Santé et sécurité au travail : l'expérience des travailleurs de Cargill
Lorsque l'usine de Cargill à High River a rouvert
après l'éclosion de la COVID-19 c'est la section
locale 401 du syndicat des TUAC qui a rencontré
les travailleurs avec des masques et de
l'information sur la sécurité.
En vertu de la Loi en vigueur en Alberta, Santé
et sécurité au travail (SST) est chargée de faire
respecter la loi provinciale. La Loi stipule que
l'application se fait par « l'éducation, les
inspections des lieux de travail et d'autres
mesures exécutoires », y compris « des
inspections proactives et la réponse aux plaintes
et aux incidents aux endroits de travail sous
réglementation provinciale ».
La récente révision par le gouvernement de
l'Alberta de la loi relative à la santé et la
sécurité au travail est basée sur des mantras
néolibéraux qui parlent du besoin de «
flexibilité », de débarrasser la Loi des
réglementations « contraignantes » et « trop
normatives » qui empêchent «
l'innovation ». Un objectif central de la
révision est de mettre fin à toute autorité
publique chargée d'établir et de faire appliquer
des normes dans l'intérêt public et de la
remplacer par la gouverne des intérêts privés
étroits.
L'expérience des
travailleurs de l'usine de transformation de
viande de Cargill à High River en Alberta et de
leur communauté révèle ce que signifient dans la
vie réelle un tel objectif, des phrases
accrocheuses et une autoréglementation au service
des intérêts privés. Ce n'est que lorsque des
centaines de travailleurs ont été testés positifs
pour la COVID-19, dont beaucoup sont tombés
malades et dont deux travailleurs et un membre de
leur famille sont décédés, que la SST a finalement
« inspecté » l'endroit de travail. Elle n'a
pas informé le syndicat de l'inspection comme
l'exige la loi ; elle n'a pas parlé à un seul
travailleur et n'a pas informé ni convoqué le
comité SST de l'endroit de travail. Personne
de la SST n'est entré dans l'usine. L'«
inspection » a été réalisée par la direction
de Cargill qui a montré aux inspecteurs de la SST
une partie de l'usine avec une caméra vidéo, à un
moment où le plancher d'abattage n'était même pas
en opération.
Malgré les affirmations selon lesquelles « tout
le monde » était impliqué dans l'inspection,
c'est la compagnie qui a tout pris en main. Elle a
activement travaillé pour empêcher les
travailleurs et le syndicat de recevoir même des
informations, sans parler du respect de leur droit
de participer à la prise de décision sur les
questions de santé et sécurité.
La SST a suivi les directives du premier ministre
qui tenait mordicus à garder les usines de
transformation de viande ouvertes. Il n'a imposé
aucune sanction à Cargill pour ce qui est
largement perçu par les Albertains comme une
négligence grave. La SST a conclu que tout allait
bien et n'a pas ordonné que l'usine ferme jusqu'à
ce que des alternatives soient mises en place pour
protéger les travailleurs dans cet environnement
de travail particulier.
Les actions des travailleurs et de leur syndicat
ont finalement forcé Cargill à agir, mais à
contrecoeur. Aussi longtemps que possible, Cargill
a résisté à la mise en oeuvre des mesures
proposées par la section locale 401 des
Travailleurs unis de l'alimentation et du
commerce. Elle a résisté à la fermeture de l'usine
et a fait pression sur les travailleurs pour
qu'ils retournent au travail pendant la période de
quarantaine. La conséquence de cela est que près
de 1000 travailleurs ont été testés positifs,
deux travailleurs et un membre de leur famille
sont décédés, et le virus a été transmis à de
nombreux membres de la communauté qui sont
également tombés malades.
Tout au long de cette épreuve stressante, le
gouvernement a permis à Cargill d'agir en toute
impunité. La résistance organisée des
travailleurs, leur affirmation de leur droit de
refuser un travail dangereux, leur courage de
parler et de dénoncer les conditions à Cargill, et
le travail résolu de la section locale 401
des TUAC ont finalement forcé l'entreprise à
fermer et à assurer les normes et équipements
sécuritaires qu'ils exigeaient, ce qui a permis de
maîtriser la pandémie à l'usine.
Pour les
travailleurs, le problème de la santé et la
sécurité à l'usine et partout au Canada est clair.
Les consultations sont frauduleuses, les
conclusions qui s'imposent dans une situation
donnée ne sont pas tirées et ne sont pas perçues
comme étant tirées et le pouvoir décisionnel a été
usurpé par des intérêts privés étroits. Du point
de vue de ceux qui détiennent le privilège de
classe et exercent le pouvoir pour servir leurs
intérêts privés étroits, on a besoin de lois qui
entravent toute résistance de la part des
travailleurs. Les élites dirigeantes disent que le
problème vient des travailleurs qui sont
paresseux, cupides ou déraisonnables et ils
accusent notamment les travailleurs et leurs
actions de mettre en péril la sécurité des autres
et l'économie. Selon ces élites, une période
exceptionnelle requiert des mesures
exceptionnelles qui justifient le retrait de
règles « trop contraignantes », «
coûteuses », etc. Elles disent qu'il faut de
la « flexibilité » afin de supprimer les
obstacles à « l'innovation ». Plus elles
donnent des excuses, plus est évident le besoin de
les démettre de leurs fonctions et de faire place
à ceux qui mettent en oeuvre un ordre du jour
prosocial.
Des circonstances exceptionnelles requièrent en
fait que des normes et des protocoles soient mis
de l'avant et utilisés pour faire avancer les
choses. Les éliminer du revers de la main au nom
de grands idéaux est en fait un gage d'anarchie,
de violence et de terrorisme et non de sécurité,
de cohérence et d'unité du peuple pour qu'on
affronte calmement ces dangers. Ce qui est requis
aujourd'hui, c'est de renforcer les protocoles de
santé et de sécurité pour protéger les
travaillleurs, leurs familles et leurs communautés
et le pays dans son ensemble.
Les travailleurs de Cargill sont sortis de cette
épreuve avec le sentiment accru de leur force
collective pour défendre leurs droits. Ils
demeurent proactifs et vigilants pour s'assurer
que des mesures de sécurité continuent d'être
mises en oeuvre. En s'exprimant et en défendant
leurs droits, les travailleurs de Cargill ont
attiré l'attention sur les problèmes existant bien
avant la pandémie des conditions qui menacent leur
santé, leur sécurité et leur bien-être. Ils
revendiquent essentiellement le droit d'avoir une
voix effective et le pouvoir de décider de ce qui
sert les intérêts des travailleurs et les intérêts
généraux de la société.
Cet article est paru dans
Numéro 55 - Numéro 55 - 20 août 2020
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Santé et sécurité au travail : l'expérience des travailleurs de Cargill
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