Les travailleurs dans le feu de la
lutte
pour freiner la COVID-19
Protéger les travailleurs et travailleuses du Québec face aux éclosions accrues aux endroits de travail
- Entrevue avec Ann Gingras -
Ann Gingras est la présidente
du
Conseil central de
Québec—Chaudière-Appalaches-CSN (Confédération
des
syndicats nationaux). Le Conseil central
représente
environ 45 000 membres, dans tous les
secteurs d'activité,
notamment la santé, l'éducation, la
construction, les services publics,
le commerce et le secteur manufacturier.
Forum ouvrier : L'Institut
national
de santé publique du Québec parle d'une
propagation sérieuse de la
COVID-19 dans les endroits de travail au Québec.
Est-ce un phénomène
que vous vivez dans votre région ?
Ann Gingras : Oui, nous le
vivons.
Pendant la première vague, nous avons été assez
épargnés. Nous avons eu
très peu de cas dans la Capitale nationale et
encore moins dans
Chaudière-Appalaches, mais nous nous faisons
rattraper pendant la
deuxième vague. On le voit par la transmission
communautaire, ce qui
veut dire aussi dans les milieux de travail, comme
la santé évidemment
mais aussi, maintenant, dans le secteur privé. Il
y a eu une éclosion
au chantier naval de Davie et une éclosion sans
précédent à l'abattoir
d'Olymel à Vallée-Jonction.
Il y a des endroits de travail
heureusement
qui ont mis en place un fonctionnement par bulle
de travail, ou qui ont
revu l'organisation des postes de travail. Mais,
en ce qui concerne les
syndicats, c'est un combat de tous les jours de
s'assurer que les
équipements de protection individuelle sont
disponibles et en nombre
suffisant et que les conditions sont sécuritaires.
FO : Quel est le travail du
Conseil
central pour freiner la propagation de la
COVID-19 ?
AG : Il y a tout d'abord un
vaste
travail d'information, de sensibilisation, de
soutien aux exécutifs
syndicaux au niveau local.
Par exemple, au printemps, nous avons dû faire un
travail de tous les instants avec toutes les
politiques qui nous
arrivaient, au niveau du gouvernement du Québec ou
du gouvernement
fédéral, au niveau des politiques d'aide. Juste
pour démêler cela et
préparer un document accessible qui soit mis à la
disposition de nos
membres, cela a été tout un travail qui a été
fait. On a dû mettre le
tableau à jour presque à chaque semaine parce que
les politiques
changeaient ou se rajoutaient. Il a fallu
rejoindre les gens le plus
largement possible pour qu'ils puissent utiliser
les services
existants, notamment dans le secteur de
l'hôtellerie où les gens sont
sans emploi et où l'avenir de plusieurs hôtels est
même menacé. Sans
oublier les gens de la restauration, dans le
secteur des services, qui
est un secteur très durement touché.
En ce qui concerne les équipements de protection,
pendant la première vague, si on parle en
particulier dans le secteur
de la santé, les gestionnaires n'étaient pas prêts
pour cette vague. Il
n'y avait pas assez d'équipements de protection
individuelle. Il y a eu
toute une course au début pour avoir les
équipements nécessaires et en
quantité suffisante. Pendant cette deuxième vague,
la situation au
niveau des équipements de protection est toujours
à surveiller. On doit
toujours s'assurer que cela ne manque pas, dans la
santé et de façon
générale dans les milieux de travail.
Il y a eu beaucoup de signalements au niveau de
la Commission des normes, de l'équité, de la
santé et de la
sécurité du travail (CNEEST) pour des consignes
sanitaires qui n'ont
pas été respectées ou des équipements de
protection individuelle qui
manquaient. Je dois dire que la CNEEST est assez
réticente au niveau
des avis qu'elle peut émettre envers les
entreprises ou les
établissements. Elle va peut-être envoyer un
inspecteur pour venir
inspecter les lieux, mais c'est très rare qu'elle
condamne un
employeur. En ce qui nous concerne, la santé des
gens n'est pas quelque
chose de négociable.
