Francis Charbonneau, vice-président, secteur nord, Syndicat des professionnelles en soin des Laurentides
Il y a de multiples facteurs qui expliquent la
crise des urgences. Beaucoup de gens ont quitté à
cause de l'arrêté ministériel, l'obligation de
travailler à temps complet, l'obligation de faire
des douze heures, alors que souvent il y avait
très peu de cas de COVID hospitalisés. La région
des Laurentides est très grande, certains endroits
se comparaient à Montréal en fait de cas de COVID,
mais si on monte au nord, il y avait des endroits
où il n'y avait aucun cas de COVID et pourtant on
appliquait le décret mur à mur. Cela devenait la
solution la plus facile de l'employeur de gérer le
manque de personnel, au lieu de trouver les façons
de garder le personnel en place avec des
conditions de travail adéquates. L'employeur a
abusé de l'arrêté ministériel et a forcé les gens
à travailler un plus grand nombre d'heures que ce
qu'ils sont aptes à faire, ce qui fait que cela a
épuisé beaucoup de gens. Les gens ont quitté en
maladie, soit sur l'assurance-salaire ou la CNESST
(Commission des normes, de l'équité, de la santé
et de la sécurité du travail). Plusieurs personnes
quittent les urgences pour aller vers d'autres
milieux qui sont peut-être moins en manque de
personnel. Les autres milieux peuvent être dans le
même établissement, par exemple vers le soutien à
domicile qui a un horaire du lundi au vendredi de
jour, et peut-être une fin de semaine de travail
sur six. Il y en a qui vont vers les agences
privées de placement, ou qui quittent complètement
le réseau de la santé.
Pour les patients, l'urgence est la porte
d'entrée du système. Après qu'on est rentré à
l'urgence, si l'on doit être admis à l'höpital, on
doit être relocalisé, peut-être dans une autre
unité de médecine. Pour cela, il faut que les
unités de médecine soient capables de recevoir les
patients. Le même phénomène s'est passé dans des
unités de médecine avec l'utilisation abusive des
arrêtés ministériels, alors on y manque beaucoup
de personnel, on réduit le nombre de lits, on
ferme des lits, alors les patients demeurent à
l'urgence. Cela crée une grande surcharge de
travail.
Nous vivons une telle situation à plusieurs
endroits dans les Laurentides en ce moment. À
Mont-Laurier, la situation de médecine et
chirurgie est difficile. À Saint-Eustache, on a
fermé la moitié des lits de soins intensifs, donc
les patients qui sont plus instables et qui
nécessitent des soins plus lourds, au lieu d'aller
vers les soins intensifs de Saint-Eustache,
doivent s'en aller vers les soins intensifs de
Saint-Jérôme. Cependant, à Saint-Jérôme, on a
aussi un manque de personnel et on a diminué le
nombre de lits là aussi, on est aux deux-tiers de
la capacité. Cela fait deux urgences qui ne
peuvent plus envoyer des cas instables vers les
soins intensifs parce qu'ils sont pleins.
Il y a quelques semaines, les infirmières de
l'urgence et des soins intensifs à l'hôpital de
Mont-Laurier ont fait un sit-in. Dans cet hôpital,
de nuit on a besoin d'environ six infirmières pour
couvrir l'urgence et les soins intensifs.
Actuellement on en a une ou deux. Les infirmières
de soir, tous les jours, devaient faire du
temps supplémentaire obligatoire et rester sur le
quart de nuit pour offrir les soins. Après avoir
parlé à l'employeur à plusieurs reprises, demandé
que des solutions soient mises en place et n'ayant
pas été écoutées, le seul moyen qu'elles ont
trouvé c'est de ne pas rentrer sur leur quart de
travail le soir. Pour pouvoir dénoncer le fait
qu'elles sont épuisées, qu'elles n'en peuvent plus
de devoir rester tous les jours. Ce sont
leurs collègues de jour qui cette fois-là ont dû
rester pour les remplacer.
La première chose que
l'employeur a faite a été de convoquer le Tribunal
administratif du travail pour museler les
infirmières et les obliger à rentrer travailler et
à ne plus faire ce genre d'actions. L'employeur a
utilisé la voie juridique au lieu de s'asseoir
avec nous pour voir comment trouver du personnel
et s'assurer que d'autres sit-in n'aient pas lieu
dans les Laurentides. Il avait peur que les gens
révèlent au grand jour à quel point cela va mal
partout. En même temps, il a déclaré sur la place
publique que sa stratégie numéro un était d'être
en recherche de solutions avec le syndicat. En
fait, il ne nous a jamais rencontré dans le
dossier de l'urgence à Mont-Laurier, n'a jamais
voulu mettre des solutions en place. Il est allé
tout de suite vers le recours juridique. Ce n'est
pas une solution.
Nous avons soumis des pistes de solutions à
l'employeur depuis le mois de mars, mais il ne
nous écoute pas.
Une des pistes de solution c'est de prendre les
postes de travail qui ne sont pas attractifs,
parce qu'ils sont instables, et les stabiliser
pour que les gens les prennent. Ce sont des postes
en rotation où les gens doivent travailler sur
deux quarts de travail, de jour, de soir, de nuit.
Ils ne fonctionnent pas et ce sont souvent ces
postes qui demeurent vacants dans les unités. Au
lieu de les stabiliser, l'employeur a pris tous
les postes qui étaient stables et vacants et les a
transformés en postes en rotation.
Il faut rehausser les postes à temps complet,
transformer les postes à temps partiel en des
postes à temps complet qui sont stables, au lieu
d'avoir des postes à temps partiel et de compléter
vos heures de jour, de soir, de nuit, ne pas
savoir quand vous allez travailler, être appelés à
la dernière minute. C'est difficile pour les
familles de s'organiser.
Le gouvernement a mené des actions qui ont jeté
de l'huile sur le feu. Par exemple, le
gouvernement a donné des montants incitatifs pour
la COVID, mais il les a assortis de tellement de
clauses restrictives que cela a créé des
problématiques très sérieuses. À titre d'exemple,
le gouvernement a établi un montant
de 1000 $ par mois que vous pouviez
recevoir au total, mais vous deviez travailler à
temps complet, ne jamais être malade, ne jamais
vous absenter pour aucune raison outre vos
vacances et vos fériés. Cela a fait en sorte que
des gens se sont épuisés pour obtenir ce montant
et ont travaillé malades. Le montant a été arrêté
début juillet et on a vu les gens commencer à
s'absenter du travail encore plus tant ils étaient
épuisés.
Maintenant, compte tenu de la crise dans des
secteurs comme les urgences, les unités de
médecine et chirurgie et les unités des
naissances, le gouvernement a ramené la prime de
1000 $, mais juste dans ces unités-là. Alors
les autres unités ne comprennent pas pourquoi
elles sont exclues, alors qu'elles aussi sont dans
un état de souffrance, alors cela crée beaucoup
d'insatisfaction entre les unités. Le gouvernement
ne reconnaît pas le travail qui est fait par tout
le monde.
Les professionnelles en soin continuent de
travailler très activement pour offrir des soins à
la population. Cela nous fait mal quand nous
devons faire des actions comme les sit-in, on sait
que cela dérange les soins à la population. Mais
nous n'avons pas le choix de le faire pour avoir
des conditions de travail qui vont attirer de
nouvelles personnes dans la profession et être en
mesure de garder un réseau de santé public et non
pas avoir un réseau de santé privé comme nos
voisins américains.
Cet article est paru dans
Numéro 68 - 11 août 2021
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