Opposition massive au programme de science rétrograde
du gouvernement albertain

Le principal objectif d'un programme de science doit être de développer une culture scientifique

Le Parti conservateur uni (PCU) au pouvoir en Alberta a récemment publié l'ébauche d'un nouveau programme scolaire au primaire. Des éducateurs et plusieurs autres critiquent vivement le programme proposé en raison de son contenu inapproprié, son parti pris politique réactionnaire, du fait qu'il emprunte en partie le contenu d'un site américain, et pour beaucoup d'autres raisons. Plus de 25 (sur un total de 61) conseils scolaires albertains, y compris Edmonton et Calgary, refusent d'en faire des projets pilotes. Le 15 avril, l'Association des enseignants de l'Alberta a demandé que le PCU cesse d'élaborer le projet de programme d'études en attendant qu'il soit réécrit et révisé.

http://pmlq.qc.ca/images/2016/secteurpublic/160116-Montrea-ManifFAE-18.jpgL'ébauche du PCU est un échec total et mérite sans doute toutes les critiques qu'elle reçoit. En même temps, dans la période actuelle, ce qu'il faut ce sont des solutions. Par conséquent, la question clé est : « Que devrait être le programme ? ». Cette question doit aussi comprendre : « Quel devrait être l'objectif du programme ? ». Il s'agit là en effet d'une question très vaste et en tant qu'enseignant des sciences ayant une longue expérience d'enseignement, je vais me limiter ici à discuter de ce que pourrait être un programme d'études en sciences.

La pandémie actuelle a une fois de plus mis en lumière l'importance d'une culture scientifique. La plupart des gens se fient à l'expertise de scientifiques d'expérience comme les spécialistes en maladies infectieuses pour obtenir de l'information fiable sur la COVID-19, comment elle se propage, son niveau de dangerosité, quel comportement adopter, ainsi de suite. Parfois cette approche est présentée de façon sarcastique en opposition à l'option peu reluisante consistant à se fier aux élucubrations du premier venu choisi au hasard sur les médias sociaux.

Si le développement de la culture scientifique est l'objectif premier de l'éducation scientifique, alors de quoi s'agit-il ? À une certaine époque, il s'agissait simplement de maîtriser un grand nombre de faits scientifiques établis, par exemple la connaissance que les virus sont des organismes vivants qui ne peuvent pas se reproduire sans une cellule hôte. Selon ces anciens critères, la culture scientifique se limite à accumuler ici et là des bouts de connaissances scientifiques, comme si quelqu'un se préparait à un jeu questionnaire ayant pour thème les sciences.

Dans la période actuelle, la culture scientifique est définie sur la base d'une approche plus large. Selon cette approche, l'essentiel est de faire le lien entre la science et les phénomènes vécus par l'étudiant (et par l'enseignant). L'emphase est beaucoup plus sur l'importance que la science soit comprise par ceux et celles qui ne poursuivront pas des carrières dans les sciences. En un mot, l'objectif de base est de former des citoyens informés, socialement responsables et compétents qui peuvent gérer adéquatement les problèmes sociaux liés à la science auxquels nous faisons tous face, par exemple, la pandémie.

Quels pourraient être certains des attributs de cette personne ayant développé une culture scientifique au cours des années ? Ils pourraient être les suivants, selon, bien sûr, les différents domaines scientifiques : la personne base ses conclusions sur des preuves, différencie les experts des personnes mal informées, comprend comment fonctionne la science et comment ses découvertes doivent être validées, sait faire la différence entre la science et la pseudoscience, peut analyser et traiter l'information, reconnaît que les connaissances scientifiques sont fiables, mais qu'elles peuvent changer, peut faire la différence entre une connaissance et une opinion, etc.

http://www.pmlq.qc.ca/images/2016/secteurpublic/160116-Montrea-ManifFAE-24.jpgIl va sans dire, assimiler les connaissances scientifiques fera toujours partie de la culture scientifique. Il est tout à fait impossible d'aborder une question sociale à connotation scientifique sans posséder la connaissance pertinente. Par exemple, pour traiter de la question de l'efficacité du port du masque pour limiter la transmission du virus, il faut absolument savoir comment les virus se propagent. En même temps, le fait d'assimiler les connaissances scientifiques en soi ne suffit pas.

En plus des connaissances scientifiques, l'autre aspect non moins important de la culture scientifique est de connaître les traits distinctifs de la science elle-même, un sujet souvent appelé « la nature de la science », plus précisément, comment la science « s'effectue ». C'est ainsi parce qu'en dernier recours ce qui est accepté comme connaissance scientifique est basé sur les données provenant d'études scientifiques fiables. Ces études doivent passer sous l'oeil critique, en prenant en compte, par exemple, la méthodologie, le contrôle des variables, les conclusions tirées, etc.

En outre, les affirmations scientifiques doivent être évaluées à la fois en termes de la validité de leur contenu et de leur pertinence (ou pas) sur une question donnée. Aussi, bien que les étudiants doivent apprendre à exercer une certaine indépendance intellectuelle dans l'évaluation d'affirmations scientifiques, il est presque inévitable de dépendre jusqu'à un certain point des opinions d'experts scientifiques, même lorsque les dits experts peuvent eux-mêmes être en désaccord. Le fait d'enquêter sur ces raisons mêmes sont une autre facette de la culture scientifique.

Si la connaissance scientifique fiable provient en fin de compte d'études de recherche scientifiques, nous sommes plus souvent qu'autrement exposés à de telles connaissances par le biais de médias populaires plutôt que par le biais de publications scientifiques. Les médias populaires peuvent être peu fiables – ceux et celles qui connaissent les médias sociaux en savent quelque chose – donc les étudiants doivent avoir à la fois une culture scientifique et médiatique. Aussi, tout le monde doit prendre en compte ses propres préjugés de confirmation, c'est-à-dire, la tendance à rechercher l'information qui vient confirmer l'opinion qu'on s'est déjà forgée.

Le fait d'axer un programme scientifique sur la culture scientifique offre un objectif et un contexte globaux. Cela permet de lier la science au vécu de l'étudiant et d'être en harmonie avec l'éthique et la pratique actuelles de la science. Pendant longtemps, l'approche pour améliorer un programme de science était simplement de mettre à jour le contenu de la matière des disciplines scientifiques traditionnelles. Ce qui est plutôt requis est de créer un programme d'études axé sur l'utilisation de la science pour le bien commun, sur une science qui n'est pas seulement au profit de quelques privilégiés, mais de toute la société.


Cet article est paru dans

Numéro 30 - 19 avril 2021

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