Opposition massive au programme de
science rétrograde
du gouvernement albertain
Le principal objectif d'un programme de science doit être de développer une culture scientifique
- Dougal MacDonald, Ph. D.
(Éducation) -
Le Parti conservateur uni (PCU) au pouvoir en
Alberta a récemment publié l'ébauche d'un nouveau
programme scolaire au primaire. Des éducateurs et
plusieurs autres critiquent vivement le programme
proposé en raison de son contenu inapproprié, son
parti pris politique réactionnaire, du fait qu'il
emprunte en partie le contenu d'un site américain,
et pour beaucoup d'autres raisons. Plus de 25
(sur un total de 61) conseils scolaires
albertains, y compris Edmonton et Calgary,
refusent d'en faire des projets pilotes.
Le 15 avril, l'Association des enseignants de
l'Alberta a demandé que le PCU cesse d'élaborer le
projet de programme d'études en attendant qu'il
soit réécrit et révisé.
L'ébauche
du PCU est un échec total et mérite sans doute
toutes les critiques qu'elle reçoit. En même
temps, dans la période actuelle, ce qu'il faut ce
sont des solutions. Par conséquent, la question
clé est : « Que devrait être le
programme ? ». Cette question doit aussi
comprendre : « Quel devrait être l'objectif
du programme ? ». Il s'agit là en effet
d'une question très vaste et en tant qu'enseignant
des sciences ayant une longue expérience
d'enseignement, je vais me limiter ici à discuter
de ce que pourrait être un programme d'études en
sciences.
La pandémie actuelle a une fois de plus mis en
lumière l'importance d'une culture scientifique.
La plupart des gens se fient à l'expertise de
scientifiques d'expérience comme les spécialistes
en maladies infectieuses pour obtenir de
l'information fiable sur la COVID-19, comment elle
se propage, son niveau de dangerosité, quel
comportement adopter, ainsi de suite. Parfois
cette approche est présentée de façon sarcastique
en opposition à l'option peu reluisante consistant
à se fier aux élucubrations du premier venu choisi
au hasard sur les médias sociaux.
Si le développement de la culture scientifique
est l'objectif premier de l'éducation
scientifique, alors de quoi s'agit-il ? À une
certaine époque, il s'agissait simplement de
maîtriser un grand nombre de faits scientifiques
établis, par exemple la connaissance que les virus
sont des organismes vivants qui ne peuvent pas se
reproduire sans une cellule hôte. Selon ces
anciens critères, la culture scientifique se
limite à accumuler ici et là des bouts de
connaissances scientifiques, comme si quelqu'un se
préparait à un jeu questionnaire ayant pour thème
les sciences.
Dans la période actuelle, la culture scientifique
est définie sur la base d'une approche plus large.
Selon cette approche, l'essentiel est de faire le
lien entre la science et les phénomènes vécus par
l'étudiant (et par l'enseignant). L'emphase est
beaucoup plus sur l'importance que la science soit
comprise par ceux et celles qui ne poursuivront
pas des carrières dans les sciences. En un mot,
l'objectif de base est de former des citoyens
informés, socialement responsables et compétents
qui peuvent gérer adéquatement les problèmes
sociaux liés à la science auxquels nous faisons
tous face, par exemple, la pandémie.
Quels pourraient être certains des attributs de
cette personne ayant développé une culture
scientifique au cours des années ? Ils
pourraient être les suivants, selon, bien sûr, les
différents domaines scientifiques : la
personne base ses conclusions sur des preuves,
différencie les experts des personnes mal
informées, comprend comment fonctionne la science
et comment ses découvertes doivent être validées,
sait faire la différence entre la science et la
pseudoscience, peut analyser et traiter
l'information, reconnaît que les connaissances
scientifiques sont fiables, mais qu'elles peuvent
changer, peut faire la différence entre une
connaissance et une opinion, etc.
Il
va sans dire, assimiler les connaissances
scientifiques fera toujours partie de la culture
scientifique. Il est tout à fait impossible
d'aborder une question sociale à connotation
scientifique sans posséder la connaissance
pertinente. Par exemple, pour traiter de la
question de l'efficacité du port du masque pour
limiter la transmission du virus, il faut
absolument savoir comment les virus se propagent.
En même temps, le fait d'assimiler les
connaissances scientifiques en soi ne suffit pas.
En plus des connaissances scientifiques, l'autre
aspect non moins important de la culture
scientifique est de connaître les traits
distinctifs de la science elle-même, un sujet
souvent appelé « la nature de la science »,
plus précisément, comment la science «
s'effectue ». C'est ainsi parce qu'en dernier
recours ce qui est accepté comme connaissance
scientifique est basé sur les données provenant
d'études scientifiques fiables. Ces études doivent
passer sous l'oeil critique, en prenant en compte,
par exemple, la méthodologie, le contrôle des
variables, les conclusions tirées, etc.
En outre, les affirmations scientifiques doivent
être évaluées à la fois en termes de la validité
de leur contenu et de leur pertinence (ou pas) sur
une question donnée. Aussi, bien que les étudiants
doivent apprendre à exercer une certaine
indépendance intellectuelle dans l'évaluation
d'affirmations scientifiques, il est presque
inévitable de dépendre jusqu'à un certain point
des opinions d'experts scientifiques, même lorsque
les dits experts peuvent eux-mêmes être en
désaccord. Le fait d'enquêter sur ces raisons
mêmes sont une autre facette de la culture
scientifique.
Si la connaissance scientifique fiable provient
en fin de compte d'études de recherche
scientifiques, nous sommes plus souvent
qu'autrement exposés à de telles connaissances par
le biais de médias populaires plutôt que par le
biais de publications scientifiques. Les médias
populaires peuvent être peu fiables – ceux et
celles qui connaissent les médias sociaux en
savent quelque chose – donc les étudiants doivent
avoir à la fois une culture scientifique et
médiatique. Aussi, tout le monde doit prendre en
compte ses propres préjugés de confirmation,
c'est-à-dire, la tendance à rechercher
l'information qui vient confirmer l'opinion qu'on
s'est déjà forgée.
Le fait d'axer un programme scientifique sur la
culture scientifique offre un objectif et un
contexte globaux. Cela permet de lier la science
au vécu de l'étudiant et d'être en harmonie avec
l'éthique et la pratique actuelles de la science.
Pendant longtemps, l'approche pour améliorer un
programme de science était simplement de mettre à
jour le contenu de la matière des disciplines
scientifiques traditionnelles. Ce qui est plutôt
requis est de créer un programme d'études axé sur
l'utilisation de la science pour le bien commun,
sur une science qui n'est pas seulement au profit
de quelques privilégiés, mais de toute la société.
Cet article est paru dans
Numéro 30 - 19 avril 2021
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