Les travailleurs des postes continuent leur lutte pour les droits de tous

Sérieuses préoccupations pour la santé et la sécurité

Alain Robitaille est le président de la section locale de Montréal du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).

Forum ouvrier : Le STTP-Section de Montréal fait état d'une préoccupation particulièrement sérieuse en ce moment au sujet de la santé et de la sécurité des travailleurs des postes. Peux-tu nous en dire plus ?

Alain Robitaille : Le temps des Fêtes commence bientôt pour les travailleurs des postes. On va voir comment les mesures de santé et de sécurité qui ont été adoptées aux postes vont tenir le fort pendant le rush des Fêtes. À tous les temps des Fêtes, c'est déjà complexe. Imaginons maintenant que l'employeur perde de la productivité en maintenant la distanciation sociale, en ayant des gens qui ne sont pas présents au travail. Comment les choses vont-elles se dérouler?

Dès le début de la pandémie, Postes Canada a mis en place, assez rapidement, le retrait préventif de toutes les personnes qui sont à risque, payées à 100 % de leur salaire, en vertu d'une clause de la convention collective qui traite de la mise en quarantaine.

Maintenant on semble voir que l'employeur réagit probablement aux statistiques, aux colonnes de chiffres, et il réalise que cela coûte cher.

Là où nous décrions l'action de Postes Canada, c'est qu'ils ont envoyé un formulaire à toutes ces personnes-là pour que nos travailleurs le soumettent à leur médecin. Le but est de savoir ce qui en est de leur état de santé. Est-ce que ces travailleurs sont aptes à revenir au travail ou doivent-ils demeurer à la maison parce qu'ils sont à risque ?

Le formulaire comprend deux questions seulement. La première est : « Est-ce que votre patient est atteint d'un problème de santé sous-jacent qui, selon l'Agence de la santé publique du Canada, pourrait occasionner de graves complications en cas de COVID-19? Oui ou non. » Dans les cas où les travailleurs sont immunosupprimés, qui ont des conditions de santé précaires, la question est assez simple. La réponse est oui.

La deuxième question est : « Est-ce que vous recommandez à votre patient de s'isoler à la maison pour des raisons médicales ? Oui ou non. » Cela devient plus complexe pour le médecin. Isolement à la maison, c'est lourd de portée, pour un médecin qui va répondre oui à la question. Lourd de portée parce que la santé publique dit qu'il est important de ne pas s'isoler totalement à la maison, que c'est important de prendre des marches par exemple. Et les gens doivent aussi subvenir à leurs besoins de base, comme l'épicerie. Bien sûr on peut faire livrer, mais il y a des coûts, ce n'est pas accessible pour tout le monde et il y a des gens qui n'ont pas confiance dans le processus, de se faire livrer son épicerie par quelqu'un qui aura manipulé tous les produits. Il y a de la réticence face à cela. En plus, il faut noter que le formulaire en français comprend les mots « à la maison » en ce qui concerne l'isolement, ce qui n'est pas le cas du formulaire en anglais. Les deux formulaires ne sont même pas identiques.

Beaucoup de médecins ont répondu « non » à la deuxième question, qu'ils ne recommandent pas à leur patient de s'isoler à la maison.

Ce sont les seules questions qui sont posées. Pas de question comme « est-ce que vous jugez que votre patient est apte à revenir au travail et, si oui, que recommandez-vous en ce qui concerne ce retour ? »

On parle ici de personnes qui ont une santé précaire. Cela peut comprendre des personnes qui reçoivent de la chimiothérapie, des personnes qui sont séropositives, qui ont des maladies cardiaques, etc. Nous avons 55 000 membres à l'échelle du pays, dont 6000 à Montréal. On peut s'imaginer des situations de santé très complexes qui sont tranchées par l'employeur via un formulaire qui comprend deux questions, sans mise en contexte par exemple de l'isolement à la maison.

Plusieurs de nos travailleurs ont soumis ce formulaire à leur médecin qui l'a rempli. Il y a des médecins qui ont répondu oui à la première question, mais non à la deuxième, qu'ils ne recommandent pas un isolement complet bien que leur patient soit à risque. Ils y vont de certains commentaires. Par exemple, que le travailleur pourrait reprendre le travail s'il y a une distanciation de deux mètres entre les personnes, si le travailleur porte un masque, si tout le monde porte un masque, etc. Il y a des médecins qui ont clarifié leur position ce qui a mis en contexte leur position que le travailleur pourrait revenir au travail.

