Grève générale d'onze mille travailleuses des Centres
de la petite enfance au Québec

En luttant pour nos travailleuses, nous luttons pour que le service aux enfants soit pérenne

Le 1er décembre, après des mois de tentatives infructueuses d'obtenir satisfaction à leurs revendications de salaires et de conditions de travail qu'elles jugent acceptables et qui défendent les services, les travailleuses des centres de la petite enfance (CPE) membres de la FSSS-CSN ont déclenché une grève générale illimitée. Forum ouvrier reproduit ci-dessous l'entrevue qu'il a faite avec Lucie Longchamps, la vice-présidente à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSS-CSN).

Forum ouvrier : Combien de travailleuses des CPE sont en grève générale en ce moment, et quel travail effectuent-elles dans les centres ?

Lucie Longchamps : Ce sont 11 000 travailleuses de la CSN en CPE qui sont en grève générale illimitée. Ces 11 000 travailleuses se répartissent en 400 CPE, qui comprennent 700 installations parce qu'un CPE peut comprendre plus qu'une installation. Ces CPE sont répartis à l'échelle du Québec.

Nous avons plusieurs titres d'emplois dans les CPE. Il y a l'éducatrice et l'éducatrice spécialisée, qui sont celles dont on parle le plus, qui sont au quotidien avec les enfants. Ce sont des femmes qui ont une formation collégiale, qui appliquent un programme éducatif, et le but ultime de ce programme est que chaque enfant, selon ses capacités, en vienne à développer son plein potentiel, pour qu'il arrive à la maternelle à l'âge de cinq ans avec le plus d'acquis possible et qu'il ne tire pas de l'arrière par rapport à ses camarades. L'éducatrice doit aussi identifier les enfants qui ont des soucis de développement. Cela peut être au niveau langagier, au niveau de la motricité, au niveau cognitif, où on décèle que certains tout petits pourraient avoir des besoins supplémentaires, et les éducatrices mettent tout en place pour que cet enfant-là ait tout ce dont il a besoin pour développer son potentiel.

Les éducatrices travaillent en étroite collaboration avec l'agente-conseil en soutien pédagogique, qui est elle-même une éducatrice qui a souvent fait des formations supplémentaires et souvent a beaucoup d'expérience, qui se spécialise dans l'identification des problèmes et la mise en place des plans d'intervention avec les outils nécessaires.

C'est un trio fort important dans les centres de la petite enfance.

Il y a la responsable à l'alimentation qui n'est pas uniquement une cuisinière, comme le prétend le gouvernement, mais qui voit à la gestion de la cuisine, aux achats, qui s'assure que tous les enfants qui ont des allergies alimentaires ou des intolérances ne reçoivent pas les mêmes aliments que les autres. Ceci, sans oublier tout le nettoyage de la cuisine après une longue journée de travail.

Il y a quelqu'un à la désinfection et au nettoyage, et il y a des agentes administratives qui sont là pour tout ce qui est dossier de parents, documents, la paie etc.

FO : Quelles sont vos principales revendications en ce moment ?

LL : L'élément principal en ce moment, c'est le rattrapage salarial, parce que les travailleuses des CPE ont été laissées de côté par le gouvernement libéral précédent lors des deux dernières négociations. Cette fois-ci, disent-elles, c'est leur tour, elles ne veulent pas manquer l'occasion. Elles réclament un rattrapage salarial maintenant. Lors des dernières négociations, elles ont eu des augmentations de l'ordre de 1,5 % parfois 2 %, elles ont perdu des congés fériés, ce n'ont été que des reculs et on a aussi ajouté à leur tâche.

Il y a une pénurie en ce qui concerne les éducatrices. Le gouvernement l'a reconnu. Le rattrapage salarial pour les éducatrices et les éducatrices spécialisées, c'est à peu près conclu. Elles ont obtenu une augmentation de 18 % sur trois ans, qui va les ramener à peu près au même niveau qu'on retrouve pour les travailleurs dans les mêmes titres d'emplois dans le milieu de garde scolaire dans les écoles.

Ce qu'il reste à régler, en ce qui concerne les salaires, ce sont les autres groupes d'emploi. On leur offre entre 6 % et 9,3 %. Ceci est loin d'être un rattrapage salarial, car étant déjà en rattrapage de deux négociations, elles veulent cette fois-ci gagner des salaires comparables à ce qui existe ailleurs pour les mêmes catégories d'emplois. Par exemple, la responsable en alimentation gagne environ entre 4 à 5 dollars de moins de l'heure qu'une personne qui fait le même travail dans un CHSLD. Si on ne réussit pas à combler cet écart, elles vont aller ailleurs.

