Les manifestations pour l'abrogation des lois anti-fermiers se poursuivent
Une protestation Rail Roko bloque la voie ferrée à
Mansa, le 18 février 2021.
Tout au long du mois de février, les fermiers
ont mené plusieurs actions partout en Inde contre
les réformes agricoles mandatées par les
entreprises agroalimentaires mondiales, et exigent
toujours l'abrogation des trois lois adoptées à
toute vapeur par le gouvernement indien en
septembre 2020.
Les fermiers préparent de la nourriture
pour les passagers dont les trains
sont bloqués par les protestations.
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Le 6 février, les fermiers partout en Inde
ont bloqué des voies ferrées et des autoroutes
pendant quatre heures pour protester contre les
lois anti-fermiers que le gouvernement a adoptées
pour voler les terres des fermiers et les donner
aux grandes sociétés privées. Des cuisines
communautaires (Langar) ont été organisées pour
subvenir aux besoins des voyageurs dans les trains
et sur les autoroutes.
Le 18 février, les fermiers se sont
rassemblés aux stations de chemin de fer dans tout
le pays et ont bloqué les voies lors d'une
protestation nationale 'rail roko' de quatre
heures contre les lois agricoles.
Le 23 février a été célébré l'anniversaire
de Chacha Ajit Singh, l'oncle de Bhagat Singh,
dirigeant du mouvement des fermiers appelé Pagdi
Sambhal contre les Britanniques en 1907,
ainsi que celui de Swami Sahajanand Saraswati, qui
était aussi un dirigeant des fermiers à l'époque.
Ce mouvement avait mené à l'abrogation de lois
anti-fermiers britanniques.
Le 24 février a été souligné en tant que
journée contre la répression par les fermiers
partout en Inde pour contester les arrestations et
la violence déployée contre eux et leurs
dirigeants, leurs alliés et les enfants par la
police et d'autres agences de l'État.
Journée de protestation contre la répression,
le 24 février 2021
Le 26 février a été célébré en tant que
Journée des jeunes fermiers. À cette occasion, les
jeunes fermiers et d'autres jeunes ont été les
maîtres d'oeuvre des manifestations exigeant
l'abrogation des lois antifermiers. En date
du 26 février, les manifestations des
fermiers aux frontières autour de Delhi en étaient
à leur 93e jour et se sont propagées dans
toutes les régions de l'Inde. Des rassemblements
ont lieu dans diverses régions du pays. Des
fermiers ont l'intention d'organiser un cortège de
tracteurs jusqu'à Kolkata et ont organisé des mahapanchayats
au Bengale. Le 27 février, l'anniversaire du
Guru Ravidass a été célébré.
Célébration du Yuva Kisan Diwas, la Journée des
jeunes fermiers à la frontière de Singhu
avec Delhi, le 26 février 2021
Pendant ce temps, les villages ont déclaré qu'ils
entretiendront les champs et s'occuperont des
tâches agricoles des fermiers qui participent à la
manifestation aux abords de Delhi. Les conducteurs
de moissonneuses-batteuses ont annoncé qu'ils vont
récolter les champs de ceux qui manifestent. Les
fermiers sont prêts à tenir le coup pendant
longtemps. Ils ont annoncé que, si nécessaire, ils
renonceront à une récolte.
Les membres de l'industrie du film et du cinéma
du Pendjab ont annoncé qu'ils lanceraient l'appel
à leurs admirateurs à participer à des dharnas
(sit-in) dans les mois d'été à venir. D'autres
organisations se sont engagées à faire don de
générateurs et de glacières. L'amour social
exprimé partout est extraordinaire. Sa puissance
est partagée par la diaspora à des milliers de
kilomètres.
Deux jeunes femmes, Nodeep Kaur et Disha Ravi,
incarcérées pour avoir appuyé les fermiers, ont
déclaré qu'elles n'arrêteront pas d'appuyer le
mouvement, peu importe la pression exercée sur
elles. Les deux ont maintenant été libérées sous
caution. Les gens partout en Inde saluent leur
courage et leur esprit. Plusieurs jeunes fermiers
qui avaient été arrêtés sous de fausses
accusations ont aussi été libérés sous caution.
Certains ont raconté comment ils avaient été
torturés et menacés par la police qui tentait de
leur arracher des aveux comme quoi ils avaient été
engagés par quelqu'un pour participer à la
manifestation. Ils ont expliqué comment ils
avaient dit à la police que c'était leur décision
de participer et qu'ils retourneraient manifester,
peu importe les tortures que la police leur ferait
subir. Ils ont dit que dès leur libération, ils
allaient retourner directement prendre part aux
manifestations.
Une fermière dont le fils de 20 ans a été
abattu par balles par la police quelques jours
auparavant a dit qu'elle, sa famille ainsi que
tous les fermiers allaient se battre jusqu'au
bout. Elle a appelé les jeunes à se joindre à
leurs parents et leurs grands-parents en
redoublant d'ardeur, car l'heure était aux grands
sacrifices pour sauver leurs terres, leurs foyers
et leurs maisons.
Aux manifestations, des discussions très
informatives ont lieu. Un des orateurs a souligné
comment l'Inde a été forcée de signer l'Accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce et
comment l'Organisation mondiale du commerce avait
exercé de la pression sur le gouvernement pour
qu'il retire les prix minimaux de soutien. La
Banque mondiale a aussi menacé de retirer un prêt
si les lois agricoles ne sont pas adoptées.