Le syndicat a dû s'imposer face à l'employeur parce que celui-ci reprenait tous ces travailleurs-là sans même nous en parler. Nous avons un devoir de participer à l'accommodation de nos travailleurs et nous croyons fermement que c'est notre devoir d'intervenir là-dedans. La santé et la sécurité, c'est un devoir syndical. Nous nous sommes imposés, nous avons retourné des travailleurs à la maison parce que nous n'avions pas eu le temps de discuter de quelle façon on allait les ramener au travail.

FO : Comment les travailleurs sont-ils contactés une fois que Postes Canada a reçu le formulaire du médecin ?

AR : Ils sont contactés directement par l'employeur. Ils sont contactés par un superviseur immédiat. Celui-ci est en position d'autorité et son mandat c'est de ramener la personne au travail. Selon lui, tout est beau, le travailleur peut revenir même s'il est à risque.

L'exercice qu'on fait avec l'employeur, par la suite, de vérifier ce qu'on met comme mesure d'accommodement, nous suggère qu'ils ont ramené très hâtivement les travailleurs, qui nécessitaient de vraies mesures d'adaptation et non pas uniquement de se faire réitérer que Postes Canada a une politique de distanciation sociale. Le problème est beaucoup plus vaste que cela.

La situation devient très complexe lorsque le médecin répond simplement par un « oui » ou un « non », oui la personne est à risque, non, il ne recommande pas l'isolement à la maison, sans aucun commentaire. À Montréal, nous avons environ 70 personnes dans cette situation-là. De l'avis du syndicat, il n'y a rien qui permette à l'employeur de déclarer que l'intention du médecin était de ramener la personne au travail puisqu'il n'y a pas de question dans le formulaire sur l'aptitude de la personne à reprendre le travail et que le médecin n'a fait aucun commentaire.

L'employeur prétend qu'il ne peut pas demander au médecin si le travailleur est apte à revenir parce que ce n'est pas le médecin qui a mis le travailleur en arrêt. Il reste que le formulaire n'est pas clair et que des conclusions injustifiées en sont tirées.

Ils ont ramené beaucoup de travailleurs de cette façon-là, plus de 70 à Montréal. Nous demandons la liste de ces gens-là, l'employeur nous la refuse. Nous ne lâchons pas, nous escaladons cette question au niveau national, c'est une lutte qui est noble et nécessaire.

En plus, bien que l'employeur demande l'avis du médecin, il a rappelé tous les travailleurs peu importe ce que le médecin avait répondu. Prenons un cas typique où le médecin avait dit que oui le retour au travail pouvait amener des séquelles graves dans le cas d'une infection à la COVID-19 et oui le travailleur devrait s'isoler à la maison. Ils ont rappelé le travailleur pour lui dire qu'il était le bienvenu de revenir, que des mesures seraient prises pour assurer sa sécurité. À mon avis, ils vont à l'encontre de la recommandation d'un médecin en faisant cela. C'est très sérieux et nous essayons de freiner cela. N'oublions pas que l'employeur s'adresse aux travailleurs qui sont les plus vulnérables, qui ont la santé la plus précaire. Ce sont ces travailleurs que l'employeur reprend comme si de rien n'était.

FO : Veux-tu ajouter quelque chose en conclusion ?

AR : Ce problème est une préoccupation majeure pour nous. Nous parlons de la santé et de la sécurité des travailleurs. Les travailleurs se battent depuis des décennies pour la santé et la sécurité de nos membres et en ce moment, on vit le problème de manière très aiguë. C'est maintenant que cela se passe. Il y a des gens qui sont sur le plancher de travail, dont on n'arrive pas à savoir qui ils sont et qui ne devraient pas être sur le plancher de travail. C'est notre devoir syndical de les défendre.


Cet article est paru dans

Numéro 66 - Numéro 66 - 1er octobre 2020

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Les travailleurs des postes continuent leur lutte pour les droits de tous: Sérieuses préoccupations pour la santé et la sécurité - Entrevue avec Alain Robitaille


    

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