Le nouveau programme d'étude doit servir les Albertains

Le gouvernement du Parti conservateur uni (PCU) de l'Alberta a publié récemment les noms des huit membres du comité consultatif de révision du programme d'étude, à ne pas confondre avec le comité consultatif de révision du programme d'étude formé de 12 membres, créé en août 2019 et qui existe toujours. Ce dernier est présidé par le soi-disant représentant de la réforme de l'éducation publique de l'Institut atlantique d'études de marché, un groupe de réflexion réactionnaire pris en charge par l'Institut Fraser, un organisme de propagande néolibéral financé par les entreprises. Dans un discours décousu et quelque peu incohérent le 5 août, le président du comité a affirmé qu'en raison de la COVID-19, le comité de révision albertain n'avait somme toute rien à rapporter, bien qu'il ait vanté le métier de vendeur de voitures usagers comme étant une carrière prometteuse pour les étudiants.

La nécessité et l'urgence d'une réforme du programme d'étude albertain ne font aucun doute. De nombreux programmes sont périmés depuis longtemps. Le programme d'étude de science au primaire a 24 ans. Le programme d'art au primaire a 35 ans. Ces programmes et plusieurs autres doivent définitivement être modernisés pour que les étudiants puissent comprendre le monde d'aujourd'hui. L'état sclérosé du monde de l'éducation est la conséquence de 44 années de gouvernements conservateurs successifs qui ont, année après année, dépouillé l'éducation des fonds requis afin de mieux subventionner les compagnies énergétiques  pour la plupart de propriété étrangère  qui continuent de dominer l'économie, la politique et la culture de l'Alberta.

Le PCU prétend que son comité de révision du programme d'étude et son nouveau comité consultatif sont « non partisans », ce qui est risible. Aucun des 12 membres du comité de révision n'est un enseignant albertain. On y trouve cependant un ancien ministre adjoint de l'époque des gouvernements conservateurs de Getty et de Klein, le cofondateur de l'Institut Petrarch de la « libre entreprise » et un éducateur américain grand défenseur des écoles privées. Le parti pris du comité consultatif de 8 membres, lui, est évident en raison des gens qui ne s'y trouvent pas. Aucun membre n'est un enseignant ou un membre du personnel du primaire. Il n'y a aucune femme au comité bien que les femmes représentent 71 % des professionnels de l'éducation en Alberta. Aucun des membres du comité consultatif n'est autochtone et plusieurs sont liés de près au PCU ou à l'idéologie au coeur de ce parti.

C.P. (Chris) Champion, par exemple, est le conseiller des études sociales du PCU au sein du comité de 8 membres. Il a travaillé pour les conservateurs dans l'opposition au fédéral, l'ancien parti du premier ministre de l'Alberta Jason Kenney, pendant six ans, à titre de conseiller auprès de Kenney lui-même de 2007 à 2015. Champion a fondé la revue de droite Dorchester Review en 2011 dont il est toujours le rédacteur et qui prétend « contester la vision plate et politiquement correcte de l'histoire que l'on retrouve souvent dans les médias et les milieux universitaires ». Un article sans signataire du premier numéro, republié en ligne cette année, critique le programme d'histoire mis en place par les gouvernements « de gauche ». Il se moque d'un programme d'histoire australien qui contiendrait « peu de faits, mais entretiendrait la culpabilité vis-à-vis les aborigènes et les immigrants ». Dans l'article, on soulève aussi qu'« au Canada, le fait de jouer aux victimes était surtout lié aux Canadiens d'origine japonaise et aux survivants des pensionnats autochtones ». Champion est membre de l'Association canadienne du renseignement militaire et ses articles ont été publiés dans le Journal of Intelligence and National Security.

Plusieurs personnes choisies par le PCU au poste de conseiller sont loin de leur domaine d'expertise. Le conseiller en art et littérature est un avocat qui s'adonne à être membre du conseil d'administration d'une compagnie de théâtre, sans doute pour y offrir des conseils juridiques. Le conseiller en sciences est un professeur agrégé en informatique. Le hic est qu'il n'y a pas de science en informatique. Une science dans le vrai sens du mot, comme la physique, la chimie ou la biologie, étudie et explique une dimension de la réalité physique. Elle n'est pas centrée sur la conception et la construction de machines, qui sont le domaine de l'ingénierie. Il serait plus convenable de remplacer ce qui est faussement appelé « science de l'informatique » par informatique tout court, soit l'étude de processus liés à l'ordinateur. La nomination d'un non-scientifique pour donner des conseils sur la science est un problème en soi, puisque la démarche scientifique, qui est l'approche principale dans l'enseignement de la science dans les écoles, est basée sur l'investigation scientifique par de vrais scientifiques.

Le PCU crée de nombreux comités dans le contexte de la réforme des programmes d'étude sur trois ans lancée par le gouvernement du NPD, auquel s'est opposé dès le départ le PCU sur la base qu'il avait un « parti pris de gauche ». Étonnamment, lorsque questionné à ce sujet, le ministre de l'Éducation n'a pas pu donner un seul exemple d'un tel parti pris. Le premier ministre Kenney a aussi attaqué le processus de réforme du gouvernement précédent parce qu'il aurait été à la fois « partial » et « opaque », même s'il avait recueilli de l'information provenant de milliers d'enseignants et que les modifications proposées avaient été publiées en ligne.

Kenney a aussi affirmé à plusieurs reprises que le nouveau programme devrait être axé sur les « compétences de base », une notion qui vient du monde de la formation professionnelle qui elle-même est née avec le mouvement discrédité de retour à la base de l'époque Thatcher-Reagan, sans jamais tirer au clair quelles sont en fait ces compétences. Le fait que Kenney mette sur un pied d'égalité l'éducation et la formation professionnelle devrait sonner l'alarme. Cette formation consiste à transmettre une connaissance procédurale où l'apprenant absorbe passivement ce qu'on lui dit plutôt que de participer à la construction d'une compréhension large et complexe. Le fait de préconiser des compétences de base comme principal objectif de l'éducation scolaire ressemble étrangement à une tentative d'endoctriner les étudiants plutôt que de leur enseigner.

La vraie question qui ressort de toute cette querelle politique intestine est : qui le nouveau programme devrait-il servir ? S'il faut s'en tenir à la composition des comités, nous devons conclure que le gouvernement du PCU croit de toute évidence qu'il devrait refléter son idéologique néolibérale qui sert les intérêts de l'industrie énergétique de l'Alberta. En revanche, les Albertains pensent que le programme devrait servir les intérêts du peuple, c'est-à-dire qu'il devrait comprendre ce qui peut contribuer à créer une société qui est humanisée dans toutes ses facettes et ce qui permet au peuple de participer aux prises de décision qui le concernent, y compris les décisions concernant le contenu du programme.

Une chose est claire : si les programmes actuels ne sont pas refaits en fonction des changements et des besoins du peuple, l'éducation deviendra dépourvue d'intérêt et obsolète, mettant en danger les générations à venir. Mais l'éducation est un droit qu'on ne peut retirer. C'est pourquoi il est nécessaire de constamment veiller à ce que le programme actuel réponde aux besoins du peuple et à faire ce qui s'impose pour constamment l'améliorer dans les intérêts du peuple. La lutte pour un programme moderne et un système d'éducation moderne doit être indissociable de la lutte pour une nouvelle société fondée sur la garantie des droits de tous et toutes.

(Photos : FO, M. Sardinha)


Cet article est paru dans

Numéro 57 - Numéro 57 - 1er septembre 2020

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Le nouveau programme d'étude doit servir les Albertains - Dougal MacDonald


    

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