C'est là-dessus qu'on se bute en ce moment et c'est pour cela que nous sommes en grève générale illimitée. Les travailleuses font preuve d'une très grande solidarité entre elles. Dans cette négociation, environ 85 % des travailleuses des CPE ont obtenu le rattrapage salarial. Il nous reste à régler le cas d'environ 15 % des travailleuses. Mais ce que les 85 % nous ont dit en assemblée générale, partout au Québec, dans le cadre d'un vote de grève de 91,2 %, c'est qu'il n'est pas question qu'on accepte cette convention collective si tous nos collègues n'obtiennent pas le rattrapage salarial auquel elles ont droit.

Une de nos principales revendications est la diminution de la surcharge de travail. Pendant les dernières années, sous le règne du gouvernement libéral, il y a eu énormément de compressions financières dans les CPE. Pour se conformer au budget qui leur est alloué, les directions des CPE ont effectué des changements qui ont causé une surcharge de travail. Prenons la question des ratios éducatrices/enfants. Selon le règlement du ministère de la Famille, il y a un certain nombre d'enfants qui est prévu, selon l'âge de l'enfant, par éducatrice. Tant d'enfants de tel âge pour une éducatrice. Cependant, ce qu'on applique souvent dans les CPE c'est un ratio-bâtisse. Cela veut dire que l'employeur applique un ratio global pour l'établissement, sur la base d'un calcul qui comprend tous les employés qui sont à l'intérieur, en omettant s'ils sont en présence d'enfants ou non. Cela fait en sorte que des éducatrices se retrouvent souvent avec plus d'enfants que le nombre prévu par le règlement. Par exemple, la direction d'un centre peut gonfler un groupe au-delà de la norme réglementaire en disant qu'il y a une personne supplémentaire sur les lieux, mais cette personne peut très bien ne pas être présente parmi les enfants. Le ministre n'a rien fait pour empêcher que les ratios soient gonflés. Le non-respect des ratios crée une surcharge et un problème de santé et de sécurité pour les enfants et les éducatrices. Nous demandons que les ratios soient respectés tels qu'ils existent dans le règlement.

Un autre problème important, c'est celui des enfants avec des besoins particuliers. Nos travailleuses ont besoin d'aide pour ces enfants-là. Les conseillères pédagogiques ont très peu de temps. Elles demandent du temps de planification, de l'aide pour ces enfants, y compris de l'aide extérieure pour qu'il y ait plus d'heures en accompagnement avec les éducatrices. Si l'éducatrice spécialisée n'est là que deux heures par jour, le reste de la journée de travail avec l'enfant qui a des besoins précis repose sur l'éducatrice qui a la charge du groupe et elle est constamment en surcharge de travail.

Une grève générale illimitée dans les CPE c'est du jamais vu et la solidarité des travailleuses entre elles est extraordinaire. Nous demandons que les travailleuses soient respectées, que les ratios soient respectés, que la valeur de toutes les travailleuses soit reconnue, que leur formation soit reconnue, et qu'on les aide en ce qui concerne les besoins particuliers des enfants. Toutes les travailleuses sont importantes. Tout ce que le premier ministre veut ce sont des centres, avec des locaux et des enfants dedans. Ce n'est pas une façon de développer ou même de maintenir ces centres de la petite enfance.

FO : Voulez-vous ajouter quelque chose en conclusion ?

LL : Ce que font les travailleuses des CPE en ce moment est historique, cela démontre une solidarité hors du commun. Cette grève vise à sauver le réseau des services de garde éducatifs au Québec. Sans ces travailleuses, je les nomme au féminin bien qu'il y ait quelques travailleurs masculins parmi nous, sans elles, ce réseau-là ne serait pas ce qu'il est. Chose certaine, sans leur action, dans quelques années, le réseau ne sera plus en place. Les travailleuses aident le Québec dans son ensemble par ce qu'elles font présentement. Nous sommes encore bien appuyées des parents malgré les difficultés que leur cause la grève. Nous recevons des messages d'appui de parents qui nous disent que c'est pour eux que nous luttons. En luttant pour nos travailleuses, nous luttons pour que le service aux enfants soit pérenne au Québec.







Premier jour de grève générale dans les CPE au Québec, 1er décembre 2021

(Photos: FSSS-CSN.)


Cet article est paru dans

Numéro 115 - 3 décembre 2021

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