Un autre fermier a
expliqué ce qu'est l'agriculture contractuelle. Il
a dit que c'est ainsi que les entreprises
chercheront à contrôler le prix des intrants et
que les fermiers vont signer le contrat pour
acheter tous les intrants des entreprises pour
ensuite vendre leurs produits à ces mêmes
entreprises en vertu des termes du contrat. Tout
litige sera sans recours juridique. L'entreprise
achètera les produits à un prix donné, les
entreposera et les vendra à des prix de 20
à 30 fois plus élevés. Il a donné l'exemple
des patates. La compagnie achète des patates à 5
roupies le kilogramme, mais vend en retour un sac
de croustilles aux fermiers, fabriqué avec une
seule patate, pour 20 roupies, ce qui revient
à payer 200 roupies pour un kilo de patates.
Un autre fermier a donné l'exemple des
choux-fleurs, expliquant qu'Ambani paie 5
roupies l'unité, mais, après les avoir entreposés
et mis en emballage, les vend en retour au prix
de 200 roupies l'unité. Un des fermiers a
aussi expliqué ce qu'était la nouvelle Loi de
l'eau. Les eaux souterraines sur les terres
n'appartiendront plus aux fermiers. Elles seront
données en contrats aux entreprises pour les «
purifier » puisqu'elles auraient été «
polluées par les fermiers ». Ceux-ci devront
par conséquent verser à la compagnie une redevance
pour puiser l'eau de leur propre terre pour des
besoins d'irrigation ou pour boire.
Les fermiers ont aussi fait valoir qu'ils avaient
été leurrés par toutes les institutions et les
partis au sujet de la Révolution verte et
maintenant ils souffrent des conséquences telles
que l'empoisonnement de leurs terres, de leurs
cours d'eau, l'endettement et le suicide. Cette
fois, ils ne s'y laisseront pas prendre, ont-ils
dit.
Aux États-Unis, plus de 85 syndicats de
fermiers ont exprimé leur appui à la lutte des
fermiers de l'Inde. Dans une récente déclaration,
ils ont appuyé toutes les revendications des
fermiers indiens, rappelant leur propre expérience
face à ces entreprises et soulignant comment les
politiques du gouvernement fédéral avaient été
dévastatrices pour les fermiers américains.
Au Pakistan, inspirés par le mouvement des
fermiers en Inde, les fermiers ont organisé un
cortège de tracteurs contre les prix élevés.
Depuis longtemps les petits fermiers et les
fermiers marginalisés manifestent dans des
endroits comme Ukara contre leur paupérisation.
L'élite dirigeante et ses
mentors et alliés étrangers perçoivent l'Inde
comme un pays foisonnant de ressources qu'il faut
extraire, emballer et vendre sur le marché mondial
pour le profit maximum. Ils ne voient pas l'Inde
comme un pays de plus d'un milliard de personnes
ayant des réclamations légitimes sur la société
qui doivent être satisfaites. Les intérêts
d'affaires convoitent la terre sans se reconnaître
d'obligations. L'État et le gouvernement indiens
néocoloniaux facilitent ce pillage de la terre,
peu importe le parti au pouvoir. Tout comme c'est
le cas avec le vol des terres en Europe, dans les
Amériques, en Australie et en Afrique, l'élite
dirigeante a recours à l'État pour voler les
terres de centaines de millions de fermiers par le
biais de lois d'entreprises anti-fermiers. Les
fermiers décrivent ces lois comme étant leur arrêt
de mort.
Le gouvernement indien mène une guerre
d'attrition, de désinformation, de diversion et de
déception. Il espère que les fermiers s'épuiseront
et que leur lutte s'essoufflera. Au cours des 70
dernières années, il a eu recours à la violence
communale et à une alliance gauche-libérale pour
attaquer les luttes du peuple à chaque moment
crucial. Que ce soit dans les années 1960,
pendant l'Urgence des années 1970, dans les
années 1980 et 1990, l'alliance
gauche-libérale, au nom du sécularisme, a volé au
secours de l'élite dirigeante. Maintenant les
partis gauche-libéraux comme le Congrès, le Parti
communiste de l'Inde et le Parti communiste de
l'Inde (marxiste) ont perdu toute crédibilité. Le
Parti Aam Aadmi n'a pas de présence nationale. Le
BJP est discrédité et les scissions au sein du
parti sont nombreuses.
Quelle arme l'élite dirigeante utilisera-t-elle
pour attaquer le mouvement des fermiers qui est
devenu un large mouvement populaire contre l'élite
dirigeante et ses mentors étrangers ?
Certains analystes suggèrent que l'élite
dirigeante aura de plus en plus recours à la «
politique » des assassinats, de la
criminalisation, de la répression, de l'anarchie
et de la violence à la suite des élections au
Bengale et dans le Tamil Nadu en avril. Le peuple
devra faire preuve d'une grande vigilance,
disent-ils. D'autres suggèrent que peu importe que
le mouvement populaire l'emporte ou qu'il soit
réprimé, l'État central est devenu un immense
aspirateur qui siphonne les ressources et est
devenu la prison de toutes les nations,
nationalités et peuples de l'Inde. Il tombera au
cours des prochaines décennies sous le coup des
luttes du peuple, donnant naissance à plusieurs
États autonomes et indépendants sur le
sous-continent, comme il est arrivé à la suite de
l'effondrement de l'Union soviétique. Cela va
engendrer une fédération ou une confédération de
l'Asie du Sud. Quoiqu'il en soit, une chose est
certaine : la situation fait naître la
possibilité de grandes transformations et que le
peuple s'investisse du pouvoir de décider, mais
aussi de dévastation et de destruction à une
échelle sans précédent si la question de
l'activation du facteur humain/conscience sociale
sous la forme d'une raison d'État et d'un
gouvernement axés sur l'être humain n'est pas
résolue.
Cet article est paru dans
Numéro 12 - 1er mars 2021
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