Le Honduras

La migration de masse, un legs de l'après COVID-19

Une caravane de migrants honduriens traverse le Guatemala, en janvier 2021.

« La réponse de Trump a été d'adopter des politiques d'immigration draconiennes
pour tenter d'abroger nos lois d'asile et de réfugiés, et de réduire grandement notre aide étrangère dans la région. » - Joe Biden

Dans les programmes de réforme agraire des années 1970 et d'une partie des années 1980, la migration interne faisait partie de la politique de l'État d'organiser et de former les paysans afin qu'ils aient accès à des terres productives et non cultivées de bonne qualité appartenant à de grands propriétaires. Il y avait aussi une stratégie de transfert des familles paysannes des régions moins développées vers celles ayant un plus grand potentiel, bien qu'une partie de la terre promise fût propriété de l'État.

Ces politiques et ces actions avaient non seulement l'appui de la coopération internationale, qui approvisionnait les paysans « migrants » en nourriture et en vêtements, mais celui de l'État lui-même, avec ses programmes d'assistance technique, de crédit et d'outils. Mais ces programmes étaient aussi appuyés par diverses banques pour l'exécution de projets de développement agricole, soutenus par l'exportation de récoltes telles que les bananes, les noix d'acajou, le coton et les agrumes, alors que des compagnies transnationales et des intermédiaires locaux contrôlaient la commercialisation de ces produits, transférant ainsi les risques de la production aux fermiers et aux gouvernements eux-mêmes.

La situation n'a pas été la même pour les migrations à l'extérieur du pays, où le risque était assumé par les migrants individuels et leur famille (aujourd'hui, ils sont en quête du rêve américain  le père, la mère, les enfants et d'autres membres de la famille), un facteur qui a pris de l'ampleur à la suite de la crise politique générée par le coup d'État de juin 2009. Avant cela, de façon générale, la migration externe se faisait sur une base volontaire et spontanée. Les gens qui réussissaient à traverser la frontière entre le Mexique et les États-Unis faisaient parvenir de l'argent aux membres de la famille pour qu'ils puissent partir à leur tour, ou engageaient un « coyote » pour les aider à parcourir la route vers le nord. Certains sont restés au Guatemala ou au Mexique pour y travailler, pour mettre de côté l'argent nécessaire à un périple sécuritaire, d'autres sont simplement retournés, ou ont été déportés par les autorités de l'immigration mexicaines ou gringos.

Aujourd'hui, la migration vers les États-Unis est devenue compliquée. D'une part, la paralysie et l'abandon des programmes de réforme agraire ont mené à l'expulsion de la population paysanne des régions rurales vers la ville et éliminé les programmes de migration provoquée soutenus par l'État et la coopération internationale. En même temps, il y a eu une concentration accrue d'appropriation des terres et une plus grande précarité rurale, ce qui a engendré une plus grande pauvreté et l'insécurité alimentaire. Depuis les années 1990, les programmes à la mode ont été des programmes de transfert conditionnel de fonds et d'aide alimentaire, augmentant encore plus la dette, ainsi que le recours aux surplus de céréales de base que les producteurs américains « subventionnés » par l'État ne peuvent vendre sur leur marché régional, affectant ainsi négativement la production locale.

Cette situation a été rendue encore plus compliquée par des politiques et des programmes orthodoxes de stabilisation économique et d'ajustements structuraux appuyés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, qui ont engendré un déclin des dépenses de l'État qui a heurté de front les paysans oeuvrant dans l'agriculture domestique. Tout cela a augmenté la concentration de la propriété foncière et la dépossession des ressources naturelles et de la biodiversité dans les communautés. Contrairement à ce qui était visé par leur conception, ces politiques ont engendré une plus grande migration, et en même temps moins de protection économique et sociale pour les familles pauvres et vulnérables.

La COVID-19 et des phénomènes naturels comme les ouragans Eta et Iota ont fait en sorte que les inégalités et le manque de débouchés sont devenus plus visibles pour les familles rurales, ce qui affecte présentement surtout les jeunes dans les centres urbains où les emplois sont devenus une denrée rare et où le gouvernement est engagé directement dans la violence, le trafic de stupéfiants et la corruption.

