« Nous voulons du renfort et être reconnues pour le travail que nous faisons au front depuis 9 mois »

- Entrevue avec Julie Bouchard -

Julie Bouchard est la présidente du Syndicat des professionnelles en soins du Saguenay–Lac-Saint-Jean, membre de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Elle représente 3 200 professionnelles en soins, infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques.

Forum ouvrier : Quelles sont les principaux problèmes auxquels vous faites face en ce moment ?

Julie Bouchard : Le problème majeur en ce moment en ce qui nous concerne, c'est le manque de personnel, manque d'infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes, dû entre autres à des problématiques antérieures à la pandémie et qui évidemment se sont amplifiés depuis le début de la crise de la pandémie.

Avant la pandémie, on faisait déjà face à une pénurie assez importante de professionnelles en soins. Dans la région, l'attraction a toujours été quelque chose d'assez difficile. Il faut comprendre que si je pars de Chicoutimi et que je m'en vais travailler à Dolbeau, qui appartient au CIUSSS également, c'est environ deux heures de route. Et si je pars de Chicoutimi et que je m'en vais à Québec, qui est en dehors de notre territoire, c'est également environ deux heures de route. Entre les deux, plusieurs personnes vont privilégier les grands centres au détriment des centres où il y a un moins gros volume de soins qui se donne.

À l'intérieur du territoire, nous avons nos grands centres comme Chicoutimi, Jonquière et Alma et des centres plus petits. S'ils ne sont pas nés dans des villages et des villes éloignés de ces grands centres régionaux, des gens vont préférer aller vers les grands centres à l'extérieur de la région ou encore obtenir des postes dans nos grands centres au détriment des plus petits centres où la rétention devient encore plus difficile. Des services ont dû être réduits ou mêmes fermés dans ces plus petits centres par manque de personnel soignant, pas par manque de médecins.

Dans un deuxième temps, comme nous sommes en région, ce qui touche au rehaussement des postes, le côté rétention, conserver nos professionnelles qui sont déjà dans le réseau, c'est toujours plus difficile de faire valoir nos points, de faire avancer nos dossiers. On dirait qu'aux yeux du ministère ou de certains dirigeants du CIUSSS, c'était comme si on était quand même capable de s'auto-suffire alors que le mode de gestion ici est le temps supplémentaire obligatoire. On nous impose le temps supplémentaire obligatoire de manière quasi quotidienne.

Face à notre sérieux problème de rétention et d'attraction, nous disons qu'il faut donner un coup de barre pour faire en sorte que nos types d'emplois respectifs soient valorisés pour que les jeunes décident d'aller dans le réseau de la santé et que les personnes en place présentement y restent, ne partent pas en retraite anticipée et ne changent pas de carrière.

FO : Pouvez-vous nous expliquer comment, dans les conditions de la pandémie, les problèmes se sont aggravés ?

JB : Les problèmes ont surgi assez rapidement parce que pour être préventifs, il a fallu retirer les femmes enceintes et les femmes immuno-supprimées, ce qui a causé une perte d'environ 100 professionnelles en soins. Déjà que le taux d'absentéisme ici, pour des raisons physiques ou psychologiques était très élevé. On parle d'un taux d'environ 12 à 14 % avant même la pandémie.

Depuis la deuxième vague, c'est l'ensemble du territoire ici qui est touché avec des éclosions dans les hôpitaux, les CHSLD, les résidences pour personnes âgées. On a un très gros manque de personnel soignant qui est très fortement touché par le virus.

Nous faisons face au problème des arrêtés ministériels. Il y a trois aspects où nous sommes vraiment touchés par ces arrêtés.

Le premier point, c'est le rehaussement de disponibilité à temps complet. Pratiquement l'ensemble des professionnelles en soins, de Jonquière, Chicoutimi et Alma ont été forcées d'être disponibles à temps complet alors qu'avant elles étaient à temps partiel.

Le deuxième point est le déplacement de personnel d'un établissement à l'autre pour aller couvrir les besoins qui étaient les plus critiques.

Le troisième est l'imposition des quarts de travail de 12 heures. Cette imposition s'accompagne de la modification des horaires de travail. Par exemple, à l'intérieur d'une période de 7 jours, l'employeur a le droit en vertu de l'arrêté ministériel de faire travailler de soir quelqu'un qui est sur un horaire de jour, de changer son horaire de travail. L'imposition des quarts de travail de 12 heures a causé une grande colère parmi les membres qui sont déjà soumis plus souvent qu'autrement au temps supplémentaire obligatoire. Et on leur dit maintenant qu'elles doivent faire des douze heures de travail. Tout ceci complique beaucoup la conciliation travail/famille du personnel, avec les garderies, avec l'école; pour certaines d'entre elles c'est un enjeu majeur.

Les travailleurs et travailleuses de la santé du Saguenay–Lac-Saint-Jean manifestent en appui à leurs revendications, le 9 juillet 2020.

FO : Quelles sont vos demandes dans les conditions actuelles où les éclosions augmentent beaucoup, y compris dans votre région ?

JB : Nous demandons du renfort. Nous avons besoin d'aide. Nous demandons du personnel supplémentaire, un enlignement du gouvernement pour venir nous donner un coup de main. Nous avons l'impression d'être oubliés. On a l'impression de se faire dire « organisez-vous ! ».

Il y a une explosion des hospitalisations liées à la COVID. La pression est très forte, la surcharge de travail est énorme, la détresse aussi. C'est difficile de voir à quel point le réseau de la santé a été malmené pendant plusieurs années.

Nous avons reçu du renfort d'infirmières provenant de l'Institut de cardiologie de Montréal et de Sainte-Justine. C'est un soulagement, mais nous aurions besoin d'un autobus plein de professionnelles en soins. Ce que nous avons demandé ce sont les finissantes en troisième année, que ce soit en soins infirmiers, infirmières auxiliaires ou inhalothérapeutes. Nous voulons qu'elles viennent en renfort. Il y a des discussions avec le ministère de la Santé et le ministère de l'Éducation à ce sujet-là, mais c'est très lent et ça semble tellement compliqué.

Nous avons demandé aussi qu'il y ait de la reconnaissance des professionnelles en soins, mais ce n'est pas cela qui se produit. Elles sont maltraitées à coup d'arrêtés ministériels, la surcharge de travail est encore plus lourde qu'elle ne l'était auparavant.

Ce que nous voulons c'est pouvoir donner des soins sécuritaires et de qualité à la population. C'est l'engagement que nous avons pris lorsque nous avons terminé nos études. C'est notre priorité numéro un. Deuxièmement, ce qu'on demande c'est la reconnaissance. Arrêtez de nous appeler vos anges gardiens, quand vous n'êtes même pas capables de prendre soin de nous correctement, alors que nous sommes au front depuis neuf mois. Nous avons besoin d'aide.

(Photos : FIQ)


Cet article est paru dans

Numéro 83 - Numéro 83 - 10 décembre 2020

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