La nécessité de faire respecter les droits des travailleurs migrants

Un appel à annuler la nouvelle directive de l'Ontario qui permet à certains travailleurs atteints de la COVID-19 de continuer de travailler

Le 30 juin, un groupe de professionnels de la santé a publié une lettre ouverte au médecin hygiéniste en chef de l'Ontario lui demandant de se servir de ses pouvoirs en vertu de la Loi sur la protection et la promotion de la santé pour immédiatement renverser la nouvelle directive de la Santé publique annoncée le 24 juin par le premier ministre Ford. Il invite d'autres professionnels de la santé à ajouter leur nom à la lettre. On peut signer la lettre ici.

Docteur David Williams
Hygiéniste en chef de l'Ontario

Objet : Document d'orientation de la santé publique sur les tests de dépistage et les autorisations

Cher docteur Williams,

Nous sommes des professionnels de la santé et nous voulons exprimer notre inquiétude face au document d'orientation publié par votre bureau le 24 juin qui dit que des travailleurs asymptomatiques qui ont un résultat positif à la COVID-19 peuvent continuer à travailler s'ils sont jugés « indispensables aux opérations ». Nous sommes surtout inquiets que ce document d'orientation mette les travailleurs agricoles migrants en danger spécifique et évitable. Nous vous exhortons d'intervenir en votre qualité d'hygiéniste en chef de la santé (HECS) tel qu'énoncée dans la Loi sur la protection et la promotion de la santé (77,1) pour immédiatement annuler cette orientation.

Il est plus qu'évident que la pandémie de la COVID-19 a occasionné des torts disproportionnels aux travailleurs agricoles migrants, par exemple lors d'importantes éclosions dans des fermes partout dans le sud de l'Ontario causant la mort de trois travailleurs : Bonficacio Eugenio-Romero, Rogelio Munoz Santos et Juan Lopez Chaparo. La réponse de la Santé publique à ces éclosions doit être fondée sur la cause première, c'est-à-dire les conditions de travail et de vie exécrables. La directive que donne le HECS ne peut être respectée de façon sécuritaire ni peut-elle être appliquée de façon conséquente, et ne s'attaque pas à la cause première de ces éclosions.

Le document d'orientation affirme que les travailleurs asymptomatiques peuvent continuer de travailler s'ils « respectent les mesures de santé publique ». Or, les travailleurs agricoles migrants disent que la distanciation sociale est difficile dans les champs, les serres et les dortoirs de l'Ontario. Les médias parlent de l'accès limité aux nécessités de l'hygiène et d'équipement de protection individuelle sur certaines fermes. Sans changer les conditions matérielles de ces travailleurs, il est peu probable que ceux-ci puissent respecter les mesures de santé publique recommandées.

Par conséquent, le document d'orientation constitue un danger spécifique et prouvé de santé publique pour les travailleurs agricoles et les communautés dans lesquelles ils vivent. Ce n'est plus à prouver qu'une grande partie des individus ayant la COVID-19 qui sont asymptomatiques au moment du diagnostic finissent pas développer des symptômes. Aussi, nous savons que des individus peuvent en infecter d'autres tout en étant asymptomatiques. Nous ne connaissons aucun autre secteur qui autorise systématiquement des travailleurs asymptomatiques à retourner travailler tout de suite après avoir eu un résultat positif. Compte tenu des conditions de vie et de travail des travailleurs agricoles migrants, nous sommes inquiets que la propagation asymptomatique de la COVID-19 aura pour conséquence de nouvelles éclosions et des décès additionnels.

Le document d'orientation fait aussi en sorte que le fardeau du danger et du respect des mesures repose sur les travailleurs agricoles migrants — une population travaillant dans des conditions minimales de protection ou d'autonomie — et ne veille pas à ce que les employeurs tiennent directement compte des conditions qui exacerbent la propagation de la COVID-19. Les travailleurs pourraient ne pas se sentir prêts à faire connaître leurs symptômes s'ils craignent une perte de revenu ou une pénalité de la part de leurs employeurs, sans parler de la crainte d'être renvoyé du Canada. Les travailleurs qui désirent faire connaître leurs symptômes et chercher à se faire soigner n'ont pas ou ont très peu accès à des soins donnés dans leur langue. Le document d'orientation ne définit pas nettement les responsabilités des employeurs pour veiller à ce que les mesures recommandées par la Santé publique soient mises en oeuvre ou à ce que les conditions de vie et de travail de leurs employés soient améliorées. Le document d'orientation de la Santé publique selon lequel les travailleurs peuvent retourner travailler pourrait aussi miner la possibilité de faire des demandes légitimes en termes d'assurance au travail.

De plus, nous sommes profondément préoccupés par votre déclaration qui laisse entendre que ce document d'orientation est, en partie, une réaction aux craintes des employeurs que des tests de dépistage massifs des travailleurs puissent conduire à la détection d'un grand nombre de cas asymptomatiques de la COVID-19. Cet argument soumet clairement la santé et la sécurité des employés aux intérêts de leurs employeurs. Nous sommes troublés par les informations des médias selon lesquelles le document d'orientation a été conçu pour susciter l'adhésion des employeurs et conçu pour être un compromis. Il est clair que la voix, l'autonomie et la dignité des travailleurs n'ont pas été prises en compte dans le document d'orientation. Nos dirigeants en santé publique se voient confier un large éventail de pouvoirs qu'ils doivent exercer au service de la santé de tous ceux et celles qui résident en Ontario. Nous sommes préoccupés par le fait que le document d'orientation repose sur des considérations autres que de solides principes de santé publique et que l'indépendance du processus décisionnel ait pu être compromise.

Nous vous demandons de concentrer vos efforts sur l'établissement des conditions et des protections requises dans les endroits de travail pour que les travailleurs agricoles migrants protègent leur propre santé et celle de leur communauté en utilisant vos pouvoirs en vertu de l'article 77 de la Loi sur la protection et la promotion de la santé. Ces efforts devraient au minimum inclure :

1. révoquer le document d'orientation qui permet aux travailleurs agricoles migrants avec la COVID-19 de continuer à travailler s'ils sont jugés asymptomatiques ;

2. élargir l'accès aux tests de dépistage à tous les travailleurs ;

3. assurer l'accès à des congés de maladie payés à tous les travailleurs essentiels à haut risque d'éclosions (y compris les travailleurs agricoles migrants et les travailleurs sans papiers) ;

4. établir des mécanismes spécifiques d'auto-isolement par le biais de programmes financés d'auto-isolement volontaire dans les hôtels ou autres logements temporaires et plaider en faveur d'une amélioration à long terme des conditions de vie ;

5. protéger les employés contre les représailles de l'employeur pour le travail manqué en raison de ces précautions.

La saison des récoltes est longue et nous avons déjà été témoin de la mort de trois travailleurs migrants. Le retour immédiat au travail de toute personne atteinte de la COVID-19 menace la santé et la sécurité des travailleurs et de l'ensemble de la communauté. Nous vous demandons donc d'exercer vos pouvoirs en tant que médecin-hygiéniste en chef et de mettre fin au document d'orientation pour veiller à ce qu'il n'y ait plus d'éclosions de de décès parmi les travailleurs agricoles migrants.

(Photos: Justice pour les travailleurs migrants)


Cet article est paru dans

Numéro 49 - Numéro 49 - 16 juillet 2020

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