Le discours du gouvernement et des politiciens est que ce sont les migrants qui sont le problème, donc il est nécessaire de trouver tous les moyens possibles de les convaincre de ne pas migrer, mais en réalité il s'agit d'un droit humain. Le père de famille qui a perdu sa terre parce qu'il n'a pu rembourser ses dettes à la banque à la suite d'une récolte détruite, ou qui, en ville, a été congédié de son emploi précaire à cause du confinement et pour éviter la propagation de la COVID-19, ou dont la maison a été détruite par Eta, n'a pas une foule d'options pour arriver à nourrir sa famille et à survivre. Ce qui s'offre à lui, c'est la migration ou la mort.

Le gouvernement de la République espère que les choses retourneront à la « normale » d'avant la COVID-19, mais avec les politiques qui promeuvent la concentration de la propriété foncière rurale, la destruction des ressources naturelles, l'exclusion économique et sociale en raison d'un manque de programmes domiciliaires à grande échelle pour le peuple, d'accès à l'éducation, à la santé et à des emplois durables organisés par l'État, cette normale était et continuera d'être une normale d'exclusion.

La politique de Donald Trump, acceptée sans rechigner par les gouvernements du Honduras, du Guatemala et du Mexique, a aussi rendu possible, en pratique, la criminalisation de la migration devenue un délit, en dépit des discours des représentants publics et de la police que la migration continue d'être un droit humain. Ces pays sont devenus une extension de la « migra gringa » [Service de l'immigration et de l'application des règles douanières des États-Unis], puisque leurs forces policières sont responsables de la persécution des migrants. Ceux-ci sont organisés et retenus dans des centres publics (que certains appellent des cages) ou dans des centres sociaux, en attendant que leur demande d'asile soit traitée, ce qui ne se produit pas. Mais d'autres sont simplement déportés et séparés de leurs enfants, sans avoir pu réussir à faire traiter leur demande par les autorités d'un pays sûr, comme le Guatemala ou le Mexique.

Les migrants quittent San Pedro Sula au Honduras vers le nord, le 14 janvier 2021.

Le 14 janvier 2021, une nouvelle caravane de migrants a quitté San Pedro Sula, la capitale industrielle du Honduras  près de 3 000 personnes selon les chiffres officiels  faisant en sorte que 6 000 personnes étaient entassées à la frontière du Guatemala le dimanche 17 janvier (de nouvelles caravanes se sont rajoutées au cours de la fin de semaine, selon ce qui a été rapporté dans la presse non monopolisée, y compris des enfants, mais aussi des adultes plus âgés, des femmes enceintes et des personnes invalides). La police hondurienne, plutôt que de les encourager à poursuivre leur route et de leur souhaiter bonne chance, leur dit de faire attention aux « migra » du Guatemala et du Mexique, et de ne pas tenter de se rendre à la frontière américaine. En plus des documents personnels (certificats d'identité et de naissance pour les enfants), un test de la COVID-19 est requis pour entrer au Guatemala, et ceux qui ne s'y conforment pas seront déportés.

La mobilisation de la police et des forces armées guatémaltèques à la frontière du Honduras a été considérable. Il en va de même avec la police mexicaine à la frontière du Guatemala, où le mot d'ordre est « No Pasaran », conformément à l'engagement qu'ils ont pris envers Donald Trump lorsqu'ils ont accepté d'agir comme des « pays sûrs » pour les migrants. La presse parle de Honduriens ayant été déportés avant d'entrer au Guatemala, c'est-à-dire par les douaniers et agents associés, mais les migrants, qui n'ont pas l'intention de s'en retourner confrontent la police et l'armée, espérant pouvoir franchir près de 20 cordons de sécurité à la frontière entre le Guatemala et le Mexique.



Les migrants  sont attaqués brutalement par la police et les soldats du Guatemala,
le 17 janvier 2021.

Les déportés seront inscrits par les autorités honduriennes en vertu du décret exécutif numéro PCM-033-2014, qui déclare une urgence humanitaire en raison des migrations de masse et oblige le gouvernement à activer le système de protection sociale dont la principale politique est les transferts conditionnels de fonds et l'assistance alimentaire, ainsi que des emplois temporaires et de piètre qualité lorsque les ressources et les projets nécessitent le plus souvent une main-d'oeuvre non qualifiée. De même, les centres de soins aux enfants et aux familles migrantes doivent être activés, ce qui ne garantira pas non plus une réintégration concrète dans les marchés du travail ou dans les écoles et les logements.


