Entrevues
Denis Cloutier, président du Syndicat des professionnelles en soins de l'Est-de-l'Île-de-Montréal
La crise dans les urgences est très réelle. Elle
est directement liée au manque de personnel
infirmier dans les urgences.
À cause de la pénurie et du travail continuel
dans une situation d'un manque d'effectifs, le
travail infirmier dans le milieu hospitalier, et
c'est encore plus vrai dans les urgences, cause de
plus en plus d'inconvénients sérieux dans le
travail des infirmières. Le plus connu est le
recours au temps supplémentaire obligatoire qui a
poussé plein de personnes à aller travailler
ailleurs, pour d'autres employeurs où cela va
moins mal au niveau de la pénurie. Il manque des
infirmières partout. Il y a eu une fuite aussi
vers le privé dans les dernières années, également
avec la COVID. Il manque de personnel et les
conditions sont très mauvaises.
Pendant que nous
travaillions avec la COVID parmi nous, toutes les
infirmières du réseau faisaient face à des
contraintes, des quarts de travail déplacés, le
travail à temps complet imposé, le temps
supplémentaire imposé, etc. Pendant ce temps, les
infirmières du privé n'avaient pas ces
contraintes-là. On s'est donc retrouvé avec des
situations qui étaient encore pires cette année. À
cause de ces contraintes, cela devient très
difficile de recruter de nouvelles infirmières ou
de convaincre les infirmières à l'interne d'aller
travailler à l'urgence par exemple. Un des
facteurs principaux qui fait que tant
d'infirmières ont quitté est l'arrêté
ministériel 007 du gouvernement du Québec.
Cet arrêté, qui a été en vigueur de mars 2020
à il y a environ un mois, pendant près d'un an et
demi, permettait de déroger aux conventions
collectives, de déplacer les infirmières au bon
vouloir des employeurs, d'augmenter leur charge de
travail, alors que les infirmières qui venaient du
privé n'étaient pas soumises à cet arrêté.
Il a existé un équilibre historique dans le passé
avec les agences privées qui a été défait. Les
infirmières d'agences étaient peu nombreuses,
elles étaient mieux payées que celles du secteur
public, mais elles étaient envoyées là où personne
ne voulait aller. Cependant, en temps de pénurie,
pour les attirer, les CISSS et les CIUSSS leur
donnent des conditions extrêmement supérieures à
celles des infirmières du secteur public.
Les inconvénients de travailler en
sous-effectifs, de se voir imposer du temps
supplémentaire, deviennent beaucoup trop
récurrents dans leur travail ce qui en pousse de
plus en plus à quitter. Le travail supplémentaire
obligatoire était déjà un outil de gestion avant
la pandémie, il l'est devenu encore plus pendant
la pandémie et il l'est encore alors que la
pandémie tend à se résorber. Il y a aussi les
retards accumulés au niveau des chirurgies, des
soins médicaux, etc. On ne soigne pas que la
COVID.
Le ministère doit s'en
mêler et compenser les inconvénients subis par ces
infirmières. On pourrait instaurer une
compensation du travail supplémentaire obligatoire
par des journées de congé. Le ministère ne
reconnaît pas qu'il s'agit de travail forcé. Il
agit comme si les infirmières acceptent
volontairement le travail supplémentaire
obligatoire alors il ne pose pas le problème d'une
compensation. Beaucoup d'infirmières voudraient
travailler à l'urgence si on leur offrait des
postes stables, un horaire de travail sans temps
supplémentaire obligatoire. Cette façon de gérer
est inacceptable. Cela rend la profession
d'infirmière globalement de moins en moins
intéressante pour le futur. C'est un défi. Les
plus grands inconvénients se retrouvent dans les
urgences et c'est pourquoi ce sont les endroits
que les gens quittent en premier.
Le temps supplémentaire obligatoire n'est pas
quelque chose qui est négocié avec le syndicat. Il
est une obligation professionnelle reliée au Code
de déontologie de l'Ordre des infirmières et
infirmiers du Québec qui est utilisé à outrance.
Ce n'est pas un syndicat qui permet à un patron de
retenir un employé contre son gré. On ne signerait
jamais cela. On pense qu'il faut que le
gouvernement cesse de parler de cela comme quelque
chose d'exceptionnel. À Maisonneuve-Rosemont,
l'employeur y a eu recours 52 fois dans la
même fin de semaine, il y a quelques semaines. On
a tenté de les compenser par le passé avec des
primes pour travailler à l'urgence, mais il y a
une limite. Quand tu voles du temps à des gens,
cela devient inhumain. Un emploi à temps plein
veut dire être gardé de force deux ou trois fois
pendant la semaine. Cela devient insoutenable.
Je ne crois pas aux agences privées de placement
dans le réseau public. Je ne crois pas à cette
cohabitation-là. Les employeurs disent que les
agences privées viennent nous aider. Cela ne nous
aide pas. S'il n'y avait pas d'agences privées de
placement, toutes les infirmières travailleraient
dans le réseau public. Il faut favoriser le
collectif, le collectif en tant qu'ensemble
d'employés, et le collectif en tant que citoyens
du Québec pour avoir un réseau public égal
partout. Je ne vois pas de place pour le privé
là-dedans.
Un autre problème est la concurrence qui existe
entre les hôpitaux. Les hôpitaux s'arrachent le
personnel, s'arrachent les mêmes infirmières. La
concurrence est difficile. Moi je représente
l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et l'Hôpital Santa
Cabrini. C'est difficile d'être en concurrence
avec le CHUM, qui est flambant neuf et qui est sur
la ligne du métro. Pourquoi une infirmière
irait-elle travailler dans un hôpital qui est plus
désuet si elle va subir toutes sortes
d'inconvénients ? Les employeurs sont en
compétition les uns avec les autres et ceux qui
sont favorisés ayant des édifices flambants neufs,
ou géographiquement, vont toujours recruter alors
que d'autres manquent systématiquement de
main-d'oeuvre.
Est-ce qu'on va accepter qu'il y ait des soins de
santé à ce point inéquitables d'une région à
l'autre ou d'un établissement à l'autre ? Le
ministère n'a jamais voulu s'occuper de ce
problème. Le ministère doit coordonner tout cela.
Au niveau de l'embauche, le ministère pourrait
coordonner une meilleure répartition de la
main-d'oeuvre. Beaucoup de choses seraient
possibles, mais le ministère ne se mêle de rien.
Il se lave les mains de toute imputabilité.
Cet article est paru dans
Numéro 68 - 11 août 2021
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