La nécessité d'une amélioration immédiate des conditions de travail
- Entrevue avec Denis Cloutier -
Manifestation des travailleurs de la santé devant
l'Assemblée nationale du Québec,
le 15 septembre 2020
Denis Cloutier est le président du Syndicat
des professionnelles en soins de
l'Est-de-l'Île-de-Montréal (FIQ SPS ESTIM).
Forum ouvrier : Quelles sont
les principales préoccupations du syndicat en ce
qui concerne la situation dans la santé ?
Denis Cloutier : Dans l'est de
Montréal, c'est certain que notre première
préoccupation en ce moment c'est la pénurie de
personnel qui est extrêmement sévère dans l'est de
Montréal.
La pandémie est venue amplifier le problème qui a
été causé par des années d'austérité libérale dont
les infirmières, les infirmières auxiliaires et
les inhalothérapeutes ont beaucoup souffert. Les
conditions étaient déjà très difficiles et la
pandémie est venue en rajouter. Ce qui se produit
dans le monde infirmier quand il y a une pénurie,
c'est que plus il manque de personnel plus il y a
d'inconvénients pour celles qui restent. Le
recours au temps supplémentaire obligatoire
(TSO) demeure le principal inconvénient que
puisse subir une infirmière. Dans l'est de
Montréal en particulier, à cause de plusieurs
facteurs, dont les conditions qui existaient avant
et évidemment la COVID-19, il y a eu beaucoup de
démissions. La pression a été augmentée sur celles
qui restent, ce qui a provoqué encore plus de TSO
et de déplacements. C'est un cercle vicieux.
Il faut aussi comprendre l'héritage qu'a laissé
le ministre de la santé du gouvernement libéral
Gaétan Barrette dans la façon dont il a
restructuré le régime de santé au Québec. Les
régions ont été très affectées par le problème de
l'employeur unique. C'est-à-dire le problème de la
fusion des établissements dans un CIUSSS (Centre intégré universitaire de
santé et de services sociaux) ou un CISSS
(Centre intégré de santé et de services sociaux)
qui est devenu l'employeur de tous les
établissements de santé dans la région. Montréal
est différent. Le ministre Barrette a créé
plusieurs exceptions pour Montréal. Il a créé des
établissements non fusionnés, des établissements
qui n'ont pas été incorporés dans des CIUSSS ou
des CISSS. Le fait que ces établissements sont non
fusionnés les rend très attractifs, car ils
offrent une meilleure stabilité pour ceux et
celles qui se cherchent un emploi. Certains de ces
établissements, comme le CHUM (Centre hospitalier
de l'Université de Montréal), sont de beaux
hôpitaux flambant neufs qui attirent le personnel.
Il n'y a pas de temps supplémentaire obligatoire
au CHUM. Il n'y a aucun CHSLD rattaché au CHUM,
contrairement aux CIUSSS et aux CISSS. Les gens y
travaillent dans des domaines à la fine pointe.
Nous dans l'est de Montréal, notre plus gros
hôpital c'est le Maisonneuve-Rosemont. C'est un
hôpital qui a eu une mauvaise publicité ces
dernières années à cause d'une pénurie de
personnel. C'est un hôpital qui tient
littéralement avec de la broche. C'est un hôpital
désuet qui est moins attractif. Sur notre
territoire il n'y a pas d'université. Il y a du
nouveau développement immobilier dans l'est de
Montréal, mais il y a seulement deux hôpitaux,
Maisonneuve-Rosemont et Santa Cabrini alors qu'il
y en a plusieurs dans le centre de la ville.
Toute cette spirale rend la pénurie de
main-d'oeuvre vraiment inquiétante. Mais la raison
principale demeure la surcharge de travail qui
occasionne du temps supplémentaire obligatoire.
C'est un phénomène qu'on voit à chaque jour, qui
crée des tensions et des souffrances énormes parmi
le personnel.
Un des facteurs principaux qui explique aussi la
pénurie de main-d'oeuvre, c'est l'utilisation des
arrêtés ministériels. Notre convention collective
n'est plus respectée depuis l'arrêté ministériel
du 21 mars qui est encore utilisé dans le
CIUSSS de l'est et qui a été utilisé pendant tout
l'été, qui est une période où on a eu une
accalmie. On peut s'imaginer comment ils
l'utilisent beaucoup quand on connaît une vague
d'infections, pour changer nos quarts de travail,
envoyer nos infirmières en CHSLD dans des quarts
de nuit, de soir, irréguliers de fin de semaine,
sans les consulter le moindrement. C'est un
sérieux bris de liberté pour nous.