Avec la réouverture des écoles, en septembre, les
syndicats ont dû être vigilants. Une de nos
grandes préoccupations est
le personnel de soutien. Les enseignants et les
enseignantes sont
extrêmement importants, mais le personnel de
soutien est très important
lui aussi. Par exemple, il a fallu s'assurer que
les conducteurs
d'autobus scolaire soient protégés. Les
conducteurs d'autobus scolaires
sont souvent des personnes plus âgées et donc plus
à risque. Il a fallu
trouver les moyens pour qu'ils soient protégés
pendant qu'ils gèrent ce
qui se passe dans leur autobus.
Il faut aussi s'assurer que le personnel de
soutien dans
les centres de services scolaires (anciennement
les commissions
scolaires) soit protégé. Je pense entre autres aux
éducatrices au
niveau des services de garde. Elles sont épuisées,
il y a une vague de
départs. Le gouvernement a très peu de
préoccupations envers ces
gens-là. Le concept de bulle-classe ne tient pas
dans les services de
garde. Les éducatrices s'occupent d'enfants qui
proviennent de
différentes bulles. Il faut réduire les groupes,
réduire le nombre
d'enfants par éducatrice. La question est ramenée
à une question de
coûts. Oui, il y a des coûts, mais qu'est-ce qu'on
fait du coût social
qu'on est en train de payer avec le nombre de
personnes qui quittent le
réseau, qui tombent malades ? Les éducatrices
nous disent qu'elles
en sont réduites à jouer à la police, à passer
leur journée à dire aux
enfants ce qu'ils ne peuvent pas faire. Elles ne
sont pas capables de
jouer leur rôle d'éducatrices.
Aussi, il y a la façon de gérer, de la part du
ministère
de la Famille au niveau des responsables des
services de garde en
milieu familial. C'est une véritable hécatombe
pour ces femmes-là. Ce
sont des femmes qui prennent soin des enfants à la
maison, qui les
reçoivent à la maison. Les consignes sanitaires
qui se sont rajoutées
allongent la journée de travail, avec la
désinfection de leur maison
par exemple à la fin de la journée. Dans la
région, il y a 200
femmes qui ont quitté le réseau des services de
garde. Elles sont
sous-payées, surtout avec les heures qui se
rajoutent.
Au niveau des professeurs, ils ont dû se
réorganiser et
apprendre à donner des cours en ligne. Ils doivent
contrôler un cours
qui se donne en ligne. Ce ne sont pas des
techniciens en informatique,
ce sont des enseignants de Cégeps. La bataille se
mène au niveau des
ressources, par exemple pour réduire les groupes
d'étudiants. Il y a
des institutions qui en ont profité pour élargir
les groupes. Par
exemple, à l'Université Laval, au niveau des
chargés de cours, ils sont
habitués à donner des cours devant 100
personnes, ils en sont
maintenant rendus à donner des cours à 300
personnes. L'université
a dit que c'est un cours en ligne alors le chargé
de cours est capable
de prendre plus d'étudiants. Ils ne doivent pas
seulement enseigner la
matière, ils doivent aussi répondre aux étudiants.
Il ne faut pas que
les institutions profitent de la situation pour
mettre tout le fardeau
sur le dos de l'enseignant ou de l'enseignante.
FO : Voulez-vous ajouter
quelque
chose en conclusion ?
AG : C'est important pendant
cette
pandémie qu'on soit capable de vivre avec les
consignes émises par la
santé publique, pour exprimer notre solidarité
sociale. Mais obéir à
des consignes de santé publique, cela ne veut pas
dire qu'on doit
arrêter de revendiquer nos droits et le respect
dans nos milieux de
travail. Un ne doit pas être marchandé avec
l'autre.
Nous avons toujours pensé que le principe du
travailleur
jetable était quelque chose du passé, qu'on avait
su surmonter cette
façon de voir les choses. Malheureusement, c'est
revenu à grand galop
avec la pandémie pour bien des travailleurs.
Sans le respect des travailleurs, on ne peut pas
freiner
la propagation de la COVID-19 pendant cette
deuxième vague.
Cet article est paru dans
Numéro 75 - Numéro 75 - 5 novembre 2020
Lien de l'article:
Les travailleurs dans le feu de la
lutte
pour freiner la COVID-19: Protéger les travailleurs et travailleuses du Québec face aux éclosions accrues aux endroits de travail - Entrevue avec Ann Gingras
Site Web: www.pccml.ca
Email: redaction@cpcml.ca
|