Ce projet de loi signifie moins d'accès aux traitements et moins d'accès aux indemnités

Félix Lapan est un organisateur communautaire avec l'organisation de défense des travailleurs accidentés, l'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM).

Forum ouvrier s'est entretenu récemment avec lui sur les conséquences qu'aura le projet de loi 59 du gouvernement du Québec sur ces personnes s'il est adopté. L'entrevue étant assez longue, nous reproduisons dans ce numéro la première partie sur les conséquences en ce qui concerne le droit à la reconnaissance des maladies professionnelles, à l'assistance médicale, aux traitements et à la réadaptation. Nous publierons la partie sur l'impact sur le droit aux indemnités dans un numéro ultérieur.

Forum ouvrier : Quelles seront les conséquences selon l'UTTAM du projet de loi 59 du gouvernement Legault sur les travailleuses et travailleurs accidentés ou malades s'il est adopté ?

Félix Lapan : De façon générale, ce projet de loi signifie moins d'accès aux traitements et moins d'accès aux indemnités pour les travailleurs accidentés.

Par exemple, le projet de loi va rendre plus difficile la reconnaissance de plein de maladies du travail ; il attaque le droit à l'assistance médicale, le droit aux traitements, médicaments, orthèses, prothèses qu'on peut avoir de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et il attaque le droit à la réadaptation pour les travailleurs et travailleuses qui ont des séquelles permanentes.

En ce qui concerne les victimes de maladies professionnelles, il y a des obstacles qui sont créés pour les surdités professionnelles et les victimes d'intoxication au plomb. Cela sera beaucoup plus difficile de faire reconnaître une surdité professionnelle et une intoxication au plomb.[1] Par ailleurs, on donne un pouvoir réglementaire à la CNESST pour ajouter des obstacles à toutes les maladies professionnelles, ce qui nous inquiète profondément. D'ailleurs dans le document du ministère du Travail sur les prévisions d'impacts du projet de loi, on prévoit des millions de dollars d'économies à cause des maladies refusées, en particulier les surdités professionnelles. En déposant son projet de loi, le ministre du Travail l'a d'ailleurs vanté comme une mesure qui va produire 4,3 milliards de dollars « d'économies » sur 10 ans pour les employeurs qui assurent le financement de la Commission par leurs cotisations.

Donc, pour les victimes de maladies professionnelles, il y a une réduction de l'accès aux traitements et indemnisations du régime.

Une fois qu'on a une lésion reconnue, en maladie ou en accident, la nouvelle loi attaque aussi le droit à l'assistance médicale. On change des éléments dans ce que comprend l'assistance médicale. Il y a un article présentement dans le régime actuel qui dit que l'assistance médicale est essentiellement à la charge de la CNESST. La Commission paie à 100 % les médicaments, orthèses, prothèses et toute une liste de traitements en clinique privée. Le projet de loi 59 vient changer cet article, l'article 194 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP), qui dit que l'assistance médicale est à la charge de la commission, qu'aucun frais ne peut être demandé à un travailleur pour de l'assurance-médicale dont il a besoin pour sa lésion. Le projet de loi supprime cet article et on dit que la CNESST va pouvoir adopter un règlement pour faire payer une partie des frais d'assistance médicale aux travailleurs. En ce qui concerne les médicaments, et cela est une première dans l'histoire du régime, avec ce règlement, ils ne paieront plus tous les médicaments.

Selon le projet de loi, on va payer seulement les orthèses et prothèses qui vont être prévues à un règlement, donc on va en enlever. La CNESST applique déjà des politiques internes qui limitent l'accès à l'assistance médicale, même si la loi ne le prévoit pas, et elle est donc souvent renversée par les tribunaux. Maintenant, ce ne sera plus seulement une politique interne mais un règlement. Est-ce que le règlement va être qu'ils remboursent les médicaments à 80 % comme c'est le cas d'un assureur privé, ou alors est-ce qu'il y aura des médicaments qui seront exclus du régime, on ne le sait pas. Le lendemain de l'adoption de la loi, la CNESST pourra publier son règlement dans la Gazette officielle et préciser comment l'accès à l'assistance médicale sera limité. Tout ce qu'on enlève de la loi et qu'on met dans des pouvoirs réglementaires à la CNESST, est désormais hors de notre contrôle. Ils peuvent changer n'importe dans les règles du jeu sans passer par un débat à l'Assemblée nationale, sans passer par l'adoption d'un projet de loi. Un règlement est publié dans la Gazette officielle, on a 45 jours pour faire des commentaires, après cela le règlement entre en vigueur par un arrêté du Cabinet.