On voit aussi une migration parmi nos membres
vers les agences privées de placement. C'est à se
demander si cela n'est pas encouragé de façon
délibérée par le gouvernement. Il faut noter
qu'avec l'arrêté ministériel, le gouvernement a
brisé notre convention collective, notre contrat
de travail, mais il n'a pas brisé le contrat de
travail des agences privées de placement. Si le
gouvernement cherchait à faire de la publicité
pour les agences privées, il ne s'y serait pas
pris autrement.
FO : Ces derniers temps, les
infirmières ont tenu plusieurs actions de
protestation dans les endroits de travail.
DC : Ces dernières années en
fait, il y a eu plusieurs actions de sit-in
d'infirmières de protestation contre leurs
mauvaises conditions de travail et ces actions
continuent. Tout récemment, il y a eu aussi des
actions dans les urgences, et même aux soins
intensifs et en cancérologie. Cela se produit
notamment quand une équipe de travailleuses
arrive, qui voit que sur le quart de travail
suivant il va manquer 5-6 personnes et donc
que 5-6 d'entre elles vont devoir rester en TSO,
et elles protestent pour que l'employeur trouve du
personnel pour le quart suivant. Il arrive aussi
que l'action est organisée par une équipe en
solidarité avec le quart qui la précède parce
qu'elles sont trop nombreuses à devoir rester en
temps supplémentaire obligatoire. Ce sont des
manifestations spontanées d'opposition à des
conditions de travail qui sont devenues
intolérables. C'est un signe que quelque chose est
sur le point d'éclater dans le réseau et si on se
fait frapper par une deuxième vague, c'est certain
qu'il y aura des bris de services.
FO : Quelles revendications
mettez-vous de l'avant pour changer la
situation ?
DC : Bien sûr il y a les
négociations avec le gouvernement en ce moment qui
pourraient améliorer notre situation si le
gouvernement accède à nos revendications.
Une solution à laquelle on croit beaucoup c'est
la valorisation du temps complet. Il y a beaucoup
de personnes qui se réfugient dans le temps
partiel dans le but d'éviter les conditions
intenables, notamment le temps supplémentaire
obligatoire qui est présentement imposé au
personnel à temps plein. La revendication de la
Fédération est de rendre le temps complet
attractif et d'entreprendre de rebâtir des
conditions de travail acceptables en instaurant
une prime de 12 % convertible en journée
chômée aux deux semaines. Il s'agirait de payer
une prime de 12 % à toutes les salariées
détenant un poste à temps complet ou affectées à
une assignation à temps complet. Cette prime
pourrait graduellement être convertie en journée
chômée afin d'atteindre une quinzaine de travail à
neuf jours travaillés plutôt que dix, où les
personnes à temps complet pourraient bénéficier
minimalement de deux jours de congé collés par
semaine comme le commun des mortels. Présentement
les temps complets travaillent dix jours sur deux
semaines, une fin de semaine sur deux, n'ont pas
deux jours de congé d'affilée l'autre semaine,
font en plus du temps supplémentaire, soit
volontaire, dans un contexte de grande pression,
ou carrément forcé, souvent n'ont pas droit aux
congés fériés. Cela devient invivable. Nous voyons
cela comme une façon de commencer à établir des
horaires réguliers pour améliorer les conditions
de travail et attirer les professionnelles en
soins vers le temps complet. Valoriser le temps
complet, cela veut aussi dire leur donner leurs
congés fériés. Réduire de manière substantielle le
temps supplémentaire obligatoire demeure une de
nos principales revendications. Toutes les
professionnelles en soins qui travaillent à temps
partiel devraient avoir la possibilité de devenir
salariées à temps complet, mais un temps complet
valorisé.
Pour nous, valoriser le temps complet c'est une
façon de valoriser le travail qui est fait par une
infirmière qui est prête à s'engager à maintenir
un statut à temps complet. Nous pensons que c'est
un début de solution pour en finir avec la
précarité d'emploi dans le réseau.
(Photos:FIQ)
Cet article est paru dans
Numéro 63 - Numéro 63 - 22 septembre 2020
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