une très bonne équipe pour faire le pont avec les GMF, les cliniques de médecins de famille, tout cela est déjà instauré en Outaouais. Ce n'est pas cela qui va nous aider à diminuer la pénurie de personnel. Même si le taux d'occupation diminue, la structure de base des postes n'est pas comblée. À l'unité de soin 7e Nord, à l'hôpital de Gatineau, j'ai 9 postes d'infirmières de comblés sur 29 postes. Ce n'est pas en enlevant des patients que cela va être comblé. Les deux autres pistes mises de l'avant par le ministre sont que les bureaux des médecins de famille soient ouverts pendant plus d'heures, ce qui est déjà fait, et que les médecins de famille prennent davantage de patients, notamment qui ont des symptômes de COVID. Ces trois pistes de solutions ne viendront pas pallier à la pénurie qui sévit sur les unités de soins et à l'urgence. Ce n'est pas la place pour les patients qui manque. Ce sont des professionnelles en soins qui manquent.

Nous avons besoin de départements stables, de postes stables, sur des quarts de travail stables. On a besoin d'outils pour cela, et cela passe par le financement.

Aussi, l'employeur maintenant nous amène devant le Tribunal administratif du travail lorsque nous faisons un refus de travail lorsque nos conditions deviennent totalement non sécuritaires. Il dit qu'un refus de travail est une infraction à notre convention collective. Mais au-delà de la convention collective, il y a le code de déontologie selon lequel, en tant que professionnelle en soins, je ne veux pas mettre mon patient en danger, mais pas ma licence non plus. Si mon jugement clinique me dit qu'être seule pour 27 patients c'est trop, c'est mettre les soins en péril, c'est mon devoir de le dire et de refuser de prendre le poste qui constitue un danger imminent. Nous sommes régies par notre code de déontologie avant tout, et par notre conscience également.

Le gouvernement ne comprend pas cela. Selon lui on est là juste pour faire les pions. Nous ne sommes pas des pions, nous sommes des professionnelles en soin, et nous avons le devoir envers nos patients d'être sécuritaires avant tout.

(Photo: FIQ)


Cet article est paru dans

Numéro 68 - 11 août 2021

Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/FO2021/Articles/FO06684.HTM


    

Site Web:  www.pccml.ca   Email:  redaction@cpcml.ca