Il y a beaucoup de choses qui passent ainsi de la loi à un pouvoir réglementaire à la CNESST. Le projet de loi 59 va faire passer la liste des maladies professionnelles qui sont protégées par la loi dans un règlement que la CNESST peut modifier à sa guise. Les obstacles qu'ils mettent à la reconnaissance de la surdité professionnelle et à l'intoxication au plomb, ils pourraient les mettre pour plein d'autres maladies. Ils viennent de mettre un taux de plombémie, qui n'a rien à voir avec la science, qu'il va falloir atteindre pour faire reconnaître une intoxication au plomb. Ils pourraient faire la même chose pour plein de métaux, à peu près tous les métaux, un paquet de substances toxiques. Tout à coup la CNESST devient le législateur.

On a un régime d'indemnisation qui est censé réparer les lésions professionnelles et leurs conséquences et mettre maintenant une partie des coûts de la réparation sur les travailleurs et travailleuses accidentés c'est inacceptable.

Le scénario qu'on voit présentement avec le règlement sur l'assistance médicale est le même scénario qui était dans les cartons de la CSST en 2012, avec le projet de loi 60 en 2012 qui prévoyait des enveloppes forfaitaires de traitement, tant d'argent pour telle ou telle maladie, et la personne est traitée jusqu'à ce que le montant soit dépensé. [Le projet de loi 60 est mort au feuilleton lorsque le gouvernement du Québec a appelé une élection générale - note de FO] On va se retrouver possiblement avec un règlement du même genre.

FO : On remarque aussi dans le projet de loi l'élimination pure et simple de la réadaptation physique.

FL : Oui, il y a une attaque également au droit à la réadaptation. La loi actuelle prévoit 3 types de réadaptation avec des programmes spécifiques. La réadaptation est pour les travailleurs qui ont des séquelles permanentes. Il y a la réadaptation physique, sociale et professionnelle.

La réadaptation physique est constituée notamment de traitements après la consolidation d'une lésion, des traitements pour quelqu'un qui a des séquelles permanentes. Ce ne sont plus des traitements pour guérir, mais pour contrôler et soulager la douleur, réduire les conséquences d'une perte de qualité de vie. Le projet de loi abolit purement et simplement la réadaptation physique. Autrement dit, les traitements médicaux, la physiothérapie, l'ergothérapie ou même la psychothérapie dans les cas de lésions psychologiques ne devront viser que la guérison ou le retour au travail. Une fois qu'un travailleur a des séquelles permanentes de sa lésion qui nuisent à sa qualité de vie, cela n'est plus important selon le projet de loi. C'est ça la logique. Il y a des limitations aussi à ce qu'on peut recevoir en fait de réadaptation sociale et professionnelle. La réadaptation sociale concerne des mesures de réadaptation comme l'aide à domicile ou l'aide à l'entretien à domicile, alors que la réadaptation professionnelle concerne des mesures comme la formation pour une réorientation professionnelle. Dorénavant, le projet de loi prévoit une liste fermée pour les mesures couvertes alors que présentement la liste est assortie du mot « notamment » ce qui ouvre l'espace à d'autres mesures.

Pour nous, ces attaques aux droits des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades sont inacceptables et profondément inquiétantes.

Note

1. L'atteinte auditive causée par le bruit est l'une des maladies professionnelles nommées expressément par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles. Actuellement, la seule condition pour bénéficier de la présomption pour cette maladie est d'avoir exercé « un travail impliquant une exposition à un bruit excessif ». Avec les amendements apportés au projet de loi 59, il faudra désormais démontrer une exposition à un seuil de plus de 85 décibels pendant huit heures par jour, sur une période d'au moins deux ans, par des moyens de preuve spécifiés par le règlement.

Une nouvelle condition est aussi imposée pour la reconnaissance de l'intoxication au plomb. La seule condition présentement est d'avoir exercé un travail impliquant l'utilisation, la manipulation ou une autre forme d'exposition au plomb ou à ses composés. Le projet de loi ajoute maintenant la condition d'avoir « une plombémie dont la valeur est égale ou supérieure à 700 g/L (microgrammes par litre de sang) ».

(Photos : UTTAM)


Cet article est paru dans

Numéro 25 - 7 avril 2021

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