Des revendications importantes des travailleurs et travailleuses de première ligne pour affronter la deuxième vague

Marjolaine Aubé est la présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSS (Centre intégré de santé et de services sociaux) de Laval-CSN. Les membres du syndicat font partie du personnel qui a vécu la tragédie du Centre d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) de Sainte-Dorothée à Laval dans laquelle 101 résidents sont morts pendant la première vague de la pandémie. L'entretien a porté principalement sur les revendications que le syndicat a mis de l'avant, dès le début des éclosions au CHSLD, pour défendre la santé et la sécurité des patients et du personnel, pour faire face à l'urgence de la situation et assurer que de telles tragédies ne se reproduisent jamais plus.

Forum ouvrier : Peux-tu nous dire combien de membres tu représentes et quel travail ils font au CISSS de Laval.

Marjolaine Aubé : Je représente 4200 membres qui font partie des catégories 2 et 3 au CISSS de Laval. La catégorie 2 comprend les préposés aux bénéficiaires, les gens de l'entretien ménager, le personnel des cuisines, les ouvriers spécialisés, ce qu'on appelle le personnel paratechnique. La catégorie 3 est tout ce qui est personnel de bureau, administratif, informatique. Notre CISSS comprend 29 établissements sur toute l'île de Laval. Nous avons toutes les missions du réseau de la santé et des services sociaux sauf la mission universitaire. Nous avons la mission hospitalière, CHSLD, CLSC (Centres locaux de services communautaires), Centre-jeunesse, Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI), et la mission réadaptation.

FO : Dès le début de la pandémie, le syndicat s'est fait connaître par ses revendications pour faire face à la COVID-19. Peux-tu nous en dire plus ?

MA : Notre principale revendication à l'heure actuelle, c'est d'avoir au niveau local l'équipement nécessaire pour nous protéger, nommément le masque N-95. Nous le revendiquons pour toutes les zones rouges (zones où sont les personnes infectées à la COVID-19) de nos établissements. Nous le revendiquons en intersyndical pour tout le CISSS. Le N95 est offert présentement exclusivement à ceux qui travaillent à des endroits comme les soins intensifs ou à l'urgence. Pourtant, de nombreuses études ont démontré que la transmission de COVID-19 par aérosols (voie aérienne) est aussi possible. C'est surtout le cas si tu mets les patients atteints de la COVID dans une aire commune et que nos systèmes d'aération ne permettent pas d'évacuer correctement les particules du virus. Nous voulons être équipés correctement pour ne pas nous infecter et ne pas infecter nos patients. Nous revendiquons aussi ce qu'on appelle le « fit test », qui est un test d'étanchéité lors du port du masque, pour tous ceux qui travaillent dans les zones chaudes, parce qu'il existe plusieurs sortes de masques N95. Pour l'instant, l'employeur a répondu par la négative à cette revendication. Nous avons interpellé la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour qu'elle remédie à cette situation.

En ce qui concerne nos autres revendications, elles ont été acceptées par l'employeur et notre travail à l'heure actuelle est d'assurer leur pleine mise en application. Dans tous les cas, en présentant notre revendication à l'employeur, nous nous sommes assurés d'interpeller également le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Notre première revendication, au jour un de la crise, a été le dépistage de tous les patients et de tous les employés de nos CHSLD. Au début l'employeur ne voulait pas mettre en oeuvre cette mesure. Il n'y avait pas de dépistage si la personne n'avait pas de symptômes de la COVID-19 ou n'avait pas voyagé à l'étranger. Le personnel devait travailler même s'il avait des symptômes, et sans équipement de protection. Nous avons fini par prévaloir, et c'est une fois que le dépistage a été fait qu'on s'est aperçu que le CHSLD de Sainte-Dorothée était contaminé de bord en bord. Par la suite, au mois de mai, le gouvernement du Québec a instauré un dépistage systématique de tous les employés, sur une base volontaire, dans tous les CHSLD du Québec.

Les travailleurs du CHSLD à Sainte-Dorothée rendent hommage, le 15 juillet 2020, aux travailleurs et résidents qui sont morts de la COVID-19 durant la première vague de la pandémie. 

Dès le début également, nous avons revendiqué l'arrêt du déplacement du personnel inter-établissement. Nous avons aussi demandé l'arrêt du déplacement entre les étages, pour qu'on ne se promène plus d'une zone verte (où les patients ne sont pas infectés à la COVID-19) à une zone rouge.

Nous avons aussi revendiqué que l'employeur confirme les gens à temps complet sur le poste qu'ils occupent, afin qu'ils n'aient pas un manque à gagner lorsqu'ils sont limités à une place de travail. Il faut se rappeler qu'au début, 20 % seulement des postes de préposés aux bénéficiaires étaient à temps plein, tous les autres postes étaient précaires Nous avons fait des gains importants à ce sujet, et nous avons également obtenu une interdiction de créer des équipes volantes partout au Québec pour les préposés aux bénéficiaires. Vous pouvez vous imaginer à quel point il est difficile pour la santé publique de faire une enquête en cas d'éclosion si le travailleur était sur une équipe volante, à quel point c'est difficile de savoir comment l'éclosion s'est produite, de retracer les contacts de la personne, etc.

En ce qui concerne les équipements de protection individuelle (ÉPI), nous avons obtenu certaines choses. Nous avons demandé le pairage. Par exemple, nous avons obtenu que si deux personnes travaillent ensemble, dans les périodes de pause, un membre du personnel s'assure que l'autre personne retire son ÉPI de façon sécuritaire. Et ceci s'applique à toute personne qui met le pied dans une zone rouge. Cela s'applique par exemple au personnel de l'entretien ménager, pas seulement au personnel infirmier ou aux préposés.

Par notre travail nous avons contribué à la mise sur pied en juin d'un comité mixte post-pandémie qui comprend, outre les représentants de nos trois syndicats, des représentants de la direction de plusieurs établissements, pour que tout le monde se parle. Nos revendications, sauf celle sur l'équipement de sécurité, ont été acceptées en juillet. Les décisions ont commencé à être mises en application. Cela prend du temps, il y a beaucoup de paliers de prises de décision, beaucoup de hiérarchie. Mais on peut dire que nous avons maintenant un plan au niveau local, qui n'est pas encore complètement actualisé, mais nous sommes en marche.

Pour y arriver, nous avons fait plus de 150 interventions publiques dans les médias pour qu'on nous écoute. Nous avons aussi revendiqué l'aide du ministère. Il est certain que le ton a changé dans notre CISSS à cause de notre travail.

En ce moment, les éclosions de la COVID-19 se multiplient partout, y compris à Laval. Nous sommes dans la deuxième vague. Il faut que tout le monde prenne les précautions nécessaires, notamment le port du masque. Refuser de porter le masque, c'est risquer de devenir notre patient, que ce soit la personne qui ne le porte pas ou une personne avec qui elle est en contact. On ne veut pas revivre la crise de la première vague. C'est pour cela que nous avons mis de l'avant toutes ces revendications et que nous travaillons à ce qu'elles soient mises en application.


Cet article est paru dans

Numéro 67 - Numéro 67 - 6 octobre 2020

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Des revendications importantes des travailleurs et travailleuses de première ligne pour affronter la deuxième vague - Entrevue avec Marjolaine Aubé


    

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