Les travailleurs d'Olymel et d'Exceldor exigent un nouvel équilibre et refusent d'être considérés comme des travailleurs sans droits
- Normand Chouinard -
Les travailleurs en grève d'Olymel à
Vallée-Jonction se joignent aux grévistes
d'Exceldor
sur leur ligne de piquetage le 2 juin 2021
Les travailleurs de l'usine d'abattage de porc
d'Olymel de Vallée-Jonction en Beauce et les
travailleurs de l'usine d'abattage de poulet
d'Exceldor à Saint-Anselme dans la région de
Québec poursuivent leurs grèves. Les médias de
masse, le gouvernement et des organisations comme
l'Union des producteurs agricoles exercent des
pressions pour que ces grèves cessent, sans
traiter et se soucier des revendications des
travailleurs pour de meilleurs salaires et de
meilleures conditions de travail, notamment en ce
qui concerne leur santé et leur sécurité. Un
nouveau thème est apparu récemment pour augmenter
la pression, celui du gaspillage alimentaire causé
par les grèves parce que la rupture de la chaîne
d'abattage nécessite l'euthanasie de poulets et de
porcs sur les fermes où ils sont élevés.
Les médias monopolisés ont même parlé d'interdire
toute grève dans les usines d'abattage ou de les
restreindre fortement en déclarant que l'abattage
qui s'y fait est un service essentiel. Lorsque
l'animateur d'une émission de télévision a demandé
au ministre du Travail du gouvernement de la
Coalition Avenir Québec, Jean Boulet, si c'était
possible de déclarer l'abattage service essentiel,
celui-ci a dit que l'idée mérite d'être discutée
mais que l'état du droit du travail au Québec ne
le permet pas en ce moment. La catégorie de
services essentiels dans le droit du travail
s'applique uniquement aux services publics, a-t-il
dit. Il a ajouté que les entreprises peuvent
cependant plaider auprès du Tribunal administratif
du travail que leurs services s'apparentent à des
services essentiels et demander une décision du
tribunal pour restreindre la grève. Évidemment,
les gouvernements passent depuis longtemps des
lois spéciales de retour au travail contre les
travailleurs du secteur privé dans la
construction, dans le transport aérien et
ferroviaire et ailleurs et une loi spéciale de
retour au travail demeure toujours possible.
Les travailleurs d'Olymel et d'Exceldor ont
déclenché la grève parce que les conditions dans
l'industrie imposées par les monopoles privés sont
intenables. Une nouvelle direction est nécessaire
pour arriver à un nouvel équilibre tant pour les
travailleurs eux-mêmes que pour les producteurs
agricoles.
Restructuration antiouvrière de l'industrie au
début des années 2000
On doit se rappeler que les travailleurs de ces
deux usines se sont vu imposer depuis plusieurs
années des concessions salariales de près
de 20 % et que les travailleurs d'Olymel
ont été les victimes de grandes réorganisations de
la part de la compagnie au début des années 2000.
En 2006, Olymel s'en est pris aux
travailleurs de Vallée-Jonction avec l'aide du
gouvernement et de l'ancien premier ministre
Lucien Bouchard, qui agissait en tant que
médiateur. À l'époque, Olymel avait effectué une
grande restructuration de ses activités avec la
fermeture de plusieurs usines et des demandes de
concessions de la part des travailleurs. Elle
avait concentré ses plus grands efforts à sa plus
grande usine, celle de Vallée-Jonction, là où la
résistance ouvrière aux concessions était la plus
grande. En mettant en échec les travailleurs de
Vallée-Jonction cette année-là, elle a pu
poursuivre ses activités antiouvrières dans les
années qui ont suivi jusqu'à aujourd'hui. Cela lui
a permis de faire la pluie et le beau temps dans
l'industrie agroalimentaire au Québec et dans une
certaine mesure au Canada. Elle a connu une
croissance rapide par l'acquisition au prix de
plusieurs milliards de dollars d'entreprises
oeuvrant dans le même domaine notamment
l'entreprise Agromex et ses installations
agricoles au coût de plus de deux milliards, pour
ne nommer que celle-là. Ces acquisitions ont fait
d'Olymel une des plus grandes entreprises
agroalimentaires au Canada et un joueur
relativement majeur en Amérique du Nord avec
également l'acquisition d'entreprises en Ontario,
en Alberta et en Saskatchewan. Ce qu'on a appelé
le « modèle québécois » imposé par Olymel à
cette époque a inspiré beaucoup d'entreprises du
même genre qui voulaient en profiter pour établir
le même schéma. Exceldor en fait partie comme
beaucoup d'autres.
