Il faut aborder le problème des agences privées de placement
- Entrevue avec Denis Cloutier -
Campagne « Les soins de santé sont à l'agonie.
Nous sommes la solution » de la Fédération
interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ),
septembre 2020
Denis Cloutier est le président du Syndicat
des professionnelles en soins de
l'Est-de-l'Île-de-Montréal (FIQ SPS ESTIM).
Forum ouvrier : Quelles sont
vos principales préoccupations en ce moment ?
Denis Cloutier : Nous sommes
très inquiets face à ce qui va se passer en
janvier. Je m'attends à une nouvelle hausse des
cas de COVID-19 à cause du temps des Fêtes. Quand
les gens se croisent plus, il y a plus de
transmission de virus. S'il y a beaucoup
d'éclosions cela met plus de pression sur le
milieu hospitalier, une partie du personnel finit
par l'attraper, il doit s'absenter du travail et
la pression est encore plus grande sur ceux qui
restent avec toutes les conséquences qu'on
connaît.
Nous sommes aussi en pleine négociation avec le
gouvernement du Québec pour le renouvellement de
notre convention collective. Un des problèmes
majeurs que nous avons est celui des agences
privées de placement. Historiquement, ces agences
engageaient des infirmières qui recevaient un
meilleur salaire que dans le réseau public, mais
qui jouaient un peu un rôle de bouche-trou du
réseau. Elles pouvaient travailler très loin de
leur domicile ou faire du remplacement dans un
quart de nuit où il manquait de personnel, en
échange d'un meilleur salaire. Elles ne
travaillaient pas pour le gouvernement, mais pour
une agence. Les infirmières du réseau avaient de
meilleures conditions de travail dans l'ensemble,
mais un moins bon salaire. Ce qui fait que le
personnel employé par les agences représentait
toujours un pourcentage faible de l'ensemble du
personnel. Il y avait un certain équilibre dans le
réseau.
Quand est arrivée la
pandémie, le gouvernement Legault a adopté des
arrêtés ministériels, dont un qui nous touche
beaucoup qui s'appelle l'Arrêté 007
(du 21 mars 2020) qui vient altérer les
conventions collectives et permet aux employeurs
de déplacer le personnel comme ils veulent, de les
affecter de jour, de soir, de nuit, d'imposer le
temps complet. Cet arrêté ministériel a été
appliqué seulement aux employés du réseau. Les
agences sont soudainement devenues très
attrayantes parce qu'un employeur, par exemple,
peut maintenant déplacer une infirmière qui, au
fil des années, avait acquis un beau poste dans un
CLSC, vers un poste de nuit dans un CHSLD, et
engager une infirmière d'une agence qui est payée
plus cher pour travailler dans ce poste de jour
dans un CLSC, sans travail de fin se semaine, etc.
Il n'y a plus d'équilibre.
Nous perdons une grande partie du personnel aux
agences privées de placement qui offrent non
seulement de meilleurs salaires, mais de
meilleures conditions maintenant. Les mêmes
personnes reviennent travailler dans le réseau et
choisissent leurs conditions. Elles peuvent
décider de ne pas travailler l'été, ou de ne pas
travailler deux semaines pendant les Fêtes. En ce
qui concerne le régime de retraite, elles doivent
démissionner du RREGOP (Régime de retraite des
employés du gouvernement et des organismes
publics), mais les agences sont devenues des
organismes de plus en plus développés et elles
leur offrent des régimes de retraite. Je ne dis
pas qu'ils sont comparables au RREGOP, mais les
infirmières se disent qu'avec la différence de
salaire, elles peuvent mettre de l'argent de côté
pour leur retraite.
Cela va devenir un problème très sérieux pour le
Québec parce qu'en ce qui concerne notre CIUSSS,
la première vague de la COVID-19 nous a fait
perdre environ 300 infirmières au profit des
agences et environ 500 au total jusqu'à
maintenant. On craint que ce phénomène s'accentue
encore pendant et après le temps des Fêtes. Il y a
un fort sentiment d'injustice parmi nos membres
parce que les infirmières engagées par les agences
travaillent à côté d'elles, on ne leur impose pas
de temps supplémentaire, etc.
Il faut arrêter cette iniquité afin
de ramener les infirmières dans le réseau. Je n'en
veux absolument pas aux infirmières
individuellement qui font le choix d'aller
travailler pour une agence. Mais cela crée des
iniquités et cela serait beaucoup plus simple à
gérer si l'ensemble du personnel travaillait pour
le réseau. Il y aura toujours des inconvénients
dans le réseau, il faut que le système
fonctionne 24 heures par jour, 7 jours
par semaine, mais la meilleure façon c'est de
répartir les inconvénients sur le plus grand
nombre possible.
Mon autre grande préoccupation est tout ce qui
est rattaché à notre négociation avec le
gouvernement. Cela enverrait un signal positif que
le gouvernement Legault signe une convention
collective qui est acceptable pour nous. Cela
enverrait le signal que le personnel est écouté et
valorisé. Et cela aiderait à freiner la COVID-19
aussi. Cela valoriserait les emplois, les gens
décideraient en plus grand nombre de rester.
FO: Veux-tu
ajouter quelque chose en conclusion?
DC: Le
risque de l'attitude du premier ministre Legault
c'est qu'on ne regarde pas la réalité telle
qu'elle est. Nos demandes sont importantes, mais
il faut aussi accroître les investissements dans
le réseau de la santé. Cela fait 25 ans de
gouvernements qui ont tous suivi cette ligne-là de
déficit zéro, que l'hôpital ne doit pas dépenser
plus que tant d'argent, etc. Les édifices sont
devenus plus vieux et plus mal en point, le nombre
de patients à soigner qu'on a donné à chaque
infirmière a été constamment augmenté au point que
cela devient insoutenable. Il faut élargir le
débat et augmenter les investissements dans
l'ensemble du système de santé.
Cet article est paru dans
Numéro 83 - Numéro 83 - 10 décembre 2020
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