Les migrants face à la police du Guatemala

Selon les chiffres de l'Institut national de la migration (INM) du Honduras, en 2020, 43 757 Honduriens ont été déportés des États-Unis, du Mexique et du Guatemala et, de ce nombre, 10 484 étaient des mineurs. Curieusement, le plus grand nombre de personnes déportées viennent du Mexique, et non des États-Unis, ce qui prouve que la politique de Trump a été efficace, quoique les coûts soient assumés par le pays sûr, qui dans ce cas est le Mexique.

La migration de Honduriens a lieu à peine quelques jours après l'investiture de Joe Biden en tant que président des États-Unis. Les migrants s'imaginent qu'il y a de l'espoir et que le nouvel occupant de la Maison-Blanche assouplira ou éliminera les politiques, les actions et les lois approuvées par l'administration Trump, qui à la fin de son mandat a tout fait pour entraver les actions du nouveau gouvernement et retarder la mise en oeuvre de nouvelles lois. Dans la même veine, ils comptent sur Biden et le fait qu'il respectera son engagement électoral d'accorder la résidence au plus grand nombre possible de Latino-Américains vivant aux États-Unis. Il y a aussi des revendications pour exiger que les enfants ne soient pas séparés et que ceux qui sont sans accompagnement bénéficient d'une protection adéquate et soient réunis, pour enfin éliminer ce que Trump appelait la « tolérance zéro ».

On espère que Biden relancera le Plan de l'Alliance pour la prospérité du Triangle nord en Amérique centrale (le Guatemala, le Salvador et le Honduras) dont il était le responsable lorsqu'il était vice-président dans l'administration Obama, mais qui a été interrompu ou ne s'est pas concrétisé, sans doute parce que la spécialité de ce gouvernement était les déportations. Le budget de ce plan était de 750 millions de dollars pour accélérer les réformes nécessaires dans la région, en particulier la lutte contre le crime organisé, le combat contre la pauvreté et la consolidation des institutions publiques contaminées par le virus de la corruption et de l'inefficacité. Un des problèmes qui se posaient, sans compter le fait que Trump avait gelé les fonds, était de faire confiance à des dirigeants et des gouvernements contaminés par la corruption et la collusion avec le crime organisé.

Cette initiative a été prise en main par le Mexique avec l'appui de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), au moment de formuler et d'approuver le Plan global de développement pour le Salvador, le Honduras, le Guatemala et le Mexique, mais les gouvernements de l'Amérique centrale et les organisations d'appui aux migrants attendent toujours les ressources financières annoncées. En outre, malgré l'appui des Nations unies et de l'Union européenne, ce plan était mal engagé dès le départ puisqu'il allait à l'encontre de la politique de Donald Trump dans la région, celui-ci ayant même développé un ordre du jour parallèle aux propositions du Plan. De plus, le Plan repose sur des gouvernements et des dirigeants politiques faisant l'objet d'enquêtes pour des actes de corruption et accusés d'avoir des liens avec le trafic de stupéfiants. On s'attend à ce qu'avec Biden l'ordre du jour de travail du Plan soit relancé, mais la CEPAL devra ajuster ses propositions et chercher à avoir une approche plus bienveillante pour ce qui est du développement global des pays, notamment en consultant le peuple et ses organisations d'appui.

Au Honduras, tout indique que les politiques et les lois en appui aux migrants ne fonctionnent pas, les politiques économiques, agricoles et sociales mises en oeuvre depuis le coup d'État étant par définition des politiques d'exclusion, avec un modèle économique qui est un échec, mais qui continue d'être promu. Il en va de même pour les actions de la Commission nationale des Droits humains et sa Stratégie de sécurité humaine pour le développement social, qui est perçue comme une mesure qui change peu de choses à la politique de pouvoir centralisé et à la violation systématique des droits humains, et qui a peu d'impact sur la qualité de vie des familles des municipalités et les revendications des citoyens pour leurs droits.

Choluteca, Honduras, 17 janvier 2021

(ALAI, 18 janvier 2021. Traduit de l'espagnol par LML. Photos : ajplus, Informadornews, Belize Politics, B. Slabbers)


Cet article est paru dans

 Numéro 7 - 17 février 2021

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Le Honduras: La migration de masse, un legs de l'après COVID-19 - Javier Suazo


    

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