Ce « modèle québécois » comprend plusieurs
caractéristiques dont les principales sont :
1. Un contrôle étroit des salaires des
travailleurs dans les régions, soit par des
concessions ou par des augmentations de salaires
très faibles.
2. L'utilisation de main-d'oeuvre immigrante bon
marché recrutée par des agences dans les grandes
villes et transportée par autobus directement dans
les usines matin et soir et même sur les quarts de
nuit.
3. L'utilisation du programme des travailleurs
étrangers temporaires via des agences
internationales dont certaines appartiennent à ces
entreprises.
4. L'obtention de subventions de l'État comme la
récente subvention de 150 millions du
gouvernement québécois pour maintenir le siège
social d'Olymel au Québec.
5. Le développement d'un contrôle vertical de la
chaîne de production, de l'élevage jusqu'au
produit fini et finalement à la vente des produits
sur les marchés nationaux et internationaux.
Comme on le voit, ce « modèle québécois »
n'est rien d'autre que le copié-collé de ce qui
existe aux États-Unis et n'a rien à voir avec la
question de développer l'économie nationale sans
parler de bâtir un projet d'édification nationale.
Les grandes entreprises agroalimentaires ont
profité de ce système qui a créé de facto
plusieurs catégories de travailleurs dans le but
de les exploiter d'avantage et d'exproprier une
plus grande partie de la valeur nouvelle qu'ils
créent. La demande des travailleurs canadiens est
de garantir les droits de tous et toutes, peu
importe d'où proviennent les travailleurs et la
manière dont les monopoles vont les embaucher.
La lutte des travailleurs dans ces deux usines
est une lutte pour la vie, pour la vie de leur
région, de leur communauté, pour leur moyen de
subsistance et leur droit d'être. C'est une prise
de position catégorique contre le « modèle
québécois » d'exploitation de la classe
ouvrière qui divise les travailleurs et viole
leurs droits, et c'est également un appel à
l'unité de la classe ouvrière pour affirmer leur
droit à défendre leurs vies.
Les
travailleurs des usines de transformation des
aliments ont été les premières victimes de la
pandémie de la COVID-19 à cause des conditions de
travail dans les abattoirs et les usines de
transformation de la viande. Dès le départ ils se
sont battus pour défendre leur droit à la sécurité
et ensemble ils ont appris à s'organiser.
Maintenant, les paroles creuses des monopoles
selon lesquelles les travailleurs agroalimentaires
sont essentiels durant la pandémie ont fait place
aux attaques les plus brutales contre leurs
droits, notamment le droit de grève des
travailleurs.
Les appels à un retour au travail forcé des
travailleurs par une loi spéciale pour soi-disant
éviter le gaspillage alimentaire ou une pénurie
alimentaire sont inacceptables. Les travailleurs
défendent leurs droits et luttent pour une
industrie organisée pour répondre aux besoins du
peuple et non pour quelques intérêts privés en
quête d'un empire mondial.
Les producteurs de porc et de volaille qui
fournissent les animaux pour les abattoirs doivent
s'allier aux travailleurs industriels pour mettre
fin au contrôle de l'industrie par les oligopoles
qui se basent sur l'exploitation des travailleurs.
Cela comprend la traite d'êtres humains qui fait
partie des arrangements en place aujourd'hui dans
tous les secteurs agricoles. Les producteurs
doivent joindre leurs voix à la revendication de
garantir une autosuffisance alimentaire tout en
ayant un système qui garantit les droits de toutes
et tous dans l'ensemble de l'industrie
agroalimentaire.
Ce système impérialiste néolibéral est une
faillite totale et inhumaine. Les grèves des
travailleurs d'Olymel et d'Exceldor sont une lutte
pour les droits et la vie. Ces grèves ont lieu
dans le contexte d'une situation intenable à
laquelle font face les travailleurs de l'industrie
partout en Amérique du Nord. Cela montre la voie
vers l'avant pour une industrie agroalimentaire
indépendante des grands monopoles supranationaux
et indépendante des arrangements impérialistes et
du droit de monopole. Cette lutte est partie
intégrante du combat pour transformer la
situation. En défendant leurs droits, les
travailleurs défendent les droits de tous. Ces
travailleurs, qui ont bravé les pires conditions
de travail durant la pandémie, font preuve d'un
courage exemplaire qui exige notre appui
indéfectible.
Défendons les droits et la
lutte des travailleurs de Vallée-Jonction et
d'Exceldor !
(Photo: Stovj Vallée-Jonction)
Cet article est paru dans
Numéro 60 - 23 juin 2021
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